Jafaar n’a pas de chance…
Ce vieux marin-pêcheur ne récolte pas grand-chose dans ses filets, hormis des branchages, quelques tongs appariées et deux ou trois minuscules sardines qu’il doit encore protéger des assauts des mouettes. Pas de quoi gagner le minimum qu’il lui faudrait pour vivre décemment.
La solution serait d’aller pêcher plus loin, en pleine mer, mais les autorités israéliennes lui interdisent d’aller exercer sa profession à plus de quatre kilomètres des côtes.
Ah oui, on a oublié de préciser que Jafaar est palestinien et habite la bande de Gaza, juste au niveau du mur de séparation, et qu’il doit cohabiter avec les soldats de Tsahal qui surveillent la zone depuis le toit de sa maison… Non, décidément, Jafaar n’a pas de chance…
Mais un jour, alors qu’il remonte son filet de pêche à la surface, résigné à tomber sur un énième tas de détritus, il remonte une “cochonnerie” un peu plus lourde que les autres, et des plus surprenantes : un cochon vivant de plus de cinquante kilos!
Jafaar est bien embarrassé, car il ne sait que faire de la bête. Le porc étant impur pour les musulmans et les juifs, il ne peut pas le laisser fouler le sol palestinien, ni le vendre à un commerçant israélien, ni même égorger l’encombrant animal sous peine de se souiller les mains.
Il tente de le refourguer au seul “mangeur de porc” qu’il connaisse, l’observateur allemand de l’ONU, mais il tombe au mauvais moment et doit subir la colère homérique de ce dernier, épuisé d’arbitrer les bisbilles sans fin entre les deux peuples…
Il demande conseil à son ami coiffeur, qui lui conseille de se débarrasser au plus vite de l’animal et lui prête même une mitrailleuse pour l’éliminer facilement. Mais Jafaar ne peut se résoudre à tuer l’animal de ses propres mains…
Son dernier espoir est le camp de migrants russes installé à proximité du mur de séparation, car il sait qu’on y élève des cochons destinés au commerce avec l’occident.
Là encore, il essuie un refus catégorique de la part du chef de village. Pas de cochon palestinien dans son kibboutz!
Cependant, alors que le vieux pêcheur s’apprête à quitter les lieux, Yelena, l’éleveuse de porcs du camp, affirme au vieux pêcheur qu’elle peut être intéressée par son cochon, s’il s’agit d’un mâle.
Jafaar croit que sa chance a enfin tourné car l’animal est bien pourvu d’une paire de coucougnettes. Il pense pouvoir tranquillement le revendre à la jeune femme et toucher un petit pactole qui lui permettrait de payer ses dettes.
Mais les choses ne sont pas si simples que cela…
Yelena agit à l’insu des membres de la communauté, qui voient d’un mauvais oeil cet élevage porcin. Elle ne peut pas vraiment accueillir l’animal et a juste besoin de… sa semence!
Jaffar va devoir mettre la main à la pâte, à la patte et euh… autre chose pour pouvoir gagner les quelques shekels dont il a besoin pour vivre. Mais il doit composer avec la méfiance des policiers israéliens, les doutes de sa femme et un certain nombre de questionnements moraux liés à la religion…
Le Cochon de Gaza exploite toutes les pistes narratives qu’offre sa situation de départ, des plus cocasses, et cela donne une bien jolie comédie, truffée de scènes très drôles et de péripéties rocambolesques – comme le déguisement du cochon en mouton de l’Aīd…
Mais, évidemment, cette trame comique est surtout prétexte à traiter de ce conflit israélo-palestinien qui dure depuis près de cent ans et à prôner la réconciliation des peuples.
Le réalisateur de ce film, Sylvain Estibal, n’est ni palestinien, ni israélien, mais français. Il apporte le point de vue d’un observateur extérieur sur la vie dans la bande de Gaza, sans jamais chercher à prendre parti pour l’un ou l’autre des peuples opposés mais en se moquant gentiment des comportements excessifs des habitants.
Le cinéaste renvoie dos à dos les militaires israéliens trop zélés qui méprisent les citoyens arabes, prisonniers de leur propre terre, et les miliciens palestiniens qui s’associent aux fondamentalistes religieux pour commettre des attentats- suicides aux conséquences néfastes pour le processus de paix. Il raille les situations absurdes qui ne font qu’envenimer les relations entre les deux communautés. Et surtout, il profite de son drôle de scénario pour rassembler les populations, les contraindre à un dialogue, fût-il fugace…
On voit ainsi l’épouse de Jafaar et le soldat israélien posté au-dessus de leur maison regarder ensemble la même télénovela brésilienne, où un homme et une femme passent leur temps à se déchirer, entre amour et haine, et commenter l’action en se rendant compte qu’ils ne sont pas si différents de ces personnages. “A la fin, ils finiront par s’entendre et cohabiter” prédit le jeune soldat…
Pour bien appuyer le propos, le cinéaste a malicieusement choisi de faire incarner Jafaar le palestinien par un acteur israélien – l’excellent Sasson Gabai, vu notamment dans La Visite de la fanfare – et Yelena la juive russe par une actrice tunisienne – Myriam Tekaïa, elle aussi très bien…
Une façon de montrer que les deux peuples peuvent très facilement se retrouver autour de projets communs, de valeurs communes et oeuvrer ensemble pour la paix.
D’ailleurs, dans le film, tout le monde se retrouvera côte-à-côte : les milices des deux camps oublieront leurs différents pour traquer ensemble l’animal impur qui menace de souiller leurs sols sacrés. Et Jafaar et Yelena seront obligés de fuir ensemble cette agitation grotesque…
Réussiront-ils à s’échapper et à survivre à la vindicte des extrémistes de tous poils? Dans la vraie vie, on dirait non, probablement pas, vu la tension qui règne dans la bande de Gaza et la surveillance étroite de la frontière… Mais Sylvain Estibal, lui, choisit de laisser le spectateur libre d’interpréter la fin du film, qui, en une séquence sublime, bascule dans une sorte de fable onirique. Un rêve de paix et d’harmonie, de réconciliation et de vie commune.
Les personnages principaux, plus le cochon, parviennent à passer de l’autre côté du mur de séparation et monter sur une minuscule barque. Au bout d’un moment, ils finissent bien sûr par se disputer assez vivement. Mais, épuisés, tout le monde finit par s’endormir et au petit matin, ils accostent sur une terre nouvelle. Un lieu où palestiniens et israéliens se retrouvent ensemble, mélangés les uns aux autres et heureux. Un lieu où les jeunes handicapés des deux communautés, victimes d’attentats ou d’expéditions punitives, s’adonnent à des concours de hip-hop, une façon de célébrer la vie plutôt que la mort et de se retrouver autour de valeurs et de plaisirs communs…
Alors que le conflit israélo-palestinien n’est toujours pas réglé, que le moindre accrochage peut embraser une zone du monde qui a déjà beaucoup souffert, Le Cochon de Gaza est une oeuvre utile, pleine de finesse et d’intelligence, une jolie pierre apportée à l’édifice fragile de la Paix et de la réconciliation. A découvrir, donc…
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When pigs have wings
Réalisateur : Sylvain Estibal
Avec : Sasson Gabai, Baya Belal, Myriam Tekaïa, Gassan Abbas, Lotfi Abdelli, Ulrich Tukur
Origine : France, Allemagne, Belgique
Genre : Fable pacifiste et film cochon vraiment excitant
Durée : 1h39
Date de sortie France : 21/09/2011
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : - (pas trouvé…)
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