Le film romantique n’est pas une espèce en voie de disparition dans la jungle hollywoodienne…
Les majors en produisent à la pelle car c’est moins coûteux qu’une grosse machine plein d’effets spéciaux et que ça peut rapporter beaucoup au box-office. En plus, ça permet souvent de relancer les carrières moribondes de certaines stars ou de lancer de jeunes premiers…
Le revers de la médaille, c’est que tous ces films utilisent tous les mêmes recettes, les mêmes schémas narratifs usés jusqu’à la corde et ne brillent donc pas franchement par leur originalité. Et évidemment, à de rares exceptions, les grands cinéastes ne s’intéressent plus vraiment à ce type de productions purement commerciales…
Aussi, on ne pouvait que s’intéresser à Restless, mélo romantique produit dans le giron hollywoodien par la comédienne Bryce Dallas Howard, mais dont la mise en scène a été confiée à Gus Van Sant, un vrai cinéaste, à mille lieues des tièdes tâcherons habituellement engagés par les studios.
Le résultat est visible dès la première scène, avec la mise en place d’une ambiance particulière, à la poésie vénéneuse.
On y voit le protagoniste principal, Enoch, s’allonge sur le sol, en pleine rue, et entoure sa silhouette de craie, comme e fait la police pour dessiner la place d’un cadavre sur une scène de crime ou d’accident…
Une drôle d’occupation, non? Et ce n’est pas le seul loisir macabre du jeune homme, qui joue à la bataille navale avec le fantôme d’un kamikaze japonais mort pendant la seconde guerre mondiale et fréquente beaucoup les funérariums, assistant aux obsèques de parfaits inconnus…
C’est au cours d’une de ces cérémonies qu’il fait la connaissance d’Annabel.
Elle aussi a de curieuses occupations : elle aime traîner dans les cimetières pour dessiner les oiseaux et les scarabées, est fan de Charles Darwin et des théories évolutionnistes et est incollable sur les oiseaux marins…
La jeune femme, ayant deviné le petit manège d’Enoch, décide de l’accompagner à un autre enterrement. Ils sympathisent très vite, puis tombent amoureux l’un de l’autre…
Le schéma classique, quoi… Sauf qu’à l’énoncé du synopsis, vous aurez compris que ce film d’amour baigne dans un climat funèbre qu’accentue le choix d’une photo aux tonalités grisâtres et aux couleurs automnales. Oui, Restless est un film hanté par la mort…
On nous explique très vite qu’Enoch a perdu ses parents dans un accident de voiture dont il a miraculeusement réchappé, et que, alors plongé dans le coma, il n’a pas pu assister à leurs funérailles. Depuis, il assiste aux obsèques d’inconnus pour tenter, en vain, de faire son deuil, et végète dans un état de spleen profond.
Annabel, elle, est au contraire pleine de vitalité. Elle entend profiter de chaque seconde, de chaque plaisir offert par l’existence. Il faut dire que le temps qui lui reste à vivre est compté. La jeune femme, atteinte d’un cancer incurable, a été placée dans un pavillon de soins palliatifs à l’hôpital.
Evitant soigneusement les pièges du mélodrame hollywoodien de base, Gus Van Sant privilégie l’intimisme au détriment du pathos, et délaisse les effets tire-larmes pour se concentrer sur la drôle de relation qui se noue entre ses personnages principaux.
Ce qui l’intéresse, c’est ce qu’Enoch et Annabel s’apportent mutuellement, et comment se construit leur idylle.
Elle lui redonne de l’énergie, le pousse à sortir de sa coquille et à réapprendre à vivre. Il l’aide à se préparer au grand voyage, à accepter sereinement cette fin de vie prématurée et forcément injuste.
Leur amour, c’est un rayon de lumière qui perce les nuages, des fragments de temps suspendu qui défient la mort, de la douceur qui enveloppe la douleur… Un apaisement communicatif qui gagne peu à peu le spectateur, et qui confère au film un charme certain, persistant même après la projection…
La singularité de ce film, c’est d’emprunter des sentiers archi-balisés tout en donnant l’impression de prendre des chemins de traverse et de flâner en route.
Sa tonalité générale est trop grise, trop funèbre, pour que l’on puisse le comparer aux habituelles comédies romantiques hollywoodiennes, mais elle est aussi trop lumineuse, trop retenue, pour s’inscrire dans la catégorie des ersatz de Love Story. Si on devait rapprocher Restless d’oeuvres existantes, on citerait volontiers des films comme Harold et Maud ou Garden State, qui sont, ça tombe bien, les références avouées de Van Sant et de l’auteur du scénario, Jason Lew.
Mais le film possède son propre style, son propre tempo…
… et ce tempo constitue justement le point faible du film.
L’entame du film est enlevée et nous plonge immédiatement dans l’univers si particulier de ces deux personnages. Le dénouement émeut tout en évitant le déballage d’émotions faciles, et est également parfaitement mis en scène.
Mais entre les deux, il y a quand même de sacrées longueurs. Et ces baisses de rythme laissent entrevoir les vieilles ficelles scénaristiques jusque-là soigneusement camouflées. Dommage…
Et puis, il faut bien dire, également, qu’il s’agit d’un film “mineur” dans la carrière de Gus Van Sant. Film commercial oblige, on est loin des audaces stylistiques et narratives d’Elephant, Last days ou Gerry, bien que le cinéaste s’autorise quand même quelques expérimentations, en jouant beaucoup, par exemple, sur les silences.
Mais ceci n’empêche pas Restless d’être un film tout à fait recommandable. Pour sa tonalité particulière, donc, et le soin apporté à la mise en scène. Pour sa bande-son mélancolique. Pour ses jeunes acteurs principaux, épatants de retenue et de grâce : Mia Wasikowska, l’Alice de Tim Burton, et Henry Hopper, fils du regretté Dennis Hopper. Pour son casting tout court, de Ryo Kase à Jane Adams, en passant par Schuyler Fisk…
Et pour la façon, pas si courante, dont Gus Van Sant parvient à composer avec les contraintes d’un film hollywoodien et les codes de genres très figés, très balisés, pour livrer une oeuvre plus personnelle qu’il n’y paraît…
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Restless
Réalisateur : Gus Van Sant
Avec : Henry Hopper, Mia Wasikowska, Ryo Kase, Schuyler Fisk, Jane Adams
Origine : Etats-Unis
Genre : Love Story selon Gus Van Sant
Durée : 1h35
Date de sortie France : 21/09/2011
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Libération
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