“Un été brûlant” de Philippe Garrel

Il y a deux bonnes idées dans Un été brûlant, le nouveau film de Philippe Garrel.

La première est d’offrir à Monica Bellucci un rôle à la mesure de son talent. Celui d’Angèle, une actrice célèbre, objet de tous les désirs et de tous les fantasmes, mais plus vraiment ceux de son mari Frédéric, un artiste-peintre plus jeune qu’elle.
Elle était sa muse. Il passait des heures à la peindre sous tous les angles. Désormais, il ne regarde plus, ou plus de la même façon. Il l’aime toujours, continue de se montrer jaloux quand d’autres hommes la regardent avec envie, mais le fossé entre eux semble grandir. Il la garde un peu comme un objet de valeur, une pièce de collection qu’il est fier d’exhiber. Elle rêve encore d’amour et d’étreintes passionnées… Un jour, elle prend son courage à deux mains et décide de le quitter pour un autre…

Un été brûlant - 2

La seconde bonne idée est de filmer la fin de cette histoire d’amour à Rome, ville à la fois pleine de vie, marquée par un tumulte et un bouillonnement très latins, et ancrée dans le passé, avec ses monuments chargés d’histoire antique.
Des vestiges, des ruines…
Lorsque le narrateur du film rencontre pour la première fois Frédéric, par le biais d’un ami commun, le peintre déclare que depuis qu’il a emménagé à Rome, il a perdu de son inspiration : “Il n’y a que des choses mortes, ici…”.
Angèle, elle voit sa carrière prendre un nouvel élan. Les critiques de son dernier long-métrage sont dithyrambiques et elle s’apprête à tourner un nouveau film à Cinecittà, le haut lieu du cinéma italien.

Est-ce parce qu’il supporte mal de voir son épouse mieux réussir que lui? Est-ce parce que le regain de notoriété d’Angèle lui vaut l’admiration de nombreux autres hommes, ce qui a le don de le rendre malade de jalousie?
Toujours est-il que le couple est ébranlé par cette nouvelle donne.
Alors que dehors, le soleil estival rayonne, baignant les lieux et les personnes dans une douce chaleur, la relation entre Angèle et Frédéric est au contraire de plus en plus froide et crépusculaire. Leur amour, déjà fissuré par les écarts extraconjugaux de l’un et de l’autre, se désagrège lentement mais sûrement à mesure que grandit leur incommunicabilité et la sensation de n’être plus liés que par une certaine routine bourgeoise.

Un été brûlant - 4

C’est l’arrivée d’un couple d’amis qui va définitivement faire exploser le ménage : Frédéric invite le narrateur, Paul, un acteur débutant amateur d’art, à passer quelques temps à Rome, dans sa villa. Le jeune homme débarque donc avec sa nouvelle compagne, Elisabeth, également actrice et rencontrée sur un tournage en commun.
Il apparaît très vite que ce jeune couple est à l’opposé de celui formé par leurs hôtes. Ou plutôt, qu’il ressemble à Angèle et Frédéric, au début de leur liaison. Ils sont amoureux, un peu inquiets de cet avenir commun qui s’ouvre devant eux mais fusionnels et déterminés à être heureux ensemble, alors que le peintre et la star de cinéma semblent définitivement malheureux. Le contraste est saisissant.

De même, les différences de philosophie de vie de Paul et Frédéric éclatent au grand jour. Le premier est dans l’action, dans le combat. C’est un idéaliste qui a foi en l’avenir. Il croit aux idéaux révolutionnaires, à la politique, à l’égalité sociale… Le second est dans le renoncement, la passivité, l’immobilisme. Il mène une vie oisive de petit-bourgeois. Il a perdu ses illusions politiques depuis longtemps et ne croit plus en grand-chose, excepté son intérêt personnel.

Un été brûlant - 3

Angèle, a elle-aussi perdu de son innocence, mais elle est encore dans le mouvement. Elle aime, elle danse, elle profite de la vie et a encore envie de se battre pour atteindre le bonheur. Frédéric, malgré son âge, n’est déjà plus qu’une ombre, un fantôme. Il est vidé, atone, errant sans but précis et sans envie. Plus que son couple, c’est tout son être qui se désagrège.
Des vestiges, des ruines… 
… Et des cendres… Puisque, dès la séquence inaugurale, on voit le jeune homme, désespéré et hanté par le souvenir d’Angèle, mettre fin à ses jours, au volant de sa voiture.

Un été brûlant, avec sa trame narrative joliment architecturée qui évoque Le Mépris de Godard, avait tout pour donner un très bon film. D’autant que Philippe Garrel et son chef-opérateur, Willy Kurant, ont particulièrement soigné l’emballage visuel du film : couleurs éclatantes, jeux de lumière mettant en valeur les visages et les corps…
Et que le cinéaste peu compter sur une Monica Bellucci solaire, charnelle, rayonnante, dont le talent éclate lors de deux superbes scènes : une danse torride, étourdissante, filmée en un long plan-séquence. Et la scène de rupture, où l’actrice reste longtemps les yeux baissés face à son partenaire, avant de lui balancer un regard plein d’assurance qui en dit plus long que des lignes de dialogues…
Oui, ce film ne manquait pas d’atouts et on aurait vraiment aimé pouvoir en livrer une critique très positive.

Un été brûlant - 5

Hélas, force est de constater que l’ensemble ne fonctionne pas totalement.
La faute, déjà, à Louis Garrel, fils du cinéaste et acteur principal de ce film, comme dans Les Amants réguliers et La Frontière de l’aube. Il n’était pas idiot de lui confier ce rôle d’artiste blasé et dépressif, cadrant bien avec son apparente nonchalance. Mais Louis Garrel, une fois n’est pas coutume, réussit la prouesse de faire ce que l’on pourrait appeler du “cabotinage neurasthénique”. A surligner maladroitement le côté apathique de son personnage, il donne l’impression d’être assez peu concerné par son personnage ou par l’intrigue, et de ce fait, on a du mal à croire à son histoire passionnelle avec Monica Bellucci, qui est quand même au coeur du récit.

La faute, également, à cette façon qu’a Philippe Garrel de vouloir à tout prix traiter de questions politiques en filigrane de son oeuvre. Il est vrai que c’est sa marque de fabrique, et on ne lui en voudra certainement pas de rester fidèle à son image d’artiste engagé. Mais on l’a connu un peu plus habile qu’ici… Certaines scènes, comme l’intervention policière à laquelle assistent Frédéric et Paul, donne la désagréable impression de tomber un peu “comme un cheveu sur la soupe”, ce qui en atténue évidemment la portée.

La faute, enfin, à un rythme souvent étiré plus que de raison. Là encore, il s’agit d’une des composantes du style Garrel et ce tempo très lent colle bien à l’immobilisme du couple. Mais un peu plus de rythme pour les scènes faisant intervenir les autres personnages ou pour les scènes où Angèle cherche à gagner son indépendance aurait pu aider à mieux adhérer à ce bel objet un peu trop froid, bien loin des promesses du titre…

Bref, Un été brûlant est à l’image de bon nombre de longs-métrages de la filmographie de Philippe Garrel, intéressant mais inabouti, passionnant sur le fond mais ennuyeux sur la forme, à la fois maîtrisé et bricolé. En un mot : “frustrant”.

  

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Un été brûlantUn été brûlant
Un été brûlant

Réalisateur : Philippe Garrel
Avec : Louis Garrel, Monica Bellucci, Céline Sallette, Jérôme Robart, Maurice Garrel, Vladislav Galard 
Origine : France
Genre : les histoires d’amour finissent mal en général
Durée : 1h35
Date de sortie France : 28/09/2011
Note pour ce film : ●●●○○○

contrepoint critique chez : Libération

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