Nicolas Winding Refn est un cinéaste assez insaisissable, qui, à chaque nouveau film, aime prendre le spectateur à contrepied tout en construisant une oeuvre cohérente.
Il s’est d’abord fait connaître avec Pusher, plongée dans les bas-fonds de Copenhague et l’univers des dealers de drogue – et premier gros succès public dans son pays d’origine.
Dans le même esprit, et avec les mêmes acteurs, il a enchaîné avec Bleeder, variation noire sur le thème de la folie, avant de s’essayer au thriller lynchien en tournant Inside job, à la fois enquête psychanalytique et puzzle mental offrant à John Turturro un des plus beaux rôles de sa carrière.
Deux bides au box-office qui l’ont contraint à accepter de retourner à un cinéma plus “commercial” et de donner une suite à Pusher. D’abord très réticent à l’idée de s’abandonner à un cinéma “populaire”, Winding Refn a su transformer les contraintes en atouts et livrer non pas une, mais deux suites à son premier long-métrage, constituant ainsi une passionnante trilogie autour de la violence, chacune articulée autour d’un des personnages secondaire des autres films.
Une démarche intelligente, un exercice de style brillant, une narration époustouflante…
Remis en scène, il a pu se lancer dans de nouvelles expérimentations, avec l’excellent Bronson, biopic original du détenu le plus violent de Grande-Bretagne, Charlie Bronson, puis avec Le Guerrier silencieux films de vikings curieusement contemplatif et métaphysique.
Polars à fond social, thrillers anxiogènes aux confins du fantastique, portrait stylisé, film d’aventures intimiste… Chaque fois, le cinéaste aborde un nouveau genre et le fait avec une approche novatrice, au risque de dérouter le grand public ou une partie de ses fans. Son style fait parfois penser à Kubrick, à Lynch, aux frères Coen, à Scorsese ou à son compatriote Lars Von Trier tout en s’affranchissant totalement de ces références…
Oui, le bonhomme est assez insaisissable et rebondit encore là où on ne l’attendait pas.
Après son Guerrier silencieux, très lent, délibérément anti-spectaculaire et tourné au Danemark avec un petit budget et une équipe réduite, Drive est, en toute logique, un film hollywoodien au budget plus confortable, mené à un train d’enfer et truffé de séquences plus spectaculaires les unes que les autres…
Ryan Gosling y campe un jeune homme apparemment bien sous tous rapports : calme, discret, plein d’assurance…
Un profil de gendre idéal ou de golden-boy de la finance.
Sauf que non, pas vraiment… Son métier ne consiste pas à éviter les krachs (boursiers), mais à provoquer des crashs (automobiles). Il est cascadeur pour Hollywood et est payé pour exécuter toutes les séquences à risques impliquant des voitures. Un métier sympa, mais qui ne rapporte pas énormément d’argent au regard des risques pris. Alors, la nuit, notre bonhomme sert de chauffeur à des gangsters lors de spectaculaires braquages à main armée. Ah oui, son image de gendre idéal en prend un coup, mais que voulez-vous, quand on est un virtuose du pilotage, doté de très bons réflexes, de sang-froid et de beaucoup de jugeote, autant faire fructifier tout ça…
Et puis, il a quand même une ligne de conduite très droite, très pure : il se refuse à porter une arme et à participer aux braquages. Sa tâche se borne à attendre dans la voiture le retour des braqueurs, et les conduire en lieu sûr, en semant au passage les forces de l’ordre. Point. Il reste en retrait et ne discute pas avec les autres gangsters. Il fait ce qu’il a à faire, sans armes ni violence, et se contente d’empocher sa part…
C’est une sorte de héros solitaire…
Et comme tous les héros solitaires, il ne serait pas contre un peu d’affection, voire d’un peu d’amour. Aussi, il s’entiche d’Irène (Carey Mulligan), une jeune femme qui élève seule son fils depuis que son petit truand de mari est en prison.
Son rêve de fonder une famille et de trouver une vie normale se brise quand ledit mari sort de prison. Mais comme notre héros a vraiment la classe et est grand seigneur, il accepte de s’effacer. Mieux, quand le mari se retrouve contraint de participer à un nouveau braquage pour effacer ses dettes, un coup soit-disant “facile”, il accepte de lui servir de chauffeur…
Mais évidemment, les choses ne vont pas se passer comme prévu, et le pilote va se retrouver malgré lui entraîné dans une spirale de violence et de mort…
Sur le papier, le scénario est assez rudimentaire. C’est une trame de film noir classique, avec un personnage principal qui, par amour, se retrouve embringué dans une situation périlleuse, mais le traitement est résolument celui d’une série B décomplexée, dans l’esprit des films d’exploitation des années 1970.
Réalisé par un autre cinéaste que Nicolas Winding Refn, Drive n’aurait sûrement été qu’un honorable thriller (version optimiste) ou un épouvantable nanar (version pessimiste). Mais c’est bien le cinéaste danois qui est aux commandes de ce long-métrage, et cela se voit dès les premières secondes de l’oeuvre…
Nicolas Winding Refn est un cinéaste assez insaisissable… Il n’est pas du genre à se contenter d’honorer platement un film de commande, comme tant de cinéastes étrangers venus se perdre dans les méandres du système hollywoodien. Alors, comme pour les deux derniers épisodes de Pusher, il se sert des contraintes comme d’un moteur – c’est de circonstance – et s’applique à dépoussiérer les codes du genre pour mieux le réinventer.
Les figures imposées sont bien là, les personnages obéissent à certains stéréotypes, la trame évolue de manière linéaire… Mais le style est très différent des habituelles productions américaines. Les cadrages sont différents, plus “européens”, le découpage narratif joue sur les fluctuations de rythme plutôt que d’imposer un montage épileptique, la plupart des effets scénaristiques ont été élagués… Cela donne un polar qui va à l’essentiel, parfaitement rythmé et terriblement efficace… Un joyau noir bien brut, qui réussit la gageure d’être à la fois un divertissement de haute tenue, un objet d’art et une oeuvre finalement assez personnelle, qui trouve parfaitement sa place dans la filmographie de son réalisateur…
Car si Winding Refn est un cinéaste assez insaisissable, qui aime surprendre, provoquer, dérouter, en passant d’un univers à l’autre, d’un genre à l’autre, d’un continent à l’autre, il est aussi, d’une certaine façon, extrêmement prévisible – pour notre plus grand bonheur – en restant fidèle à certaines valeurs artistiques, à certains principes de mise en scène…
On sait très bien, par exemple, que Nicolas Winding Refn ne va pas pouvoir s’empêcher de soigner l’esthétique de son film, en peaufinant les détails, en jouant sur les clairs-obscurs, sur les couleurs,…
Qu’on adhère ou pas au contenu de ses oeuvres, qu’on cautionne ou non son style, il faut bien reconnaître que chacune d’entre elles constitue une vraie claque visuelle, dans des registres différents.
Une claque sonore, également, la plupart du temps, la bande-son servant aussi de fil conducteur au récit…
On sait aussi que le réalisateur danois va nous offrir de vrais grands moments de cinéma. Des morceaux de bravoures exécutés à la perfection, des mouvements de caméras audacieux, des scènes mémorables…
Des scènes influencées par d’autres cinéastes diront certains… Oui, d’accord… Et alors? Chaque cinéaste est influencé par d’autres artistes. C’est inévitable. Nicolas Winding Refn a au moins le bon goût de ne s’inspirer que des meilleurs (Kubrick, Lynch, Mann, Carpenter, etc…). Et surtout, il a su digérer toutes ces influences, plus ou moins visibles, pour se forger son propre style. Oui, il y a une patte Winding Refn. On la retrouve distinctement dans ses sept longs-métrages, et elle a tendance à s’affiner de film en film… Et son sens de la narration est évident, ce qui est quand même une sacrée qualité…
On sait qu’il va nous livrer une nouvelle variation sur le thème de la violence, au coeur de son oeuvre.
En d’autres termes, qu’il va s’approprier le scénario pour en faire un film personnel, dans la droite ligne du reste de son travail…
Enfin, on sait que Nicolas Winding Refn est un formidable directeur d’acteurs, capable de tirer le meilleur de ses interprètes. Il a quand même révélé Mads Mikkelsen (Pusher) et Tom Hardy (Bronson)… Ce n’est pas rien…
Ici, il relance la carrière de Carey Mulligan, touchante en femme de petit voyou poursuivie par la violence, et celle de Ron Perlman, trogne parfaite pour incarner un gangster psychopathe. Il s’appuie sur les performances d’Oscar Isaac, Bryan Cranston ou Albert Brooks, seconds rôles solides.
Et bien sûr, il offre un beau rôle de chevalier des temps modernes à Ryan Gosling, attachant et fascinant pilote aux nerfs d’acier et à l’attitude parfaitement stoïque – sauf quand on le chauffe un peu trop et qu’il se montre capable d’impressionnants accès de rage et de violence… Un personnage culte en puissance. Pour un film culte?
Certains ont parlé de “film de l’année”, de “chef d’oeuvre”, de “futur classique”…
Quitte à se mettre à dos quelques confrères et amis inconditionnels de ce film, nous ne serons pas aussi dithyrambiques, car pour nous, Drive est avant tout un exercice de style. Brillant, certes, réjouissant, on est d’accord, mais moins ambitieux que Le Guerrier silencieux (auquel nous n’avons pourtant pas totalement adhéré) et moins audacieux formellement que Bronson (que nous avons adoré).
Maintenant, cela ne nous empêche pas de considérer Drive comme un très bon film, apte à satisfaire aussi bien les amateurs de film d’action que les partisans d’un cinéma plus art & essai. Une oeuvre que l’on prend plaisir à regarder (si on n’est pas trop sensible à la vue du sang, qui finira bien par couler…) et à écouter, grâce à une bande-son planante, parfaitement adaptée à l’atmosphère du récit. Et une oeuvre qui impose définitivement Nicolas Winding Refn comme un grand cinéaste. Le jury du dernier festival de Cannes ne s’y est pas trompé en lui attribuant un prix de la mise en scène qui n’a rien de scandaleux…
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Drive
Drive
Réalisateur : Nicolas Winding Refn
Avec : Ryan Gosling, Carey Mulligan, Ron Perlman, Oscar Isaac, Bryan Cranston, Albert Brooks
Origine : Etats-Unis
Genre : bolide rutilant
Durée : 1h40
Date de sortie France : 05/10/2011
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Silence action! (pour le très positif)
Christoblog (pour le très négatif)
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