“La Couleur des sentiments” de Tate Taylor

Par Boustoune

Aujourd’hui, les Etats-Unis sont dirigés par un président de race noire, Barack Obama. Avant lui, des personnalités comme Condoleeza Rice ou Colin Powell ont ouvert la voie en occupant des fonctions importante dans le gouvernement.
De grandes sociétés sont dirigées par des afro-américains, et de nombreux représentants de la communauté noire sont des stars du sport, de la musique, du cinéma ou des média…
Les choses évoluent de façon positive, mais le chemin est encore long avant que l’on parvienne à une véritable égalité entre les races. La xénophobie et les préjugés ont la dent dure, et on a un peu tendance à oublier qu’il y a tout juste cinquante ans, la ségrégation raciale était en vigueur dans le “Pays de la Liberté”, que les citoyens noirs n’avaient pas le droit de vote, ni même le droit de s’exprimer publiquement, et qu’ils étaient le plus souvent exploités par des employeurs blancs dominateurs, notamment dans les états du sud, qui pratiquaient l’esclavagisme…

Alors une petite piqûre de rappel, ça ne fait jamais de mal…
Adaptation du best-seller de Kathryn Stockett (1) (“The Help”, en anglais), La Couleur des sentiments s’intéresse au sort d’un groupe de domestiques noires d’une petite ville de Jackson, Mississipi, dans l’Amérique des années 1960, à l’aube de la lutte pour les droits civiques.
Skeeter (Emma Stone), une jeune femme blanche issue de la bourgeoisie locale, prend conscience de l’injustice que représente cette ségrégation. Pendant qu’elle se consacrait à ses études pour devenir journaliste, ses amies d’enfance sont devenues de parfaites maîtresses de maison sudistes, hautaines et méprisantes vis-à-vis de leurs domestiques.
Skeeter, qui a été élevée par une nounou noire qu’elle aime autant, sinon plus, que sa propre mère, trouve absurde cette attitude qui consiste à traiter les hommes et les femmes de race noir comme des sous-hommes, des moins que rien, presque des esclaves, bien que cette pratique soit prohibée depuis près d’un siècle. Elle s’indigne qu’autour d’elle, tout le monde trouve cela normal, et que ses amies soit encore plus racistes et autoritaires que leurs parents.

Quand Hilly Holbrook (Bryce Dallas Howard), la plus grande peste de la ville, tente de faire valider une loi qui interdise aux noirs l’accès aux toilettes de leurs employeurs, Skeeter décide de se rebeller. Elle décide d’écrire un livre sur la condition des domestiques noires du Mississipi et entreprend en secret d’interviewer les bonnes de ses amies.

Mais évidemment, ces femmes ne sont pas très enthousiastes à l’idée de lui confier leurs états d’âmes. Déjà parce que le simple fait qu’une blanche s’intéresse à elles leur semble incongru. Ensuite parce qu’elles craignent de perdre leurs emplois. Même si elles s’estiment exploitées par leurs patrons, même si elles souffrent de ce racisme ambiant, elles ont besoin de travailler pour faire vivre leur famille et éventuellement, envoyer leurs enfants à l’école, pour qu’ils aient la chance un jour d’échapper à cette existence miséreuse…

L’une d’elles, pourtant, excédée par l’attitude de ses patrons esclavagistes, va prendre son courage à deux mains et accepter de collaborer avec Skeeter.
Elle s’appelle Aibileen (Viola Davis) et est au service d’une des amies de Skeeter. Ensemble, elles vont rédiger l’ébauche d’un livre-témoignage percutant et convaincre les autres domestiques à se confier elles aussi…

Disons le tout de go, La Couleur des sentiments, comme son titre l’indique, est un mélodrame hollywoodien très classique, aux péripéties prévisibles et à l’émotion calibrée. Et la mise en scène, assez platement illustrative, de Tate Taylor ne réussit pas vraiment à transcender le sujet.

Mais il faut aussi reconnaître que l’ensemble est très correctement mené et se laisse suivre avec plaisir.
Même si Tate Taylor n’est pas – ou pas encore – un grand réalisateur, il connaît bien son sujet et l’a abordé avec beaucoup de volonté et d’envie. S’il est aux commandes de ce beau blockbuster, c’est qu’il a eu un coup de coeur pour le roman original, et qu’il a eu le flair d’en acheter les droits d’adaptation avant qu’il ne devienne un best-seller. Il en a écrit seul l’adaptation cinématographique et n’a laissé à personne d’autre que lui le soin de le réaliser.

Sans doute conscient de ses limites en matière de mise en scène, il a eu l’intelligence de s’entourer de personnes compétentes pour l’épauler : le vétéran Stephen Goldblatt comme chef-opérateur, l’oscarisé Hughes Winborne comme monteur et Thomas Newmann comme compositeur…
Plus, évidemment, un casting féminin haut de gamme et assez bien équilibré.

Même si quelques actrices en font des tonnes – Bryce Dallas Howard en tête, dans le rôle de la méchante de service -aucune des interprètes ne cherche à tirer la couverture à elle.
Emma Stone est d’emblée attachante et permet immédiatement au spectateur d’être entraîné dans cette histoire. Les deux principales comédiennes noires sont également impeccables. Octavia Spencer, habituellement sous-employée dans des seconds rôles d’infirmière, de serveuse ou de passante anonyme, fait preuve d’un bel abattage comique et d’une indéniable présence à l’écran. Sa prestation devrait enfin lui offrir l’accès à des personnages plus consistants.
Viola Davis était un peu plus connue que sa partenaire, notamment grâce à sa performance remarquée – et remarquable – dans Doute, mais n’avait pas encore eu l’occasion de briller dans un rôle majeur. Chose faite avec La Couleur des sentiments, où elle gagne ses galons d’actrice de premier plan.
A côté de ce sympathique trio, on retrouve, excusez du peu, Jessica Chastain, omniprésente à l’écran cette année, Sissy Spacek, Mary Steenburgen et Allison Janney…

L’ensemble est bien rythmé. On ne s’ennuie pas une seconde. On rit souvent, même si le scénario insiste un peu trop sur le gag récurrent – et un peu gras – d’une tarte au chocolat un peu spéciale. Et surtout, on finit par être ému par cette histoire qui exalte ces valeurs fondamentales que sont la tolérance, le respect, la solidarité, l’égalité entre les races et les sexes.
C’est bien là le principal. Le message passe parfaitement.
Certains le trouveront probablement archaïque, ou un brin naïf. Ils n’ont pas tort… Mais il faut bien comprendre que le film s’adresse à un large public, dans lequel se trouvent sûrement des personnes encore bourrées de préjugés à l’égard des “gens de couleur”. Pas forcément par méchanceté. Juste par ignorance, par peur de ce qui est différent…
Si cette histoire et les émotions qu’elle procure réussissaient à infléchir le jugement ne serait-ce que d’une de ces personnes, ce serait déjà une belle réussite.

On touche là au thème central de l’oeuvre : comment l’art peut permettre d’apporter un témoignage, d’éveiller les consciences, de changer un regard sur les choses. Bien sûr, l’engagement politique, abordé dans le film via les discours de Martin Luther King et les manifestations des militants afro-américains en faveur des droits civiques, est toujours nécessaire pour pouvoir obtenir des avancées significatives. Bien sûr, il faut toujours lutter pour obtenir gain de cause, et parfois payer de sa personne. Mais grâce à un simple livre, Aibileen et ses amies réussissent à se faire entendre localement, à faire valoir leur droit à la dignité humaine et au respect.

Un livre, un film, ne peuvent pas changer le monde, mais ils peuvent contribuer à éveiller les consciences, à ouvrir les regards ou du moins, à porter haut des valeurs essentielles et universelles… C’est le cas de La Couleur des sentiments qui, malgré son classicisme et son côté un brin simpliste, nous rappelle combien la tolérance et la fraternité sont des vertus fragiles. Et ce n’est déjà pas si mal…

(1) : “La Couleur des sentiments” de Kathryn Stockett – éd. Chambon Jacqueline

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La Couleur des sentiments
The Help

Réalisateur : Tate Taylor
Avec : Viola Davis, Emma Stone, Octavia Spencer, Bryce Dallas Howard, Jessica Chastain, Allison Janney
Origine : Etats-Unis
Genre : mélo hollywoodien classique
Durée : 2h26
Date de sortie France : 26/10/2011
Note pour ce film : ●●○○
contrepoint critique chez : Télérama

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