A l’occasion de sa sortie en bluray dans une version restaurée, nous parlerons aujourd’hui du film préféré de Martin Scorsese. Une ode à l’art et à la création qui a inspiré nombre de réalisateurs de notre temps, Les Chaussons Rouges.
Michael Powell et Emeric Pressburger est sans doute l’un des duos de réalisateurs les plus créatifs, inspirés et respectés du cinéma britannique des années 40 avec leur société de production indépendante « Production of the Archers» . Après le succès du Narcisse Noir critique qui mettait face à face le duel entre la religion et la chair, les deux compères vont commencer l’écriture des Chaussons Rouges. L’histoire débute comme un film classique sur la danse. Un producteur engage une nouvelle danseuse et un nouveau compositeur pour mettre en scène un ballet inspiré du conte d’Andersen dans lequel une jeune fille trouve des chaussons qui la feront danser jusqu’à la mort. Comme on peut s’y attendre, les deux hommes tombent amoureux de la danseuse et celle-ci devra choisir entre son art et l’amour.
L’histoire est donc classique mais se révèle vite bien plus profonde qu’il n’y parait. Car non seulement les réalisateurs délivrent une véritable démonstration de mise en scène avec une parfaite maitrise technique et une intégration incroyable du Technicolor mais en plus le récit nous emporte dans un ballet d’émotions qui reste encore intact aujourd’hui.
Ce qui avec passionnant avec les Chaussons Rouges, c’est cette double lecture et cette mise en abîme du ballet. En effet, l’utilisation du conte d’Andersen comme spectacle, objet des répétitions de la troupe, est bien à mettre en parallèle avec l’histoire de la danseuse Vicky Page (incarnée avec souffrance par la danseuse professionnelle Moira Shearer). Comme la fillette du conte, elle vit pour danser et seulement pour danser, jusqu’à ce que l’amour remette ce choix en question.
Le film délaisse alors petit à petit son aspect classique pour partir dans des contrées plus oniriques culminant avec cette séquence de ballet de plus d’un quart d’heure au centre du récit. Un ballet dans lequel notre héroïne passe de tableau en tableau, chaussons rouges aux pieds, sublimée par la caméra des réalisateurs qui s’en donnent à cœur joie dans les effets hypnotiques. Un tour de force qui fait non seulement avancer le récit mais lui donne une dimension fantastique inattendue, folle et envoutante.
Mais le film va encore plus loin que ce conte. Car l’histoire des Chaussons Rouges est aussi une histoire tragique sur la vie d’artiste et les choix à faire pour aller au bout de ses envies créatrices. Cette démonstration se fait au travers du ballet, art corporel le plus exigeant qui soit, mais elle aurait pu se faire au travers de la peinture ou de tout autre art. Car c’est bien de création pure qu’il s’agit ici.
Les réalisateurs s’interrogent ici sur la place de la création sur la vie d’artiste. Que se passe-t-il quand un artiste doit choisir entre l’envie d’atteindre la beauté absolue de son art qui le consume et d’autres sentiments comme l’amour ? Jusqu’où peut-il aller pour créer ? Et ces questions qui trouvent ici une issue tragique, inhabituelle pour l’époque, ont de quoi renforcer cette image de l’artiste qui doit souffrir pour atteindre la perfection.
Avec ces thèmes, on comprend alors tout de suite pourquoi Les Chaussons Rouges est un film adulé par nombre de grand cinéastes, de Scorsese à Coppola en passant par Spielberg, De Palma ou Aronofsky. Le film a eu une telle emprise chez eux que l’on trouve de nombreuses références au film dans leurs œuvres, qu’elle soient conscientes ou non, qu’elles sur les sujets traité ou dans la mise en scène. Nombreux ont été les réalisateurs à s’inspirer de Michael Powell et Emeric Pressburger. Il faut dire que le duo tentait à chaque fois de nouvelles choses et nous permet dans les Chaussons Rouges de nous retrouver directement sur scène avec les danseurs. Il y a bien sûr ce morceau de bravoure, ce ballet central, mais la dernière partie du film est toute aussi empreinte de cette folie créatrice des deux réalisateurs.
Malgré cette indéniable réussite artistique, le film fut à l’époque assez mal accueilli par la critique britannique qui attendait plutôt une histoire de danse pour jeunes filles. C’est lorsque le film sorti aux États-Unis avec un succès autant public que critique qu’il commença a écrire son histoire et à s’inscrire dans les grands classiques du cinéma. Et si aujourd’hui la fin n’a pas l’impact émotionnel de l’époque, il en ressort tout de même un film d’une incroyable profondeur et relevé par une mise en scène à la hauteur de ses flamboyantes couleurs.
A noter que le bluray qui vient de sortir chez Carlotta est d’une beauté à couper le souffle pour les images et assortis de près d’une heures de témoignages très intéressants sur la création et l’impact du film. Découvrez sur cinetrafic la catégorie la danse au cinéma.