“L’Art d’aimer” d’Emmanuel Mouret

emmanuel Mouret

Mais qu’est-ce qu’il a de plus que moi, Emmanuel Mouret? Hein? Ne me dites pas le physique. Il n’a pas le sex-appeal d’un Johnny Depp ou d’un George Clooney. On n’irait pas boire un expresso avec lui. Un, pastis, à la rigueur, vu sa tête de jeune Fernandel (1)… Enfin bref, il n’a pas trop l’allure d’un Dom Juan. Et pourtant, à chacun de ses films, il parvient systématiquement à voler un baiser – et plus si affinités – aux plus belles actrices de France et de Navarre. Par exemple, la très charmante Elodie… Navarre, justement, dans son nouvel opus L’Art d’aimer.

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Comme dans Juste un baiser et Fais-moi plaisir!, les précédents longs-métrages du cinéaste, il s’agit d’un marivaudage constitué de plusieurs petites histoires autour de l’Amour et de ses petites complications, une succession de situations assez cocasses où l’intellect vient contrarier le désir érotique, où les élans du coeur se transforment en prise de tête, où l’amour prend des chemins de traverse, fait des détours et joue des tours avant de revenir à son point de départ.

Un compositeur (Stanislas Merhar) cherche désespérément à entendre la petite musique particulière de l’amour et ne réalise pas que ce qu’il joue chaque soir touche en plein coeur des centaines d’auditeurs. Une petite musique que les autres personnages du film vont eux aussi entendre, chacun à leur façon…
Isabelle, une célibataire timide et en manque de sexe (Julie Depardieu) fantasme sur la proposition d’une amie (Pascale Arbillot) de lui prêter son mari pour une nuit, histoire de la “dépanner” mais ne passe pas à l’acte. En revanche, elle accepte d’aider sa copine Amélie (Judith Godrèche) à se sortir d’une situation épineuse. Elle a en effet poussé son meilleur ami (Laurent Stocker) à lui avouer qu’il éprouvait du désir pour elle et depuis, cette irruption brutale des sentiments pèse sur leur relation amicale. Aussi, elle a accepté de coucher avec lui, une seule fois, dans le noir total d’une chambre et sans échanger le moindre mot. Mais, gênée à l’idée d’être infidèle, elle souhaite qu’Isabelle y aille à sa place…

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Vanessa (Elodie Navarre) voudrait bien essayer l’adultère juste une fois avec ce collègue de passage (Emmanuel Mouret, donc) qui va bientôt repartir définitivement à l’étranger. Comme elle et son compagnon (Gaspard Ulliel) se sont jurés de tout se dire, sans tabou ni inhibition, elle lui annonce son projet. Le jeune homme fait d’abord mine d’être compréhensif, ouvert, tolérant, conformément au pacte de relation libre qu’ils ont décidé, mais la jalousie refait bien vite surface…
Dans le même esprit, Emmanuelle (Ariane Ascaride) annonce à son mari qu’elle veut le quitter parce que depuis quelques temps, elle éprouve du désir pour d’autres hommes et qu’elle ne peut plus résister plus longtemps à la tentation. Plutôt que de le rendre fou de jalousie, de lui faire du mal, elle préfère partir…
Enfin, Achille, un vieux beau célibataire (François Cluzet) (2) voit se réaliser le fantasme de la belle (la Bel, plutôt, Frédérique de son prénom) voisine qui vient sonner à sa porte en tenue légère, mais réalise bien vite que la demoiselle aime bien compliquer les choses et qu’il faudra s’armer de patience pour la séduire…

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Bon, soyons francs, il s’agit d’une bien jolie construction, dont le ton oscille entre les contes moraux d’Eric Rohmer et les comédies bavardes de Woody Allen. On peut trouver pire comme références… A plus forte raison si celles-ci ont été correctement digérées et ont permis l’expression d’un style très personnel, qui ne cesse de s’affiner, de gagner en élégance et en fluidité au fil des oeuvres…
Et il faut bien reconnaître que le bonhomme sait ciseler ses répliques. Il y a chez lui un vrai plaisir à manier la langue – hé qu’allez-vous imaginer bande de coquinous! Je vous parle de la langue française, des mots, des verbes, des adjectifs… – et cela se retrouve dans des répliques souvent percutantes.
C’est peut-être cela son secret de séduction, cette petite chose en plus que les autres n’ont pas.

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Ca, et cette façon de filmer ses actrices avec amour, avec infiniment de délicatesse. Chez Mouret, toutes les actrices sont parfaitement mises en valeur. Elles sont belles, désirables, tant physiquement qu’intellectuellement, pleines de charme(s), irrésistibles de drôlerie ou touchantes… Pas étonnant qu’elles veulent toutes – ou presque – tourner avec lui. Et cela n’empêche pas le bonhomme de bien choisir et bien filmer ses acteurs. Mentions spéciales, ici, à François Cluzet, en séducteur rendu dingue par sa voisine et à Philippe Magnan en mari euh… magnanime.

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Ah, désolé pour les jeux de mots foireux…  Mince, il faut bien se rendre à l’évidence. Ce qu’Emmanuel Mouret a de plus que moi, c’est un talent certain pour l’écriture, pour le raffinement des mots. Sans compter un sens de la mise en scène affûté qui lui permet de broder, toujours avec le même bonheur, sur le thème éternel de l’amour.
Comment lutter avec ce gars-là? Peut-être en relevant – quand même – le défaut majeur de ce nouveau film : il est trop court!
On a la désagréable impression, pour verser dans la parabole érotique qui sied au thème central du film, d’un coitus interruptus. Les différents sketches sont réussis, mais on est finalement frustrés du manque de lien entre eux. Certes, les personnages se croisent d’une partie à l’autre, mais les différents récits sont totalement indépendants les uns des autres. On aurait aimé que ces différentes petites histoires se rejoignent pour le dénouement, dans une ultime partie qui aurait pu répondre à la première, celle du compositeur cherchant en vain la petite musique de l’amour et boucle de manière convaincante la structure narrative.
On aurait aussi aimé qu’Emmanuel Mouret soit un peu plus audacieux. Les situations qu’il décrit sont cocasses, mais il n’exploite pas suffisamment leur potentiel comique ou leur ironie cruelle. Dommage…

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N’y voyez là aucune jalousie. On a quand même pris beaucoup de plaisir devant ces petits récits joliment mis en scène et forts bien interprétés. Simplement, on doute qu’ils nous laissent des souvenirs impérissables. En fait, on regrette un peu la fantaisie qui irriguait Laissons Lucie faire! ou Changement d’adresse, et la fraîcheur de Vénus & Fleur, les premiers longs-métrages du cinéaste. Des films moins ambitieux, moins parfaits techniquement, aux dialogues un peu plus théâtraux, mais finalement un peu plus chaleureux. Mais attention, hein! Que cela ne vous empêche pas d’aller voir ce sympathique marivaudage qui célèbre L’Art d’aimer. De toute façon, il est irrésistible, cet Emmanuel Mouret. Ah, je suis un peu jaloux, quand même !

(1) : Vous m’excuserez, cher Emmanuel Mouret, cette indélicatesse obéissant à une certaine facilité plumitive et à une pointe de jalousie. En même temps, je vous souhaite la même notoriété que ce grand bonhomme du cinéma que fut Fernandel.
(2) : Vous m’excuserez, cher François Cluzet, de cette indélicatesse obéissant à une certaine facilité plumitive et à une pointe de jalousie. En même temps, je dois reconnaître que je vous admire beaucoup, même quand vous chassez les taupes à coups de marteau – quelle idée! – ou quand vous restez tranquillement assis dans un fauteuil roulant pendant que votre partenaire fait tous les efforts – feignasse, va!
    

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L'Art d'aimer L’Art d’aimer
L’Art d’aimer

Réalisateur : Emmanuel Mouret
Avec : Frédérique Bel, Ariane Ascaride, Elodie Navarre, Julie
Depardieu, Judith Godrèche, François Cluzet, Laurent Stocker
Origine : France
Genre : marivaudage
Durée : 1h25
Date de sortie France : 23/11/2011
Note pour ce film : ●●○○
contrepoint critique chez : Ecran Large

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