Rien ne nous en apprend plus sur un auteur que d’examiner le lieu où il travaille. Si quelques scénaristes se vantent de pouvoir écrire n’importe où, la plupart d’entre eux ont besoin de se réfugier dans un lieu dédié. C’est dans ce sanctuaire qu’ils passent de longues heures solitaires à créer leurs histoires, coupés du reste du monde. Je vous propose de découvrir, à travers cette nouvelle rubrique, les bureaux de quelques scénaristes français(e), mais aussi leurs méthodes, leurs routines d’écriture…
Pour cette nouvelle édition, c’est mon futur confrère Marc Omeyer qui nous ouvre la porte de son bureau…
Marc Omeyer est aspirant scénariste et tient le génialissime blog Les histoires font la loi, dont je vous recommande vivement la lecture car il y évoque son rapport à l’écriture avec beaucoup de finesse et d’humour.
Depuis combien de temps travaillez-vous comme scénariste ?
J’imagine des histoires et des univers depuis toujours, je suis mordu de cinéma depuis trente ans et je m’intéresse vraiment à la dramaturgie depuis une dizaine d’année. Aujourd’hui, je ne vis pas encore de mes scripts, et j’ai créé ma boite de coaching en parallèle de l’écriture.
Pour évoquer plus précisément mon parcours, je me suis essayé à mon premier court à dix-huit ans. J’ai écrit beaucoup de poésies, des chansons, un roman et plusieurs nouvelles.
Je me suis formé avec Jean Marie Roth et Philippe Perret, j’ai dévoré tous les livres français et anglais, tous les sites que j’ai pu trouver sur le Net, créé mes propres outils, et visionné en boucle des centaines de films. J’ai travaillé sur plus d’une dizaine de long métrage on spec, seul ou avec des co auteurs, et réécrit à l’infini d’innombrables versions. Et de temps en temps, partagé certaines réflexions sur mon blog.
Maintenant, j’ai envie de m’ouvrir davantage, défendre mes projets, inscrire ma démarche dans une logique plus collaborative, la seule qui compte vraiment, quand on parle de cinéma et d’histoires.
Travaillez-vous dans un coin de votre habitation ou dans une pièce dédiée ?
D’une certaine façon je trimballe tous mes projets dans ma tête, plus ou moins partout où je vais. Si un déclic vient, je le note mentalement ou par écrit. Mais l’essentiel se structure et se rédige dans mon bureau.
Pouvez-vous décrire ce bureau ?
C’est une petite pièce de 7 m2, silencieuse et plutôt bien éclairée. Moquette au sol, avec des espaces de rangement consacrés à l’écriture et au coaching. Quatre meubles étagères, peints en blanc. Voilà pour le cadre.
Avez-vous choisi un espace neutre ou êtes-vous contraire entouré d’objets et souvenirs ?
J’ai besoin que l’espace de travail soit clair et ramené à l’essentiel. Mais côté coeur, une boite à encens, exclusivement tibétain, un immense poster des Stones période 64, ma guitare une PRS noire que je taquine trop rarement, baffles et ampli, et puis des objets liés à ceux que j’aime : photos, sculpture de ma chérie, un énorme cristal de sel ramené par mon fils, un gros coeur rouge, et tout un fatras d’autres objets qui me sont chers. Pour résumer, c’est un camp de base plutôt rigoureux baigné d’une pincée de poudre magique, d’amour et de voyages.
Etes-vous capable de travailler hors de cette « tanière » ?
Au sens de penser, le mind doodling des anglais, oui partout. Partout et souvent en conduisant ou en marchant, des détails ou de nouvelles logiques peuvent apparaître. Mais ce n’est jamais le « dur » de l’histoire. Cette partie là ne se fait pour moi que difficilement, et dans la solitude absolue du bureau, ou du moins d’un lieu plus feutré, plus apte à la concentration.
Travaillez-vous parfois dans des lieux publics ?
Non jamais, j’y suis trop occupé à regarder les gens, capter des détails, des humeurs, sentir les atmosphères. Dehors je suis un voyeur gourmand.
Etes-vous satisfait de votre bureau et/ou l’organisation de vos journées de travail. Si la réponse est non, qu’aimeriez-vous pouvoir changer?
Par moments il m’arrive de rêver de murs immenses pour y accrocher des séquenciers et tout visualiser d’un regard. Parfois je rêve de ces maisons en bord d’océan où il suffit de faire un pas hors du bureau pour marcher dans le sable et s’enivrer des vagues et de cris d’oiseaux. Mais dans l’ensemble je suis satisfait de ce que j’ai, ce sont déjà de très bonnes conditions.
Préférez-vous travailler seul ou avec un co-auteur ?
Les deux me conviennent. L’écriture d’un scénario abouti demande plusieurs cerveaux et donc le travail collaboratif a ma préférence. J’aimerais travailler un jour dans une équipe à la Pixar, un groupe d’auteurs un peu allumés et exigeants, engagés dans un processus créatif adossé à des producteurs, des réalisateurs, une large distribution. J’ai tendance à rêver grand…Un tel groupe pourrait faire des merveilles. Nous avons en France beaucoup de talents et une des plus riches traditions dramaturgiques du monde. Alors pourquoi pas ? Et puis le choix de la qualité me paraît toujours gagnant sur le long terme.
Etes-vous plutôt Mac ou PC ?
J’ai eu les deux. Le Mac est quand même de loin le plus agréable. Il a cette qualité précieuse de se faire oublier…
Utilisez-vous un logiciel d’écriture ? Si oui lequel ?
J’essaye tout et je jongle en fonction des envies ou des besoins du moment. Movie Magic, des feuilles de styles, Mind Map, Evernote, Dramatica, Scrivener.
Travaillez-vous à horaires fixes ?
Pour écrire c’est avant tout le matin entre 6 et 10h ou tard le soir entre 22h et parfois 2 ou 3 heures du matin. Mais la réflexion est permanente, elle est là, en traitement de fond à l’arrière du cerveau. C’est comme une cuisson au four. L’important pour moi est de bien reconnaître ce qui mijote et de l’accompagner dans la forme la plus aboutie.
Combien de temps de travail en moyenne par jour ?
Suivant les périodes, les projets et mes engagements de coach, ça varie entre 2 et 10 heures. La régularité est précieuse mais la souplesse est le meilleur atout créatif.
Jusqu’à combien de pages utiles pouvez-vous écrire par jour?
Sur un premier jet, il peut m’arriver d’aller jusqu’à dix pages, mais je suis plutôt partisan de reprendre beaucoup. Quand je dis beaucoup c’est vraiment beaucoup…je me dis que les meilleures aventures créatives vont très vite ou au contraire demandent beaucoup de temps.
Avez-vous besoin de faire des pauses à heure fixe ?
Toutes les deux heures, quand je lève le nez du clavier ou du papier. Le corps est toujours un bon compagnon à écouter.
Travaillez-vous dans le silence total ? En musique ?
Je m’appuie sur les musiques pour entrer dans la tonalité d’une histoire. C’est important car j’ai toujours plusieurs projets au feu. Mais seulement pour retrouver le ton et me mettre en condition. Après le silence est le meilleur espace de travail.
Avez-vous un ou des compagnon(s) d’écriture à quatre pattes ?
Oui Boomer mon fidèle ami. C’est un croisé boxer berger qui navigue dans la maison et soupire de temps à autre quand le bruit du clavier l’empêche d’imaginer ses propres histoires. Et puis il y a les séances gros câlins.
Vous coupez-vous du reste du monde ou restez-vous connecté à votre entourage (mail, téléphone, Twitter, Facebook…) ?
J’essaie de rester souple et ouvert, et puis on est vite accro à tous ces liens avec le monde extérieur, qui permettent de sourire ou faire phosphorer la tête. Mais quand j’en suis aux documents importants, là il n’y a pas photo : c’est la bulle absolue.
Avez-vous des rituels d’écriture ?
Pas vraiment. J’allume souvent un bâtonnet d’encens tibétain. Je me cale dans le fauteuil. Je prends un bloc ou j’allume le pc, et j’entre dans le projet en cours.
Utilisez-vous une méthode particulière (tableau, fiches, cahier…) ?
Toutes à tour de rôle mais j’essaie de corriger ma tendance naturelle à une créativité un peu trop envahissante ou désordonnée à mon goût. Je me retrouve vite avec beaucoup trop de matière, des documents écrits, des documents dans l’ordinateur. En même temps ce foutoir m’est nécessaire pour arriver au plus vite à une sorte de masse critique et une immersion totale dans l’histoire. C’est là que l’essentiel émerge.
Comment trouvez-vous l’inspiration ? Musique, photos, films ?
C’est elle qui me trouve, et elle me trouve tout le temps. Les idées sont là, dans l’air, partout autour de nous, elles nous traversent et s’invitent. Après il faut les creuser, les tester et savoir le plus souvent s’en défaire. Le vrai défi pour moi est plutôt la discipline, la clarté d’esprit pour saisir la justesse des scènes, la tonalité de ce que je veux écrire et rester fidèle à la logique interne, aux rythmes et à l’esprit du projet.
Avez-vous besoin de « carburants » (thé, café, tabac, nourriture…) ?
Tous : ) Mojitos, chocolat, petit rosé de Provence, Bourgogne, caïpirinha et surtout maté, que je bois par litres depuis mon retour du brésil où j’ai vécu un an. Mais en définitive, l’envie est le seul carburant durable, le seul indispensable.
A quel moment et dans quel lieu pratiquez-vous le mieux le brainstorming ?
Littéralement partout, c’est une seconde nature. Le résultat est de meilleure qualité si je me déplace physiquement dans l’espace. A partir de là tout est bon. Autoroute, supermarché, jardin, rues, campagne. Encore une fois l’enjeu pour moi est plutôt d’arrêter de brainstormer et de ramener le bateau à bon port.
Prenez-vous beaucoup de notes ? Comment les organisez-vous (carnet, notes volantes, logiciel…) ?
Il y a la partie papier et la partie ordinateur elle même souvent composée de documents textes, de logs pour suivre mon process, de fichiers en tous genres, de tableaux. Le plus efficace pour moi est de relire mes notes, les synthétiser en des docs récapitulatifs et de tout classer selon les étapes du projet. Au travers de ce foutoir qui s’organise l’enjeu est d’être vrai. Quand tout devient clair, la production se réduit, je sais que je tiens le bon angle.
L’important est de garder l’équilibre entre organisation et souplesse du processus. Avoir beaucoup de matière, de richesse, de couleurs possibles pour l’histoire, d’idées de scènes, de lieux, de répliques et puis être capable de choisir, se retrouver et fixer la structure.
Êtes-vous sujet à la procrastination ?
Là je plaide coupable votre honneur ! Mais je n’aime pas bien ce mot. Je trouve qu’il faut souvent « se laver du monde », et laisser le cerveau gambader sert à ça aussi…Penser à tout, à rien, des choses futiles, amusantes, ça me paraît vital pour faire respirer les neurones. C’est souvent là que l’essentiel se prépare : je m’ouvre à ce qui veut venir, je laisse les lumières de l’histoire s’approcher. En clair procrastiner signifie pour moi se rendre disponible. J’ai appris à respecter ces moments plutôt que me reprocher de leur faire de la place.
Avez-vous déjà été frappé par le writer’s block ? Si oui, quelle est votre recette pour en sortir ?
Retrouver au plus vite tout ce qui me fait sourire, m’enthousiasme. Ouvrir les yeux sur la vie, les autres. Là il s’agit plutôt de se laver de soi même, de sortir de son univers.
Quand vous prenez des vacances, vous coupez-vous totalement de votre travail ?
Je m’en coupe tous les jours pour vivre pleinement les moments avec mes proches. J’ai commis l’erreur avant de rester le nez sur le guidon. Les relations en souffrent et la création n’est pas meilleure. Donc en dehors de phases de fièvre très intenses mais très ponctuelles je me fais autant une joie d’entrer dans le process que d’en sortir. On récolte plus de sourires autour de soi et c’est le meilleur moyen de revenir à l’écriture dans les meilleures dispositions.
Qu’aimez-vous faire quand vous ne travaillez pas?
Je prends toujours beaucoup de plaisir à la relation aux autres. Une simple conversation fait mon bonheur. Découvrir l’autre, échanger, partager un moment autour d’un verre ou d’un maté, parler d’un film, d’un livre, de la vie, de projets. Et même du robinet qui fuit, du chien qui s’est oublié sur les dalles de l’entrée… Je suis très bon public.
Avez-vous un ouvrage culte traitant de l’écriture ?
Les livres de Jean Claude Carrière dont Exercice du scénario écrit avec Pascal Bonitzer. Ce sont les premiers que j’ai lus et ceux auxquels je reviens après avoir fait le tour du reste. Les histoires sont avant tout des mystères. Toutes les approches carrées, faites de recettes et de méthodes se cassent les dents contre elle. La seule chose qui compte c’est l’expérience du spectateur. J’ai longtemps fait l’erreur de vouloir plier l’histoire aux recettes. Il faut je pense tout oublier et entrer dans l’obscurité. L’intuition et l’expérience font le reste. Aujourd’hui mon approche est infiniment plus sereine.
Qui est votre scénariste fétiche ?
Beaucoup ont déjà étés cité ici dans tes colonnes : Billy Wilder bien sûr, Ernest Lehman, Woody Allen, Chaplin, qui reste le phare absolu, Carrière, Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui, Peter Jackson, Charlie Kaufman. Et puis certains auteurs comme Thomas Mann, Paul Auster ou Henry Miller qui m’éblouissent par leur sens visuel et la fluidité de leur narration.
Quelle est votre actu ?
Je finalise un long métrage de comédie puis je remettrai la main sur un thriller plus à l’américaine pour lequel j’ai déjà pas mal de matière. J’ai en arrière plan deux autres projets de comédie qui me tiennent aussi à cœur. Et puis redonner un coup de jeunesse au blog. L’ouverture et les échanges via les réseaux sociaux sont un espace d’une richesse irremplaçable pour les auteurs d’aujourd’hui.
Rendez-vous dans quinze jours pour visiter un nouveau bureau de scénariste…
Copyright©Nathalie Lenoir 2011