On attaque 2012 avec un grand classique, celui que beaucoup voient comme le plus grand film du cinéma américain. Décortiqué dans tous les sens par les plus grands spécialistes, c’est au mythique Citizen Kane d’Orson Welles que nous nous intéressons !
30 octobre 1938. L’Amérique est en panique ! Les martiens attaquent ! C’est en tout cas ce qu’arrive à faire croire Orson Welles à un millions d’auditeurs avec son adaptation radiophonique de La Guerre des Mondes. Le jeune metteur en scène et acteur de théâtre se fait alors rapidement un nom et Hollywood lui ouvre ses portes. C’est le légendaire studio RKO (à qui on doit King Kong) qui lui offre une opportunité inédite en proposant à Welles de réaliser son premier film avec une liberté totale. Jamais pareil cadeau n’avait été offert à un cinéaste débutant (même encore aujourd’hui). Orson Welles peut écrire son histoire et la mettre en scène en toute indépendance, choisir les comédiens de son choix (en l’occurrence ceux du Mercury Theatre avec qui il a l’habitude de travailler), et même entretenir le mystère le plus total autour du film. Hollywood est aux abois et tout le monde se demande bien ce que le jeune artiste surdoué pourrait présenter sur grand écran.
Le résultat sera Citizen Kane. L’histoire d’un magnat de la presse, de son enfance à sa mort tragique, seul dans son château reculé. Librement inspiré de William Randolph Hearst (ce qui lui vaudra d’ailleurs pas mal de représailles) mais aussi d’autres grands hommes d’affaires médiatiques comme Howard Hughes, Orson Welles dresse ici un portrait particulièrement noir et pessimiste du rêve américain après la crise de 29 tout en établissant de nouveaux codes qui ont révolutionné le cinéma américain et la manière de raconter une histoire sur grand écran.
Citizen Kane adopte ainsi une structure narrative qui n’avait que très rarement été utilisée au cinéma, encore moins de manière aussi frappante, le flashback. En effet, le récit débute par la mort de Charles Foster Kane, seul dans son château isolé dans son domaine privé, Xanadu. Celui-ci prononce un mot mystérieux dont le spectateur est le seul témoin, « Rosebud« . A partir de là, la presse s’emballe et veut à tout prix savoir ce que ce mot veut dire (la seule incohérence du récit étant de savoir comment la presse a eu vent du dernier mot de Kane alors qu’il était seul au moment de sa mort) et un journaliste va interroger l’entourage de Kane pour avoir la réponse à cette question. Mais plus qu’une enquête, ces témoignages dresseront avant-tout le portrait d’un homme rongé par la solitude malgré tout ce qu’il peut s’offrir.
Alors que l’Amérique commence à sortir de la crise de 1929, Citizen Kane montre tout l’envers du décor. Le rêve américain n’existe pas et les meilleures intentions peuvent facilement être corrompues par l’argent et le pouvoir. L’enfant innocent qu’était Kane a fait place à un jeune homme ambitieux et rempli de bonnes intention lorsqu’il rachète l’Inquirer. Mais petit à petit, sans s’en rendre compte, alors que sa notoriété et sa fortune s’accroissent exponentiellement (au point même de vouloir devenir une icône politique), il met ses idéaux de côté et se détache de ses proches. Il va même jusqu’à apporter, malgré lui, la mort de sa seconde épouse avant de mourir en regardant dans le passé la personne qu’il était, sans se reconnaitre dans le miroir (« Rosebud» renvoyant directement à l’innocence de son enfance). Toute la grandeur et la décadence de l’Amérique sont là, son ambition et ses côtés les plus noirs, comme une critique du mal que peut faire le capitalisme et qui est donc encore d’actualité aujourd’hui. Si le film devait au départ s’appeler American, c’est bien pour cette raison.
Mais, plus que le portrait intimiste d’un homme d’affaire ou sa parabole de l’Amérique, Orson Welles révolutionne la façon de réaliser un film. D’une part grâce à son scénario à tiroirs s’appuyant exclusivement sur des flashbacks mais aussi par une mise en scène extrêmement novatrice pour l’époque. Des analyses bien plus poussées vous parleront ainsi des techniques de mise en scène pour les séquences de l’enfance de Kane ou du suicide de sa seconde femme. Mais ce qui frappe, part rapport aux autres films des années 30, c’est la fluidité avec laquelle la caméra se déplace et l’utilisation astucieuse de la profondeur de champs et des plans de caméra. Welles fait ici preuve d’une inventivité exceptionnelle qui appuie son récit et faisant de Kane un personnage à la fois iconique et flou mais aussi un personnage shakespearien comme il les aime (comme il le montrera d’ailleurs plus tard en adaptant au cinéma des pièces de l’auteur anglais). Mais surtout, cette créativité et ces trucages inédits relancent l’évolution de l’image au cinéma qui stagnait depuis l’apparition du parlant (qui privilégiait alors le récit et la parole). Welles arrive donc avec Citizen Kane à renouveler à la fois l’image et le son.
Révolutionnant littéralement le cinéma américain, Citizen Kane en est devenu la pierre angulaire. Mais c’était loin d’être le cas à sa sortie en 1941. En effet, la critique est partagée et le public ne suit pas. Au box-office, le film est un four qui sera tout de même récompensé par l’oscar du meilleur scénario original. La RKO, qui ne compte mais laisser échapper un artiste aussi doué, le garde tout de même dans son écurie mais lui accordera moins de liberté. Il faudra attendre quelques années avec que l’influence de Citizen Kane sur le cinéma et les générations de réalisateurs suivantes ne soit reconnue et pour qu’aujourd’hui le film soit reconnu part tous les grands critiques comme le plus grand film de l’histoire du cinéma américain.