A l’occasion de la rétrospective Steven Spielberg qui s’ouvre ces jours-ci à la Cinémathèque, revenons sur l’un des films récents les plus noirs et intéressants du maître de l’entertainement cinématographique actuel, une nouvelle vision des extraterrestres autrefois bienveillants : La Guerre des Mondes.
Pendant les années 2000, le cinéma de Steven Spielberg a connu une évolution fulgurante. Alors qu’il était profondément optimiste dans les années 80 puis arrivait à jongler entre projets personnels et dramatiques et films de pur divertissement dans les années 90, il est arrivé à combiner ces deux caractéristiques pour nous offrir des films à grand spectacle plutôt sombres. Est-ce l’impact du 11 septembre ou la personnalité d’un réalisateur qui a muri ? Sans doute un peu des deux. Ainsi, trois ans après le noir et hitchcockien Minority Report, il rappelle Tom Cruise pour une adaptation de la Guerre des Mondes.
Finis les gentils extra-terrestres de Rencontres du Troisième Type ou E.T., cette fois, ils sont hostiles. Mais Spielberg ne va pas les filmer comme tout réalisateur avide de donner du grand spectacle l’aurait fait. La force de la Guerre des Mondes est ainsi de rester en permanence à auteur d’homme avec un point de vue intimiste sur une famille dysfonctionnelle (thème cher au réalisateur) que la catastrophe va faire encore plus exploser. Pas de point de vue militaire ou politique, pas d’aperçu de l’attaque aux quatre coins du monde, pas de chien à sauver ni de romance, Spielberg évite tous les poncifs du genre pour délivrer une Guerre des Mondes bien plus fidèle au roman de H.G. Wells que ne l’était l’adaptation de 1953.
Spielberg garde en effet dans sa Guerre des Mondes tout ce qui faisait la force du roman originel : un homme à la recherche de sa famille, les tripodes (bien menaçants suite au black out électrique), un léger message biologique et cette séquence entière dans la cave avec un étranger qui veut se battre. Là où Wells voyait venir la première guerre mondiale, Spielberg tire les conséquences du 11 septembre 2001 et dresse le portrait d’une Amérique sous le choc et en panique, impuissante face à une attaque qu’elle ne comprend pas. Mais comme Spielberg n’est pas du genre guerrier (il l’aborde par le comportement du fils mais ce ne sera pas le fil conducteur), il préfèrera s’intéresser à la sauvegarde de la famille.
A ce titre, le happy-end final que certains ont décrié est tout de même à prendre à nuancer. Car si le personnage de Cruise y retrouve son fils et arrive à mener à bien sa mission, et que les extra-terrestres ont échoué dans leur plan d’invasion, la musique illustre bien que c’est une victoire en demi-teinte. L’humanité a gagner mais à quel prix ! Il a réussi sa famille mais en il n’en fera pas pour autant partie.
Grâce à l’univers irréel (mais très réaliste) de La Guerre des Mondes, Spielberg n’hésite pas à montrer des images qu’il a édulcoré de ses précédents films historiques. Un train en feu, des hommes réduits en cendres, des corps dans une rivière, des vêtements qui tombent du ciel, et du sang aspergé sur terre pour transformer la planète… les images choc ne manquent pas et sont d’une force évocatrice immense. Il va même jusqu’à faire de son père de famille irresponsable un meurtrier pour protéger tout ce qu’il reste de sa famille. Rarement le réalisateur se sera montré aussi noir dans ses films de science-fiction.
Mais si il est un excellent conteur, Spielberg est aussi un technicien surdoué et il le prouve encore une fois ici. De la tension lors de l’apparition du premier tripode à la gestion incroyable de l’espace dans la cave (rappelant la séquence la plus éprouvante de Jurassic Park) en passant par ce plan-séquence assez fou lors de la fuite en voiture, Spielberg fait encore preuve d’une maîtrise de l’image exceptionnelle, servant à merveille son récit haletant. Presque sans temps mort, jamais Spielberg ne sacrifie l’intime en restant toujours à hauteur d’homme, donnant ainsi au grand spectacle impressionnant des allures de drame familial.
Avec La Guerre des Mondes, Steven Spielberg délivrait l’un des films de SF les plus ambitieux et intéressants des années 2000 et le succès était au rendez-vous. La critique est positive et les spectateurs répondent présents malgré la contre-promo d’un Tom Cruise trop enthousiaste à parler de Katie Holmes et de la scientologie plutôt que du film où il est loin d’avoir l’image qu’on lui donne habituellement. Mais une fois oublié le show médiatique de Cruise, force est de reconnaitre La Guerre des Mondes comme l’un des films majeurs d’un Spielberg au nouveau visage.