Il y a des films qui s’imposent immédiatement dès les premières images. Louise Wimmer est de ceux-là.
Le plan introductif est baigné dans une ambiance nocturne et pluvieuse : un tronçon de route surplombé par des barres d’immeubles HLM gris. Une voiture passe par là. De l’autoradio s’élève la voix rocailleuse de Nina Simone, implorant Dieu dans son “Sinnerman”. Dans le rétroviseur, un regard fatigué… Et pour cause : Louise Wimmer, cinquante ans, se bat quotidiennement pour ne pas sombrer définitivement dans la misère.
Elle a tout perdu, ou presque, ainsi qu’on va le découvrir au fur et à mesure, par petites touches : son mari, sa vie de famille, son logement, ses affaires, et sans doute, son emploi, tout ce qui lui offrait un vrai confort de vie…
Sa voiture, c’est tout ce qui lui reste, le seul bien qu’elle possède et que les huissiers peuvent encore saisir, le seul lien qui la rattache à la société, d’une certaine manière, puisque c’est ce qui lui permet d’aller d’un endroit à un autre, pour voir sa fille ou passer d’un job mal payé à un autre job mal payé. Et surtout, c’est ce qui lui sert de toit pour dormir, en attendant que les assistantes sociales lui trouvent un appartement HLM vacant. Mais la situation s’éternise… Sept mois et toujours rien…
De quoi s’impatienter et s’agacer, surtout que le véhicule commence lui aussi à la lâcher.
Le carburateur toussote à chaque démarrage, occasionnant de nombreux retards qui menacent ses emplois – femme de chambre dans un hôtel, femme de ménage chez des particuliers. Ces boulots sont peu gratifiants et peu rémunérateurs, mais Louise a besoin de chacun des euros qu’elle gagne.
Elle doit bien sur acheter de quoi se nourrir et se vêtir, payer l’essence, mais aussi rembourser ses nombreuses dettes, aux huissiers, aux commerçants, à la société qui lui loue le box dans lequel elle stocke le peu d’affaires qui lui reste…
Parfois, elle ne gagne pas assez pour tout cela et doit trouver d’autres solutions…
Elle se douche dans les toilettes des stations services ou, quand elle le peut, chez les gens dont elle entretient la maison, à l’aide de savon et de gels douche piqués à l’hôtel. Elle ruse pour manger dans les restaurants offrant des buffets à volonté et siphonne l’essence dans les réservoirs des poids lourds. Le peu qu’elle arrive à mettre de côté est misé au PMU, avec à la clé, parfois, un petit gain qui lui redonne un peu d’air, mais la respiration n’est que de courte durée…
Et quand elle n’a plus le choix, Louise se résout à vendre quelques objets ou quelques bijoux à la boutique de dépôt-vente, souvent à un prix très inférieur à leur valeur réelle…
Oh bien sûr, elle pourrait solliciter l’aide de ses proches.
L’ex-mari de Louise gagne bien sa vie, et, conscient qu’elle a de grosses difficultés financières, est prêt à l’aider, mais elle préférerait mourir que de le laisser lui porter assistance.
Et il en va de même pour tous les hommes qui lui tournent autour. Notamment son amant régulier, celui avec qui elle s’adonne à des étreintes furtives les soirs où la solitude se fait trop pesante. Il a bien remarqué que Louise était à la rue et semble désireux de vivre avec elle plus que ces parties de jambes en l’air, mais elle le tient à distance. Vivre avec un homme, elle a déjà donné et c’est sans doute cela qui l’a finalement poussée vers la rue. Elle ne veut certainement pas recommencer, et de toute façon, même si elle le voulait, ce serait compliqué avec toutes les galères qu’elle a à gérer…
Sinon, Louise pourrait aussi se tourner vers sa fille. Mais elle se refuse totalement à faire cela. Elle ne veut surtout pas être un fardeau pour la jeune femme, et elle entend bien ne rien laisser paraître de sa situation désolante, afin de conserver ce qui lui reste de dignité.
On devine, lors d’une scène superbe, que la jeune femme a bien compris l’étendue du malheur de sa mère, mais qu’elle ne peut rien y faire. Elle a ses propres difficultés à affronter… Mais la compassion est là, malgré tout… Une étreinte sincère, pleine d’amour, vient apporter un peu de réconfort à Louise…
Cette chaleur humaine si importante, d’autres vont aussi lui en apporter un peu, l’aidant à remonter la pente, lentement mais sûrement. Ils ont du mérite, car Louise n’est pas vraiment aimable avec son entourage – la vie ne l’épargne pas et personne ne lui fait de cadeau, alors pourquoi devrait-elle être agréable avec les autres, hein ?
Il y a Nicole, la patronne du bar qui lui remplit gracieusement son thermos de café chaque matin et accepte de lui faire crédit pour ses autres consommations sans jamais lui poser de questions, qui réceptionne son courrier, qui la secoue quand elle fait fausse route…
Il y a le jeune caissier du dépôt-vente qui, conscient de sa détresse, finit par faire une entorse au règlement et accepter de lui payer un peu plus cher un des derniers objets qu’elle possède encore…
Il y a Didier, le “copain de PMU”, un brin volage mais toujours serviable et chaleureux, qui l’aide à retaper sa voiture…
Il y a enfin sa nouvelle assistante sociale. Elle débute dans le métier et est donc plus compatissante que la précédente, qui était sûrement blasée de se coltiner chaque jour ce concentré de souffrances humaines et d’en être récompensée par les insultes de clients à bout de nerfs. C’est elle qui se battra pour que Louise puisse enfin obtenir ce logement social qu’on lui refusait parce qu’il y avait “des dossiers beaucoup plus prioritaires” que le sien…
Certains ont dit que Louise Wimmer était la grande révélation de la dernière Mostra de Venise, en ayant évidemment en tête la performance d’actrice de Corinne Masiero, une quasi-inconnue qui éblouit l’écran.
Elle est parfaite dans ce rôle de femme blessée par la vie, mais encore pleine de combativité et d’espoir. Un personnage que l’on pourrait comparer à une équilibriste tentant de traverser un précipice en marchant sur un fil, en pleine tempête.
Louise est entre deux âges. Sa beauté physique décline lentement, mais sûrement, et le fait de vivre en dessous du seuil de pauvreté n’aide en rien. Cependant, elle peut encore se montrer sensuelle quand elle fait l’effort de se maquiller et de s’habiller un peu plus élégamment.
Elle est aussi entre deux situations. Entre une vie aisée et une nouvelle vie nettement moins confortable, mais “acceptable”. Et pour cela, elle doit continuer d’avancer pas à pas, avec précaution, chaque faux-pas menaçant de l’entraîner au fond du gouffre…
Corinne Masiero donne chair à ce personnage avec juste ce qu’il faut de fragilité et de force, de dignité et de colère à peine contenue, de générosité et d’acrimonie.
Oui, elle est bien une révélation, comparable à la découverte, il y a quelques années, d’Anna Thomson dans Sue, perdue à Manhattan et, comme pour l’actrice américaine, on se demande comment les cinéastes ont pu cantonner pendant autant d’années cet indéniable talent à des seconds rôles…
Mais il serait injuste de réduire Louise Wimmer à la seule composition de Corinne Masiero, aussi remarquable soit-elle. Il convient aussi de célébrer la naissance d’un vrai cinéaste, Cyril Mennegun.
Le jeune réalisateur s’appuie sur son expérience de documentariste pour proposer un montage concis, efficace et réaliste, collant au plus près de son personnage. Mais il a su également hausser son niveau de mise en scène en proposant de jolies séquences, comme cette danse qu’effectue Louise sur les hauteurs de la ville. Une danse ou ne transe. Un exorcisme, presque. Son corps s’agite par saccades, par convulsions, toujours avec la voix de Nina Simone en fond musical, comme si elle chassait ses démons intérieurs ou éloignait les mauvais esprits, comme si elle implorait une dernière fois l’aide de ce Dieu qui semble l’avoir oubliée… Elle domine l’espace et la ville, s’abandonne totalement à la musique pour mieux se retrouver ensuite.
Et cela agit comme un déclic.
Dans la foulée, elle apprend qu’elle va enfin pouvoir bénéficier de cet appartement qui lui manquait tant. Et même si le logement n’a rien d’un palace, même si sa situation reste compliquée, Louise entrevoit la sortie du tunnel…
Le film se clôt presque comme il a commencé. Louise roule vers les barres d’immeubles grises.
Mais cette fois-ci, Nina Simone a laissé place à un morceau de David McWilliamls, “Days of Pearly Spencer”, aux paroles évocatrices. La nuit a été remplacée par le jour, la pluie a cédé place à un soleil radieux. Le sourire a remplacé les larmes. Et les yeux fatigués se remettent à pétiller comme ceux d’un enfant à qui on venait de faire le plus beau des cadeaux : l’espoir.
Magnifique et bouleversant…
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Louise Wimmer
Réalisateur : Cyril Mennegun
Avec : Corinne Masiero, Jérôme Kircher, Anne Benoit, Marie Kremer, Jean-Marc Roulot, Frédéric Gorny, Cécile Rebboah
Origine : France
Genre : portrait de femme magnifique
Durée : 1h20
Date de sortie France : 04/01/2012
Note pour ce film : ●●●●●●
contrepoint critique chez : L’Humanité
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