Comment améliorer l’écriture d’une scène?

Par Nathalielenoir

Si l’on suit les préceptes de la dramaturgie, l’élaboration des scènes est l’avant-dernière étape dans le processus d’écriture du scénario, juste avant la création des dialogues. C’est un processus délicat, un vrai travail d’orfèvre qui ne laisse aucune place à l’imprécision et ne tolère aucune digression, sous peine de plomber le rythme de l’histoire et de perdre l’attention du spectateur.

Je vous avais déjà expliqué par le passé comment aborder l’écriture d’une scène mais je vous propose aujourd’hui de nous pencher sur sa réécriture, mission délicate s’il en est…

Ecrire un scène, c’est aborder concrètement la « matière » qui sera visible et audible par le spectateur à l’écran. Elle doit à la fois décrire une somme d’actions-réactions, contenir des dialogues, mais aussi et c’est beaucoup plus complexe véhiculer au spectateur un certain nombre d’informations qui concernent le hors-champ:

  • contexte historique et social, voire géopolitique selon les fictions
  • passé des personnages (les faits qui ont marqué leur personnalité)
  • caractérisation des personnages justement
  • pensées des personnages (ils disent rarement ce qu’ils pensent vraiment)
  • ironies dramatiques (ce que le public doit savoir mais que les personnages ignorent)

Lorsqu’on écrit le premier jet d’un scénario, on a tendance à se focaliser sur l’intrigue elle-même, au détriment des informations évoquées précédemment, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose. Il faudra de toute façon le reprendre intégralement, une et plus vraisemblablement deux ou trois fois, autant aborder sa réécriture à partir d’une solide structure, la tâche n’en sera que plus aisée.

Petit rappel, et c’est sans aucun doute le point le plus crucial, rédigez un traitement AVANT d’écrire le scénario. Non seulement c’est la garantie d’une structure solide mais c’est la seule façon de vous assurer que chaque scène est essentielle au récit. Une scène doit faire avancer l’intrigue d’une façon ou d’une autre, il n’y a aucune place en dramaturgie pour les fioritures.

Lorsque vous retravaillerez votre scénario, scène après scène, voici quelques conseils pour repenser celles qui vous semblent faibles:

1. Listez les fonctions de cette scène: Quelle rôle joue t-elle dans l’intrigue? Que va t-on y apprendre? Quels personnages y sont-ils nécessaires?

2. Assurez-vous que chaque personnage, même secondaire, à un objectif dans la scène. Ce sont de ces buts divergents que naîtront le conflit. Zappez sans états d’âme les personnages qui sont là « pour faire joli ». Attirer l’attention sur leurs réactions ne ferait que ramollir la scène.

3. Débutez la scène le plus tard possible dans l’intrigue. En clair, il s’agit de zapper tout ce qui n’est pas rigoureusement nécessaire à la compréhension de l’intrigue. Lorsque deux personnages ont rendez-vous, par exemple, on se moque pas mal de les voir se saluer, évoquer la météo ou échanger des nouvelles des gosses, n’hésitez pas à débuter la scène alors qu’ils sont déjà en pleine discussion.

4. Cumulez les fonctions de la scène. Ajoutez des informations sur le passé d’un personnage au cours d’une « banale » scène d’exposition. Soyez inventif, la dramaturgie est un art subtil: un simple détail visuel ou une ligne de dialogue bien choisis peuvent fournir bien des informations au spectateur. Autre exemple: faites en sorte qu’une seule scène fasse à la fois avancer l’intrigue principale et une sous-intrigue.

5. Supprimez les dialogues explicatifs, c’est à dire qui véhiculent une information directe sur ce que pensent ou veulent les personnages. Privilégiez toujours l’image pour faire passer ces éléments lorsque c’est possible (et ça l’est au moins neuf fois sur dix à vrai dire).

6. Dans cette optique, réécrivez votre scène sans aucun dialogue, quitte à un rajouter deux ou trois lignes à la fin.

7 & 8. Poussez les situations à leur paroxysme. Il ne s’agit pas d’écrire des situations grotesques ni de balancer des explosions toutes les trois secondes, mais faites en sorte que les mésaventures de vos personnages s’aggravent par leur propre faute, ce qui revient à dire qu’il vous faut exploiter les failles de vos personnages (obstacles internes).

9. Surprenez le spectateur. Certaines histoires ne se prêtent pas aux décors exotiques ou aux cascades haletantes mais les meilleures surprises naissent de toute façon des réactions des personnages.

10. Soignez votre sous-texte, usez et abusez de l’ironie dramatique. C’est une façon habile d’impliquer le spectateur dans l’histoire, de lui faire éprouver de l’empathie pour tel ou tel personnages. Imaginez par exemple un rendez-vous amoureux, il peut avoir une teneur tout à fait différente selon que l’on sache l’un des personnages marié, condamné par une grave maladie, paniqué par l’engagement, obligé de se marier dans les plus brefs délais pour toucher un héritage, recherché par la police, en train de préparer un attentat, victime d’une grave indigestion… j’en passe et des meilleures.

11. Pensez à créer du contraste d’une scène à une autre. Une scène peut prendre une toute autre saveur (drame, comédie, terreur, suspense…) par le simple biais de celle qui s’est déroulée juste avant.

12. N’hésitez pas à combiner deux scènes importantes mais qui fonctionnent mal individuellement.

13. Ajoutez un obstacle local: irruption d’un personnage qui perturbe la scène malgré lui, complication logistique, mécanique… Il ne faut pas que cet élément tombe comme un cheveu sur la soupe mais qu’il accentue la sensation que les évènements de déroulent de la pire façon possible pour le protagoniste.

14. Accentuez les enjeux, créez de l’urgence. Il ne faut pas simplement que vos personnages poursuivent un objectif, il faut qu’ils aient beaucoup à perdre en cours de route, sinon ils ne se dépasseront pas pour atteindre leur but et le spectateur se désintéressera de leur quête.

15. Terminez vos scènes dès que leur fonction est remplie. Si le propos d’une scène est qu’un détective prenne un suspect en photo à son insu, on se moque de voir le détective ranger son appareil une fois le cliché pris…

Les auteurs et/ou cinéastes inexpérimentés ont tendance à ne concevoir une scène qu’en fonction des dialogues, persuadés que ce sont le travail de mise en scène et l’interprétation des comédiens, une fois sur le tournage, qui donneront du relief à l’ensemble. Autant vous le dire c’est une grossière erreur et le résultat s’en ressentira fortement. Si elles représentent une modeste part d’un scénario, les didascalies n’en demeurent pas moins vitales à son équilibre. Une scène se construit à partir d’une image et d’une musique (les sons et dialogues) mentales, traduite avec des mots. Chaque détail doit être mûrement réfléchi et imbriqué en harmonie avec l’ensemble de l’intrigue.

Afin de mieux pouvoir apprécier la subtilité du travail demandé, je vous conseille de voir et revoir certaines scènes « cultes » et de bien en analyser les mécanismes. L’excellent site The Scriptlab en a compilé un certain nombre, analyse à la clé, en tenant compte de leur fonction dans les films dont elles sont issues:

Je vous laisse en compagnie d’unes de mes scènes cultes. Elle est extraite d’American Beauty et elle est muti-fonctions: elle caractérise à merveille le protagoniste, Lester Burnham, fait office de pivot dramatique puisqu’il y découvre l’infidélité de sa femme Carolyn, permet au spectateur de comprendre qu’à ce stade, il a déjà fait une croix sur son mariage, lui offre une revanche inattendue et jubilatoire à la fois sur son épouse castratrice et son amant qui avait royalement humilié Lester plus tôt dans l’intrigue, elle va également bouleverser le rapport de force entre Lester et Carolyn et c’est un véritable bijou d’humour. Et tout cela en une minute et vingt secondes, du très grand art que l’on doit au scénariste Alan Ball! Ce scénario est d’ailleurs une leçon magistrale d’écriture in extenso et peut se consulter sur le Net. A bon entendeur…



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