“Café de Flore” de Jean-Marc Vallée

Petite précision utile (ou pas), Café de Flore n’est pas un documentaire sur le célèbre troquet parisien, situé au coeur de Saint-Germain-des-Prés…
Ce n’est pas non plus une fiction autour des débats philosophiques existentialistes qui animèrent les soirées de Sartre, Camus et les autres dans ledit café, même si l’histoire traite effectivement, d’une certaine manière, de destin et de libre arbitre…
Enfin, ce n’est pas la reconstitution des rencontres entre Apollinaire, Breton et Aragon qui donna naissance au mouvements surréalistes et dadaïstes. Encore que la forme du film de Jean-Marc Vallée adopte une forme étrange, défiant les lois narratives en faisant se télescoper les époques, les personnages, les thématiques et perdant avec délice ses spectateurs dans un labyrinthe complexe…
Non, le titre fait plutôt référence à de la musique et au morceau “Café de Flore” de Dr Rockit, édité en 2001 sur commande du proprio du Café de Flore. Un tube lounge envoûtant qui mêle jazz et musique électro, trait d’union parfait entre deux siècles, deux époques différentes. Un peu comme le film, donc, composé de deux histoires menées en parallèle, dans des lieux et des temporalités différentes, et qui se sert du fameux morceau musical comme fil rouge…

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La première se passe de nos jours et tourne autour d’Antoine  (Kevin Parent).
Comme le précise dès le départ la voix-off, il s’agit d’un homme “qui a tout pour être heureux et qui a conscience de son bonheur”. Il exerce un métier qu’il aime, DJ pour discothèques branchées, version québécoise de David Guetta, a deux filles charmantes et file le parfait amour avec la femme de sa vie, Rose (Evelyne Brochu).
La seconde se déroule dans le Paris des années 1960. Elle est à la fois axée autour de Jacqueline (Vanessa Paradis) et de Laurent (Marin Gerrier), un enfant “qui n’a rien pour être heureux et n’en a pas conscience”.
Laurent est trisomique.  Sa mère, une femme simple qui travaille comme shampooineuse dans un salon de coiffure, a décidé de le garder et de l’élever du mieux possible. Son père, lui, a pris la fuite à sa naissance, trop lâche pour s’occuper d’un enfant “différent”…

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Au début, il faut s’accrocher fermement au fauteuil pour suivre le fil du (des) récit(s).
Même si la narration est fluide, bien rythmée, visuellement élégante – ou inutilement tape-à-l’oeil, selon les goûts – on se demande quel peut bien être le lien entre ces deux trames scénaristiques collées l’une à l’autre, hormis ce morceau commun qu’écoutent en boucle les protagonistes. Un anachronisme pour Jacqueline et Laurent, qui vivent à une époque où ce morceau n’avait pas encore été composé et qui figure bien du côté surréaliste de la chose (on y revient…).
Les passages d’une histoire à l’autre intriguent. Antoine dit au revoir à sa femme et ses filles à l’aéroport et croise un groupe de voyageurs trisomiques qui va vers la direction opposée. Et hop! Le plan suivant, on est dans le Paris des sixties à suivre Laurent et Jacqueline. Pour compliquer encore les choses, chaque histoire comporte quelques flashbacks qui expliquent quel a été le parcours des personnages, et d’autres personnages font peu à peu leur apparition : Carole (Hélène Florent), l’ex-femme d’Antoine, qui fût également son grand amour d’enfance, et Véronique (Alice Dubois) une fillette handicapée dont Laurent tombe amoureux.
Le tout est assez confus, de prime abord, et on réagit un peu comme Antoine face à ses samples musicaux emberlificotés : on se retrouve un peu perdus  et agacés de l’être… Et plus le film avance, plus on se demande si le cinéaste québecois Jean-Marc Vallée n’est pas devenu subitement “capoté ben raide”…

Mais peu à peu se dessine le point commun entre les deux histoires : toutes deux traitent d’une relation exclusive entre deux individus mise à mal par l’irruption d’une tierce personne. D’un amour fou et fort, supposé indéfectible, et pourtant supplanté par un amour encore plus fou et plus fort…

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Jacqueline élève seule son fils, malgré les difficultés qu’elle a à affronter au quotidien. Elle l’entoure de toute son affection, toute son attention. L’espérance de vie d’un enfant trisomique, à l’époque, est de courte durée, et l’obsession de Jacqueline est de permettre à son enfant de vivre le plus longtemps possible. Elle est là pour lui. Il est toute sa vie… Aussi, quand Laurent et Véronique nouent des liens plus fort que cette affection parentale, elle se retrouve totalement désemparée…
Carole éprouve à peu près le même sentiment. Antoine et elle se connaissent depuis l’enfance. Ils s’étaient promis de s’aimer toute la vie et se sont mariés, puis ont eu deux filles. Tout allait pour le mieux dans leur couple. Ils étaient complices, avaient une totale confiance l’un dans l’autre… Et puis Antoine a rencontré Rose lors d’une soirée. Carole était là et a bien perçu cette attirance mutuelle entre eux, mais n’a pas su empêcher leur idylle de naître. Sans doute estimait-elle cette passade insignifiante au regard du lien profond et durable qui l’unissait à Antoine. Mais au final, ce dernier a bien franchi le pas et demandé le divorce pour vivre pleinement sa relation avec celle qu’il considère désormais comme la “femme de sa vie”… Un camouflet, une blessure pour Carole, qui apparaît progressivement comme le centre gravité de cette partie du récit…

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Ce ne serait pas rendre service au film que de dévoiler ce qui constitue le point de jonction du récit, même si de nombreux indices sont disséminés ça et là et permettent de deviner assez rapidement de quoi il en retourne.
Alors disons simplement que le cinéaste s’autorise un retournement de situation sacrément audacieux, digne des Lelouch les plus tordus. Un parti-pris scénaristique qui va probablement en agacer plus d’un et qui va peut-être pousser certains à déserter la salle, définitivement vaincus par ce virage mystique.
Mais ajoutons qu’à partir de là, un petit miracle survient. Cette collision des deux histoires, qui avait toutes les chances de sombrer dans le ridicule patenté, débouche sur un dernier quart d’heure d’une intensité folle, un maelström qui emporte le spectateur, balloté entre plusieurs sensations – de l’angoisse aux larmes, de la tristesse à l’apaisement – et envoûté par le montage, brillant, ainsi que par l’ambiance sonore, très travaillée. On sort de là éprouvé, vidé émotionnellement, un peu soulagé…

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Alors tant pis si le dénouement est un brin décevant au regard de cette intensité dramatique savamment exploitée, tant pis si certaines scènes semblent un peu “téléphonées”, tant pis si le dernier plan vient inutilement semer le trouble dans l’esprit du spectateur le film, au final, nous a laissé une impression assez positive.
Pour nous, Jean-Marc Vallée a pleinement réussi son pari en traitant ses sujets jusqu’au bout, sans peur du ridicule, en nous procurant une belle bouffée d’émotion et en signant une mise en scène de fort belle facture…
Mieux, on est à peine sortis de la salle qu’on a eu très envie de le redécouvrir instantanément, pour apprécier différemment sa construction complexe et noter toutes les correspondances d’une partie à l’autre : récurrences visuelles ou sonores, répliques, objets, motifs…

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Il est évident que tout le monde ne partagera pas notre avis. Café de Flore est de ces films qui divisent fortement le public et la critique, un objet cinématographique atypique, truffé de bonnes et/ou de mauvaises idées, excessif et romanesque…
Oui, certains vont détester le film, tant sur le fond que sur la forme. D’autres vont au contraire l’adorer.
A vous de vous faire votre propre opinion…
Mais quoi qu’il en soit, Café de Flore est une expérience cinématographique hors normes, qui s’appuie sur une mise en scène culottée et des acteurs convaincants, aussi bien d’un côté de l’Atlantique que de l’autre . Et rien que pour cela, il mérite que l’on y jette un oeil…

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Café de Flore Café de Flore
Café de Flore

Réalisateur : Jean-Marc Vallée
Avec : Kevin Parent, Vanessa Paradis, Hélène Florent, Evelyne Brochu, Marin Gerrier
Origine : Canada, France
Genre : romanesque/surréaliste
Durée : 2h00
Date de sortie France : 25/01/2012
Note pour ce film : ●●○○
contrepoint critique chez : Filmosphère

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