En plein festival de Gerardmer, il était impensable de ne pas revenir sur l’un des films qui a marqué la vie du festival et dont le réalisateur est aujourd’hui devenu l’un des créateurs les plus ambitieux du cinéma avec son univers fantasmagorique. Il s’agit bien sur de l’Échine du Diable de Guillermo del Toro.
Après son escapade américaine dans les rames du métro New-Yorkais avec Mimic, Guillermo Del Toro a préféré revenir rapidement à un cinéma plus intimiste, dans la veine de son premier film Cronos. Le mexicain débarque alors en Espagne où il trouve le soutien des frères Almodovar qui vont l’aider à raconter une histoire fantôme très personnelle mais qui parle aussi de l’histoire du pays. Avec l’Échine du Diable, il va s’inscrire dans la nouvelle vague du cinéma de genre espagnol aux côté d’un certain Alejandro Amenabar (Les Autres).
Alors que l’Espagne est en pleine guerre civile, le jeune orphelin Carlos est recueillit dans un établissement catholique où il sera malmené par les autres enfants et l’homme à tout faire Jacinto. Mais il sera aussi perturbé par le fantôme d’un enfant, mort alors qu’une bombe a atterri dans la court sans exploser quelques temps auparavant. Pour la première fois, Del Toro va mêler la petite et la grand histoire pour arriver à un discours d’une grande profondeur préfigurant par de nombreux détails (le ton, le contexte, le rôle de Jacinto) son magnifique Labyrinthe de Pan.
Avec l’Echine du Diable, Guillermo Del Toro ne montre pourtant pas encore l’étendue de son univers. Ici, pas de monstres merveilleux, pas d’insectes et son obsession pour les mécanismes est plus que discrète (le sourd tic tac de la bombe). Ici, il travaille dans un registre plus réaliste mais place encore une fois l’enfant au centre du récit. Comme souvent, il s’agit d’un orphelin qui ne trouve pas sa place et ne fait pas confiance aux adultes. Comme les monstres qu’il traite habituellement, le fantôme n’est pas ici un être maléfique. Tout est fait dans la mise en scène de Del Toro et dans la musique pour ne pas le rendre menaçant mais plutôt pour nous faire ressentir de la compassion à son sujet car le véritable monstre est humain, adulte, cupide en la personne de Jacinto.
Mais le fantôme et la menace de l’adulte ne sont pas les seuls sujets du film. La notion de fantôme est à étendre à tous les habitants de l’orphelinat. Car depuis l’arrivée de cette bombe qui a comme suspendu le temps et la mort de ces enfants, tous sont dans une situation d’attente et de malaise, ne trouvant plus leur place. Ainsi, Carlos attend son père qu’il ignore mort au combat, Jaime a du mal à faire face à la mort de son ancien ami, Carmen est prisonnière après la perte de sa jambe, le vieux Casares s’enferme dans ses poèmes mais ne peux plus apporter de bonheur et Jacinto est perdu, sans repères. De ces personnages mais aussi de ce lieu isolé (rappelant même parfois certains décors de western en plein désert) qu’est l’orphelinat, se dégage alors une atmosphère étrange, irréelle, comme si ils étaient les seuls survivants de cette guerre civile, attendant d’être jugés.
L’Échine du Diable n’est finalement en aucun cas un film d’horreur mais plutôt un conte fantastique pour adultes qui se concentre plus sur l’émotion que sur la peur. Guillermo Del Toro a progressé depuis Cronos, dans sa mise en scène comme dans manière de raconter le récit mais en renforçant encore sa patte personnelle. En détournant habilement les clichés du genre (qui auraient voulu que le fantôme soit mauvais) et en s’intéressant de près à l’histoire de l’Espagne, il confirme son talent pour parler de problèmes très réels et difficiles dans un univers fantastique. Pourtant, le film reste encore assez confidentiel et devra sa renommée aux nombreux festivals dans lesquels il amassera de nombreux prix, mais pour tous les amateurs de fantastique, il est clair que Del Toro est à suivre de près… et le temps leur donnera raison.