La Taupe, critique

Par Fredp @FredMyscreens

Plongée dans les méandres complexes de l’espionnage, La Taupe (Tinker Tailor Soldier Spy en VO) de Tomas Alfredson va dérouter autant qu’il risque bien d’envouter mais délivre ici une enquête fascinante avec un casting british cinq étoiles mené par un Gary Oldman impressionnant.

Après l’immense succès critique de Morse (au passage meilleur film de vampires de la décennie passée et magnifique allégorie sur les difficultés de l’adolescence), le suédois Tomas Alfredson avait l’embarras du choix. Mais plutôt que d’aller se compromettre dans un film de commande à Hollywood pour se faire un nom, la réalisateur a préféré se rendre au Royaume-Uni pour adapter le roman du spécialiste de l’espionnage John LeCarré, La Taupe.

Thriller d’espionnage de haute volée, La Taupe se déroule en pleine guerre froide. Alors que l’un des dirigeants des services secrets britanniques meurt, son lieutenant George Smiley se voit chargé de reprendre du service pour mener l’enquête sur la possible présence d’une taupe haut placée dans l’organisation alors qu’il est lui-même l’un des suspects. Loin des James Bond ou Jason Bourne qui trustent les écrans ces dernières années en poussant plus l’action et le spectaculaire que l’investigation dans les récit d’espionnage, Tomas Alfredson s’intéresse avant tout à l’enquête. Autant le dire tout de suite, La Taupe est l’antithèse parfaite d’un Mission : Impossible qui va tout faire passer par les échanges entre les personnages plutôt que par les explosions.

Avec la Taupe, Alfredson tisse une toile complexe où les personnages entretiennent le flou en permanence, laissant au spectateur le soin de lire entre les lignes pour comprendre les tenants et les aboutissants de l’histoire. Complexe, il l’est d’ailleurs un peu trop (élitiste diront même certains) car c’est avec la facilité à raconter des histoires denses que l’on reconnait les grands réalisateurs. Ici, à vouloir trop en faire sans donner de clés au spectateur (dialogues à suivre, rythme lent, flashback non datés, points de vues différents), le film devient un objet passionnant mais assez fermé, qui nécessitera plusieurs visionnages pour l’apprécier pleinement.

Malgré cette complexité, on reste tout de même scotché au film tant l’atmosphère est prenante. De sa Suède natale, Alfredson a gardé la froideur de sa mise en scène et mène constamment l’enquête dans des lieux fermés, étouffants, avec une rigueur graphique glaciale. Il distille tout au long du film une ambiance paranoïaque fascinante et une reconstitution des années 70′s de manière sombre et dont on ne peut se défaire. Si le récit peine à monter en pression, nous amenant doucement vers la résolution de l’enquête, cette plongée dans les arcanes des services secrets est passionnante et jamais notre œil ne lâche l’écran. Les oreilles non plus d’ailleurs puisqu’en plus de chaque plan travaillé, chaque mot a son importance et chaque personnage a son importance, même lorsqu’il n’apparait que peu de temps à l’écran.

A ce titre, Tomas Alfredson a réuni devant la caméra un casting britannique impressionnant. Mark Strong, Colin Firth, Tom Hardy, John Hurt, Toby Jones, Benedict Cumberbatch sont utilisés dans de parfaits contre-emplois subtils. Mais celui qui impressionne est bien Gary Oldman. Cela faisait longtemps que l’on souhaitait le voir en tête d’affiche, ici il fait une grande démonstration de son talent dans le costume de George Smiley d’un stoïcisme qui laisse bouche bée. Son ombre plane au dessus de chaque personnage pendant tout le film et, sans prononcer un mot, dégage une présence aussi inquiétante qu’intrigante.

Avec La Taupe, Tomas Alfredson confirme donc son talent pour installer une atmosphère fascinante. Si le récit complexe et froid va en rebuter beaucoup, impossible de passer à côté de cette ambiance et d’un casting parfait. A coup sur, il s’agit la d’une pièce maitresse du cinéma d’espionnage. Restera à savoir si Alfredson s’intéressera aux autres enquêtes de George Smiley avec la même habileté.

La Taupe