Une femme sourit à pleines dents, le visage humide et baigné de soleil, s’amusant follement à pratiquer le ski nautique le long des côtes hawaïennes…
Une image exhalant un parfum de plénitude, de félicité totale, qui pourrait très bien servir de publicité touristique pour l’archipel. Un cliché, en somme. Une idée reçue…
Tout le monde pense en effet que la vie permanente à Hawaï est un doux rêve : Le soleil, la plage, la mer, les paysages verdoyants… L’idéal pour passer ses journées à siroter des cocktails entre deux “ride” de surf…
Sauf que la réalité est un peu différente, comme le souligne d’entrée le personnage central de The Descendants, incarné par George Clooney. Les habitants de Hawaï sont des gens comme les autres.
Oui, ils ont un cadre de vie un peu plus agréable que la banlieue grise de certaines métropoles, bien que pris d’assaut par les promoteurs immobiliers qui veulent défigurer le paysage avec des hôtels gigantesque. Mais non, ils ne passent pas leur vie à glandouiller sur la plage. Ils doivent travailler dur pour gagner leur vie, au point de renoncer aux loisirs et, parfois, de délaisser leurs familles.
Leurs peines de coeur, leurs problèmes conjugaux, ne sont pas moins difficiles à supporter que ceux des autres. Leurs querelles familiales sont tout aussi compliquées à gérer que les nôtres. Et leurs deuils sont tout aussi douloureux…
De fait, l’idyllique séquence inaugurale tourne court. La joie de la femme, Elizabeth King – est interrompu par un fondu au noir brutal. Quand on la revoit, elle est alitée dans un hôpital hawaïen et sous respirateur artificiel. La partie de plaisir aquatique a tourné au drame quand la tête d’Elizabeth a heurté violemment la coque de son hors-bord, la laissant dans un coma profond.
Son mari, Matt (George Clooney), un quinquagénaire fatigué, essaie de faire face comme il peut à cette situation inattendue. Lui qui n’avait jamais de temps à consacrer à sa famille pour cause d’activités professionnelles chronophages doit subitement s’occuper de ses filles, la petite Scottie (Amara Miller) – dix ans et une certaine propension à martyriser ses camarades de classe – et Alexandra (Shailene Woodley) – dix-sept ans et un comportement frondeur qui lui a valu d’être placée dans un pensionnat privé par sa mère…
Matt doit préparer les repas, éduquer les gamines, gérer les relations avec les enseignants, les autres parents… Un cauchemar pour le bonhomme, qui n’a pas du tout l’habitude de tout cela. Mais il se dit que la situation est provisoire. Tout le monde lui dit que sa femme est solide, qu’elle va bientôt sortir du coma, alors il veut y croire et prend son mal en patience en se disant que tout sera de nouveau comme avant…
Les médecins viennent hélas doucher son optimisme. Le coma est apparemment irréversible. Et comme Elizabeth avait donné pour instruction légale, au cas où cette situation se présenterait, de ne pas la maintenir artificiellement en vie et de la laisser partir, Matt n’a d’autre choix que de se plier à cette volonté.
Il doit se préparer et préparer ses proches au décès d’Elizabeth, désormais inéluctable. Une question de jours à partir du moment où l’on débranche le matériel qui maintenait ses fonctions physiologiques.
Comment annoncer la terrible nouvelle à leurs amis? A la famille d’Elizabeth, et notamment au père de cette dernière, un vieillard irascible capable de colères homériques (Robert Foster)? Et comment l’annoncer à la petite Scottie, qui semble n’avoir pas encore pris conscience de la gravité de la situation?
Il commence par Alexandra, son aînée. Pour l’adolescente, le choc est grand, d’autant qu’avant l’accident, elle s’était violemment disputée avec sa mère.
Matt n’avait d’ailleurs pas compris les raisons de la fâcherie. Et pour cause : c’est l’infidélité conjugale d’Élisabeth qui avait suscité la colère d’Alexandra, et lui, trop occupé par son travail, n’avait comme d’habitude rien vu. Il était loin de soupçonner les activités adultérines de son épouse…
Quand la jeune fille lui apprend cette liaison, c’est à son tour d’encaisser le choc. Déçu par la trahison, vexé de n’avoir rien deviner, fou de rage, il cherche à en savoir plus sur l’amant de sa femme, un agent immobilier du nom de Brian Speer (Matthew Lillard).
Embarquant toute sa petite tribu, ainsi que le copain d’Alex, un ado tête-à-claques au Q.I. limité, il part à la recherche de l’homme, sans trop savoir ce qu’il fera quand il le verra : lui casser la figure ou simplement lui annoncer que la femme qu’ils aimaient tous deux est sur le point de décéder…
Pour couronner le tout, à côté de toutes ces choses déjà difficiles à gérer ou à digérer, Matt doit aussi prendre une importante décision concernant l’héritage familial, les terres de ses ancêtres. Cet important domaine sur l’île de Kauai, préservé de ce bétonnage intensif qui, d’année en année, a défiguré l’archipel, et qui n’est pas encore envahi par des cohortes de touristes venus se faire dorer la pilule au soleil, intéresse évidemment les promoteurs immobiliers qui fantasment déjà sur le green de golf qu’ils vont pouvoir construire. Les cousins de Matt, copropriétaires du terrain, sont divisés sur le sort du terrain : le vendre à une grosse compagnie américaine qui y construira un gigantesque hôtel sans âme ni identité, ou le vendre à un gros propriétaire terrien de Hawaï qui ne lui réservera sans doute pas un meilleur sort, mais qui a au moins pour lui son attachement à la culture hawaïenne.
Dernière option, très minoritaire, ne pas vendre et respecter l’un des rares endroits de Hawaï qui soit encore tel qu’à l’époque du roi Kamehameha, le glorieux ancêtre de Matt et de sa famille d’indigènes…
Le film, comme le titre l’indique, tourne beaucoup autour de la notion d’héritage, de transmission, de racines…
Dans une famille, l’héritage est d’abord physique, par les traits que l’on reçoit de ses parents, par le caractère que l’on partage aussi parfois (A un moment, Matt dit à Alexandra qu’elle est le portrait craché de sa mère, tant par le physique que par le caractère, bien trempé et déterminé). Il est aussi moral, par l’éducation que l’on reçoit (Le pauvre Matt s’échine à corriger les écarts de conduite et de langage de ses deux filles…)
Et il est enfin territorial, par le legs d’un endroit qui est généralement imprégné des souvenirs partagés (cette maison familiale laissée à l’abandon, dans laquelle Matt n’avait plus mis les pieds depuis des années).
Cet héritage fait partie intégrante de chaque être humain. C’est un bagage dont on ne peut pas vraiment se défaire. On le range juste dans un coin pour faire de la place à nos propres expériences, et stocker nos propres souvenirs. Mais il est encore là, dans un petit coin de notre mémoire…
La mémoire, c’est l’autre grande thématique abordée par le film.
C’est quelque chose de fragile, de précieux, qu’il convient de protéger. On le voit à travers la mère d’Elizabeth, atteinte de la maladie d’Alzheimer, dont les souvenirs s’effacent peu à peu et qui ne se souvient même plus de a propre fille.
Or ne pas se souvenir de cette femme qu’ils ont aimée, c’est précisément ce qui hante Matt et ses enfants. Se souviendront-ils d’Elizabeth une fois que ses cendres auront été dispersées dans l’Océan Pacifique? Se souviendront-ils d’elle de manière positive après l’avoir quittée sur une trahison ou une dispute? Le but de leur périple est de trouver l’apaisement, de pouvoir se réconcilier avec Elizabeth avant qu’elle ne les abandonne et de garder d’elle l’image immaculée d’une épouse et d’une mère.
Pas très joyeux tout cela, allez-vous penser.
Il est de fait que The Descendants comporte de nombreuses scènes poignantes, de nature à arracher quelques larmes sans se vautrer dans le pathos, le point d’orgue étant évidemment l’adieu final à Elizabeth, en toute fin du récit.
Mais le film est tout autant l’histoire d’un sommeil définitif que d’un éveil. Matt prend conscience de ses erreurs passées et de l’importance de son rôle de père, de l’importance de la famille, des racines. Alex aussi, dans une moindre mesure, se retrouve contrainte d’assumer des responsabilités. Elle qui était rebelle, en rupture avec les siens, se trouve brusquement promulguée “femme de la famille” et doit aider son père à éduquer Scottie tout en surveillant ledit paternel, sur le point de péter les plombs…
Cette situation où les rôles semblent s’inverser, où la gamine plus mature que son âge tente de raisonner son père, qui se comporte comme un grand gamin paumé, apporte une pointe de comédie bienvenue dans cette ambiance mélancolique.
On rit même franchement à certaines séquences. Notamment celles qui font intervenir l’inénarrable Sid (Nick Krause), le copain d’Alex. Un jeune crétin qui ne respecte rien ni personne, qui ricane pour un rien et qui raconte des inepties en traînant sa silhouette massive et nonchalante sur les pas d’un Matt qui n’en demandait pas tant… Ah! Une vrai tête-à-claques, celui-là! D’ailleurs, son comportement insolent lui vaudra une belle rouste de la part de Robert Foster.
Pourtant, c’est vers lui que se tournera Matt, une nuit d’insomnie, pour vider son sac et chercher une oreille attentive. La scène est magnifique et résume bien la tonalité douce-amère du film.
Matt demande au garçon des conseils sur la façon de gérer sa vie, ses filles, l’amant de sa femme… Evidemment, le neuneu ne peut s’empêcher de débiter des âneries et passe d’autant plus pour ridicule qu’il e prend en pleine figure les sarcasmes de Matt (et les rires des spectateurs). Mais le jeune coq entre deux inepties, finit par se livrer un peu plus sérieusement. Matt réalise que le garçon est orphelin de père et que c’est probablement cette absence qui est la cause du comportement un peu rude de l’adolescent. Et il comprend aussi qu’Alex l’a fait venir auprès d’elle parce qu’elle avait besoin de partager son chagrin avec un ami qui avait déjà vécu une situation similaire à la sienne.
Le rire cède place à l’émotion en un battement de cil, et un personnage aux traits assez grossiers se dévoile plus touchant qu’il n’en a l’air… Brillant…
Cette finesse dans la description des personnages n’est absolument pas nouvelle chez Alexander Payne, auteur des déjà forts sympathiques Sideways, Mr Schmidt ou L’Arriviste. Chaque personnage, même parmi les seconds rôles, possède une certaine épaisseur : le cousin Hugh (Beau Bridges), Brian Speer (Matthew Lillard) et sa femme Judy (Judy Greer), les amis du couple… Et il faut aussi reconnaître au cinéaste un talent certain pour choisir ses comédiens. Car si les rôles sont joliment dessinés, tous incarnent leurs personnages avec justesse et conviction, à commencer par George Clooney.
L’acteur américain est remarquable dans ce rôle de quinquagénaire paumé. Il est aussi brillant dans le registre de la comédie pure que dans celui de l’émotion plus intimiste, crédible aussi bien en charmeur qu’en mari trompé, en papa-poule qu’en parent inconséquent. Puisqu’on parle de filiation dans ce film, il se pose de plus en plus comme le digne descendant d’un Cary Grant ou d’un James Stewart, des acteurs qui alliaient une élégance naturelle à une palette de jeu d’acteur très large.
A ses côtés, il convient aussi de saluer la jolie performance de la non moins jolie Shailene Woodley, qui fait montre elle-aussi d’un talent certain pour la comédie. Elle semble promise à un bel avenir au cinéma après s’être faite remarquer dans plusieurs séries télévisées pour teenagers.
Résumons un peu tout cela :
The Descendants est un drôle de mélodrame, pudique et digne qui ne sombre jamais dans le chantage à l’émotion.
C’est est une comédie amère, où le rire et l’émotion sont intimement liés.
C’est un film admirablement construit et écrit, à partir du roman de Kaui Hart Hemmings (1), qui aborde des thèmes complexes et finement entrelacés, comme le deuil, la mémoire, la transmission…
C’est un plaidoyer pour la préservation des paysages typiques et naturels contre la folie bétonnière des promoteurs…
C’est un film interprété à la perfection par des acteurs attachants…
C’est une oeuvre formidablement filmée par le chef-opérateur Phedon Papamichael et portée par une bande-originale composée de complaintes mélancoliques hawaïennes jouées au ukulélé…
Bref, The Descendants est une des très bonnes surprises de ce début d’année 2012, et on vous le recommande chaudement.
(1) : “The Descendants” de Kaui Hart Hemmings – éd.Jacqueline Chambon
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The Descendants
Réalisateur : Alexander Payne
Avec : George Clooney, Shailene Woodley, Robert Foster, Matthew Lillard, Judy Greer, Amara Miller, Nick Krause
Origine : Etats-Unis
Genre : bel héritage
Durée : 1h50
Date de sortie France : 25/01/2012
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Libération
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