On choisit pas sa famille…
Et à vrai dire, tant mieux, sinon, il n’y aurait guère de volontaires pour habiter parmi les membres de la famille Hellman, qui sont tellement névrosés et abîmés par la vie qu’ils ne peuvent même plus se supporter entre eux.
Il y a d’abord le patriarche, Jo, ex-militaire ayant survécu aux assauts japonais lors de la seconde guerre mondiale mais qui se retrouve aujourd’hui sur le point de succomber à un autre type d’attaque, cardiaque celle-là…
Et la mère, Doris (Ellen Burnstyn) toujours tirée à quatre épingles et prodigue en sourires doucereux, mais incapable de donner un minimum d’affection à ses propres filles…
A sa décharge, elles sont assez insupportables : braillardes, vulgaires, frappadingues, à l’instar de Donna (Diana Scarwid), une illuminée qui invente des vêtements (moches) pour chihuahuas ou de Bonnie (Siobhan Fallon), commère plouc qui passe son temps à médire sur les autres…
Et encore, celles-là ont encore droit à un minimum de respect, ce qui n’est pas le cas de Lynn (Ellen Barkin).
Quand cette dernière s’est retrouvée larguée par Paul (Thomas Haden Church) au profit de Patty (Demi Moore), stripteaseuse BCBG au caractère bien trempé, sa charmante mère a pris le parti dudit mari, et ce, malgré son caractère manifestement violent.
Les chiens ne faisant pas des chats, les enfants de Lynn sont encore plus ravagés qu’elle, ce qui n’est pas peu dire…
Alice (Kate Bosworth), l’aînée, ne s’est jamais remise de la séparation de ses parents et n’a rien trouvé de mieux pour exprimer son mal-être existentiel que de s’auto-scarifier à l’aide d’objets tranchants. Elle remonte la pente doucement, en suivant des études de psychologie (tu m’étonnes…) mais reste surprotégée par ses proches, qui craignent qu’elle ne rechute.
Eliott (Ezra Miller), n’est guère mieux loti. A 17 ans, il a déjà fait plusieurs cures de désintoxication pour cause d’alcoolisme et d’addiction aux médicaments. Il est rebelle, insolent, fume du shit et arrose de sarcasmes tout son entourage. Ah! Ajoutons à cela qu’il est un fieffé menteur, qu’il fume du shit – et même pas en cachette – et qu’il est en plus atteint du syndrome de La Tourette, vous voyez un peu le tableau.
Quant à son jeune frère, Ben (Daniel Yelski), il suit à peu près le même chemin, puisqu’il souffre, lui d’un syndrome autistique voisin de celui d’Asperger, qui le fait “buguer” de temps à autres. Ce qui ne l’empêche pas d’asséner des vérités blessantes, car , mine de rien, c’est sans doute lui le plus lucide de la fratrie…
Il faut le voir expliquer d’un ton calme à sa mère que c’est de sa faute à elle si tous les gamins de la famille sont tarés, puisque le seul de ses enfants ayant un comportement normal est celui qu’elle n’a pas élevé elle-même.
Il s’agit de Dylan, son fils aîné, qui était resté vivre avec son père au moment de la séparation.
Effectivement, le jeune homme est l’exception qui confirme la règle. Il semble tout à fait équilibré, serein, heureux de vivre. Pas de troubles obsessionnels, pas d’addiction à quoi que ce soit hormis à l’affection de la jeune femme qu’il s’apprête à épouser.
Pour l’occasion de ce mariage, toute la famille se réunit, et cet argument permet au cinéaste Sam Levinson de mettre en place un joli jeu de massacre où tout ce petit monde finira par régler plus ou moins ses comptes et parviendra à se libérer de ses chaînes…
Bon, soyons clairs, ce genre d’histoire mettant à mal cette sacro-sainte institution qu’est la famille pour les américains n’est pas vraiment original. Des personnages un brin farfelus qui profitent d’un événement particulier pour laver leur linge sale en famille, on en a déjà vu des dizaines. Mais il faut bien reconnaître que ce scénario-là est un peu mieux écrit que la moyenne, réussissant notamment à illustrer cet étonnant paradoxe qui fait qu’au sein d’une famille, les dissensions apparaissent plus volontiers lors d’événements heureux comme un mariage, mais que les liens se resserrent davantage lors d’un événement funeste, comme un enterrement…
Par ailleurs, le cinéaste Sam Levinson (fils de Barry Levinson, soit dit en passant, mais comme on a dit, on ne choisit pas sa famille…) peut compter sur une distribution étincelante et homogène, aucun acteur ne cherchant à surpasser les autres. D’Ellen Barkin, qui trouve là un nouveau grand rôle, un an après Shit year (toujours scandaleusement inédit en France), à Demi Moore, qui joue sur son image de cougar sexy, de l’étonnante Kate Bosworth, sensible et émouvante, à la toujours juste Ellen Burnstyn, les actrices sont toutes excellentes, sachant toujours s’arrêter à la frontière du cabotinage.
Et les acteurs ne sont pas mal non plus. Mention spéciale à Ezra Miller qui, après nous avoir terrifié dans We need to talk about Kevin, campe une nouvelle figure d’adolescent dérangé et mal dans sa peau. Ses répliques cyniques font mouche à chaque fois et rythment efficacement le film.
On ne choisit pas sa famille, d’accord, mais on peut choisir les films que l’on va voir au cinéma. Et on peut donc très bien choisir d’aller voir cette chronique familiale douce-amère, oscillant entre rires et larmes, dont la jolie mécanique scénaristique a été primée à Sundance l’an passé…
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Another happy day
Another happy day
Réalisateur : Sam Levinson
Avec : Ellen Barkin, Ezra Miller, Ellen Burnstyn, Demi Moore, Kate Bosworth, Thomas Haden Church, George Kennedy
Origine : Etats-Unis
Genre : familles, je vous hais-me…
Durée : 1h55
Date de sortie France : 01/02/2012
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Critikat
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