L’écriture de dialogues constitue la dernière, et sans doute la plus délicate, étape du processus dramaturgique. Certains scénaristes maîtrisent d’ailleurs peu ou mal cette discipline qui fait tant appel à l’oreille qu’à la plume. Je vous avais déjà expliqué par le passé quelles sont les fonctions du dialogue et les écueils à éviter lors de leur création mais je vous propose aujourd’hui de nous pencher sur diverses façons de les améliorer lors de la réécriture du scénario…
Après avoir étudié comment réécrire un scénario, puis une scène, il était logique d’aborder la face émergée de l’iceberg, à savoir le polissage des dialogues, étape primordiale s’il en est puisque c’est un des éléments qui va le plus déterminer l’adhésion ou non adhésion du spectateur devant l’oeuvre tournée.
Qu’il s’agisse d’un film de cinéma, d’un unitaire ou épisode de série pour la télévision ou le web, le plaisir qu’éprouve le public à suivre une histoire, son identification aux personnages, passe en grande partie par l’audition des dialogues. Toute la difficulté consiste pour le scénariste à les utiliser à bon escient, de façon subtile, afin qu’ils véhiculent des informations, ou suscitent des émotions, sans pour autant devenir explicatifs. Avant de passer à ces divers conseils de réécriture, je ne saurais que trop vous conseiller de lire ou relire l’article dédié aux fonctions du dialogue dans un scénario car je n’y reviendrai pas aujourd’hui.
Non, aujourd’hui je pars du principe que vous avez écrit un scénario dans lequel les dialogues remplissent leur rôle sans toutefois sonner juste, ce qui est très normal dans une première version, voire une V2. Il vaut mieux s’assurer d’avoir bâti une solide structure, puis que chaque scène est indispensable à l’intrigue, y remplit efficacement son rôle, que les personnages sont habilement caractérisés, avant de fignoler leur propos.
Voici quelques méthodes à cet effet:
1. Tout d’abord, un dialogue se doit d’illustrer le caractère d’un personnage, ça c’est le service minimum, mais assurez-vous que chacun de vos personnages possède sa façon propre de s’exprimer, qu’elle reflète ses origines socioculturelles, l’époque et la tranche d’âge à laquelle il appartient, voire sa profession. Cela implique bien entendu d’effectuer de solides recherches. On ne peut s’appuyer sur sa seule l’imagination pour faire s’exprimer un adolescent de banlieue, un aristocrate du 18ème siècle ou un ouvrier retraité des années soixante-dix, il faut se documenter, s’imprégner, parfois même s’immerger dans leurs univers spécifiques. Lisez, voyez des documentaires, allez sur le terrain, utilisez les ressources du Net, bref, faites votre boulot d’auteur jusqu’au bout du processus de création.
2. Exercez votre oreille en prenant l’habitude d’analyser la façon dont s’expriment vos proches, les personnes que vous croisez quotidiennement, celles que vous voyez à la télévision, qui sont assises à côté de vous dans un café (oui bon, je sais, c’est mal d’écouter aux portes mais là c’est pour la bonne cause ). Dans un second temps, quand il s’agira de réécrire vos dialogues, lisez-les à voix haute, seul(e) ou avec des partenaires. Certains scénaristes vont jusqu’à interpréter les personnages, comme s’ils répétaient une pièce. Il me semble toutefois qu’il vaut mieux confier cette tache à des tiers en se contentant de les écouter, c’est le meilleur moyen pour avoir du recul. On dispose rarement d’un tel staff mais la lecture solitaire à voix haute fait largement ses preuves.
3. Cultivez l’art du sous-texte, usez et abusez de l’ironie dramatique. Dans une bonne histoire comme dans la vie, une personne dit rarement tout ce qu’elle pense. Les informations dont dispose le spectateur, sa position omnisciente, lui permettra d’apprécier les propos de vos personnages d’une façon bien plus intense si vous ne lui pré-mâchez pas le travail.
4. Utilisez des silences pour ponctuer certains propos, pour aménager des temps de respiration au cours desquelles le spectateur peut s’intéresser aux émotions complexes que véhicule le personnage. La plupart du temps (et notamment sur notre sol, hem…) les scénarios (et donc les films) sont beaucoup trop bavards.
5. Écrémez vos dialogues, zappez sans états d’âme tout ce qui n’y est pas rigoureusement indispensable, et/ou explicatif. Un regard ou un geste bien pensé valent en général de longs discours…
6. Évitez de vous prendre pour Quentin Tarantino ou Woody Allen, c’est le meilleur moyen de plomber votre scénario. Soyez humble mais efficace, à moins bien entendu que vos personnages eux-mêmes imposent un phrasé flamboyant/déjanté/névrotique, auquel cas il vous faudra réellement fignoler la moindre virgule.
7. Créez un nouveau degré de conflit. Il y en a déjà dans vos scènes, de part les objectifs divergents des personnages, mais rien ne vous empêche de les faire s’affronter aussi verbalement. Attention, conflit ne signifie pas forcément dispute: la séduction, la taquinerie, l’interrogatoire, la rivalité, et autres rapports de force peuvent s’exprimer sans hausser le ton…
8. Créez des nuances de rythme. L’écriture de dialogues s’apparente à celle d’une partition musicale: si vous avez le même tempo du début jusqu’à la fin, le résultat est plat, ennuyeux. Il vous faut un crescendo, des coupures, des silences, des reprises, etc. C’est particulièrement vrai lorsqu’on écrit une comédie mais n’importe quelle histoire nécessite ce soin particulier. Voici un brillant exemple, une fois de plus tiré d’American Beauty, écrit par Alan Ball, qui condense en moins de deux minutes trente la majeure partie des conseils ci-dessus…
9. Vos dialogues se doivent d’être réalistes MAIS meilleurs que les propos de « la vraie vie ». L’art imite la vie mais la transcende comme dirait l’autre…
C’est sans doute difficile à reconnaître, mais la majeure partie de nos échanges quotidiens seraient soporifiques transposés sur écran, grand ou petit. Votre job d’auteur, c’est de captiver l’attention du spectateur, de l’émouvoir, de le choquer, de le faire rire, de lui faire peur…
Quelques conseils du grand Robert McKee en guise de dessert?
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