On n’aime pas rédiger des critiques négatives sur le travail d’artistes que l’on apprécie généralement, mais il faut bien rester objectif et dire les choses avec franchise.
Alors, on aime bien Juliette Binoche, on aime bien Mathieu Kassovitz, on aime bien tous les acteurs qui jouent à leurs côté dans La Vie d’une autre, on aime bien Sylvie Testud, l’actrice et écrivaine qui passe ici derrière la caméra, mais on n’a pas aimé son film…
Pourtant, sur le papier, le scénario, tiré du roman de Frédérique Deghelt (1), était intéressant.
Il repose sur le principe du personnage brusquement propulsé dans le futur et réalisant ce qu’est devenue sa vie : Marie (Juliette Binoche) se réveille le jour de ses 41 ans, en ayant totalement oublié seize ans de sa vie. Son dernier souvenir s’arrête à l’anniversaire de ses 25 ans et le début de son histoire d’amour avec Paul Speranski (Mathieu Kassovitz), le fils de son nouvel employeur. Elle découvre sa vie avec le regard de la jeune femme qu’elle était. Elle découvre qu’elle vit toujours avec Paul, qu’elle a un fils de dix ans dont apparemment, elle ne s’occupe pas trop, qu’elle habite un appartement chic avec vue sur la Tour Eiffel, qu’elle a brillamment réussi sa carrière professionnelle en s’imposant comme l’une des femmes d’affaires les plus respectées du milieu…
Mais elle réalise aussi que cette réussite a un prix : obsédée par sa carrière, Marie a délaissé ses proches. Elle a rompu les liens avec ses parents et s’est peu à peu détournée de Paul, avec qui elle est en instance de divorce…
On voit bien ce qui a intéressé Sylvie Testud dans cette histoire : le décalage entre les rêves de jeunesse et ce que l’on fait de sa vie, la difficulté de concilier une vie de femme et une vie professionnelle, le déclin de la passion, éprouvée par l’usure du temps et des tracasseries quotidiennes… Et on saura gré à la réalisatrice d’avoir traité le sujet sans tomber dans l’humour balourd (comme Deuxième vie de Patrick Braoudé, sur un principe identique) ou la nunucherie sentimentale (comme L’Age de raison de Yann Samuel). Pour autant, à l’écran, le résultat n’est pas franchement excitant…
La faute, surtout, à une mise en scène qui manque de dynamisme et d’inventivité.
Sylvie Testud a certes appris le métier auprès de très bons metteurs en scène et son film est techniquement honnête. Mais sa réalisation est un peu trop classique, trop sage et a la mauvaise idée de s’appuyer un peu trop sur les comédiens…
Mauvaise idée, oui… Parce que Juliette Binoche en fait des tonnes dans son rôle de femme perdue à une époque qui n’est pas la sienne, et confrontée à des problèmes domestiques qui la dépassent. Son cabotinage amuse un peu, puis ennuie rapidement.
Mathieu Kassovitz, lui opte pour l’excès inverse, livrant une performance minimaliste. On préfère largement cela, mais une petite pointe d’émotion en plus n’aurait pas nui au personnage…
Quand le film quitte les rails de la comédie, imposés par le postulat de départ, pour passer à un registre plus mélodramatique, Juliette Binoche gagne en sobriété et donc en crédibilité. Son actrice principale ayant retrouvé de sa superbe, le film offre de beaux moments, comme cette sortie nocturne en bateau-mouche où le couple en crise oublie un temps ses différends et retrouve l’insouciance de la jeunesse, ou comme la réconciliation de Marie avec sa mère (Danièle Lebrun, impeccable).
Malheureusement, ces scènes-là sont trop rares pour sauver le film…
Oui, La vie d’une autre est soigneusement mis en lumière – par l’expérimenté Thierry Arbogast – et bénéficie d’une bande-son sympathique. Mais si le résultat final n’a rien de honteux, il n’est pas franchement enthousiasmant non plus.
A un moment, au début du film, Marie prépare un plat de pâtes au fromage peu ragoûtant et affirme “ce n’est pas parce que c’est moche que ce n’est pas bon”. On a envie de retourner la réplique et de poser que ce n’est pas parce qu’un film est esthétiquement joli qu’il est forcément bon et on peut donc trouver dommage qu’avec des ingrédients aussi raffinés, Sylvie Testud ne parvienne pas à nous offrir autre chose qu’un plat de pâtes trop cuites ou une bouillie de comédie mélo-romantique assez indigeste…
(1) : “La vie d’une autre” de Frédérique Deghelt – coll. Livre de Poche – éd. lgf
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La vie d’une autre
Réalisatrice : Sylvie Testud
Avec : Juliette Binoche, Mathieu Kassovitz, Aure Atika, Vernon Dobtchef, Danièle Lebrun, François Berléand
Origine : France
Genre : plat de pâtes trop cuites
Durée : 1h37
Date de sortie France : 15/02/2012
Note pour ce film : ●●○○○○
contrepoint critique chez : 20 minutes
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