Bête de festival allant même jusqu’aux Oscars, voici que le belge Bulhead arrive sur les écrans français. Attention, uppercut sur grand écran.
Bon, cette fois on oublie les belges et leurs histoires de vélos pour se concentrer sur une autre facette de leur cinéma, plus sombre, plus violente, plus rageuse, à l’image des conflits qui occupent les deux côtés culturels et linguistiques du pays. Avec Bullhead, le réalisateur Michael R. Roskam nous embarque dans une histoire de mafia, de trafic d’hormones sur fond d’élevage de bovins. Mais tout ceci n’est qu’un contexte, car ce fond d’histoire sert surtout à présenter le portrait d’un personnage blessé au charisme impressionnant : Jacky.
On ne sait pas trop au début ce qui a pu arriver à Jacky mais on sent bien que derrière la montagne de muscles gonflés à la testostérone se cache un passé douloureux. Pourquoi cet éleveur de bovins se dope-t-il ainsi ? pourquoi à 33 ans reste-t-il en famille à tramer des affaires qui le mettent mal à l’aise ? Et quel est son rapport avec cette affaire de d’agent fédéral assassiné ? A mesure que Roskam répond à ces questions, il lèvera un voile sur le passé de Jacky, nous révélant la nature profonde de son mal-être et de sa colère.
Le film prend pourtant son temps pour y arriver, décrivant de manière parfois légèrement confuse le contexte. Entre le milieu de la mafia et des trafic d’hormones qui ne nous est pas forcément familier et les différents dialectes à appréhender, il y a quelques subtilité qui peuvent légèrement déstabiliser… et pourtant on reste hypnotisé par l’univers décrit avec un sens esthétique discret qui ne l’emporte jamais sur l’âpreté du décor et la noirceur du propos. Et c’est une fois que nous commençons à entrer dans ce milieu que le réalisateur nous assène un premier uppercut, un flashback nous donnant les premiers éléments de réponse sur ce qui a forgé la personnalité de Jacky.
Dès lors, l’affaire tournant autour du trafic n’est plus ce qui occupe notre esprit. Non, ce qui importe, c’est ce que vit cet homme, presque animal qui a perdu une partie de lui-même et qui le prive d’une vie qu’il désire tant. Il n’y a pas que les 27 kilos qu’a pris Matthias Schoenaerts pour le rôle qui marquent les esprits. L’acteur n’a pas besoin d’en dire beaucoup, son corps, cette masse, compense les sentiments qu’il n’arrive pas à délivrer par les coups. Cela parle déjà bien assez mais il y a aussi et surtout cette détresse qui se lit dans son regard. Roskam filme son anti-héros comme un fermier emmène ses bêtes à l’abattoir. Il connait, et nous avec lui, le chemin qui l’attend mais nous ne pouvons nous détourner de lui. La faille de Jacky, qui le rend malgré tout humain et grâce à laquelle on s’attache profondément à lui, nous amène à ne plus le lâcher des yeux jusqu’à la fin de Bullhead qui nous achèvera par KO.
Véritable coup de point de ce mois au cinéma, on ressort de Bullhead vraiment secoué par la maîtrise de Michael R. Roskam pour faire passer un sujet difficile et finalement bien plus large (mine de rien, on touche aussi ici à la dualité de la Belgique) et intime qu’on ne pourrait le croire. Mais surtout la performance de Matthias Schoenaerts secoue. Aucun doute, nous avons affaire ici non seulement à l’un des films les plus marquants de l’année mais aussi à un réalisateur et un comédien à suivre de très près.