“Une bouteille à la mer” de Thierry Binisti

Par Boustoune

Tal (Agathe Bonitzer) est une jeune femme de 17 ans. Elle est française mais sa famille a décidé de venir s’installer à Jérusalem pour offrir un autre confort de vie à sa famille et se rapprocher de ses racines religieuses israélites.
A la fois étudiante studieuse et adolescente rebelle, comme l’indique son piercing, c’est une jeune fille ordinaire…
Mais le contexte dans lequel elle vit l’est un peu moins. Car du fait des tensions communautaires entre israéliens et palestiniens, elle vit constamment sous la menace terroriste.

Un jour, un attentat a lieu à deux pas de chez elle. Un kamikaze s’est fait exploser dans un café de son quartier, causant de nombreux morts et de nombreux blessés.
La jeune femme est choquée. Jusque-là, la menace était abstraite. Elle devient cette fois bien concrète.
Pour apaiser ses angoisses, elle écrit une lettre ouverte à un palestinien virtuel, lui demandant ce qu’il pense de cette escalade de la violence et de la possibilité qu’un jour, les deux peuples puissent cohabiter pacifiquement.
Elle glisse la lettre dans une bouteille vide et demande à son frère, qui fait son service militaire dans la bande de Gaza, de la jeter à la mer pour qu’un palestinien puisse éventuellement la trouver et lui répondre.

Naïm (Mahmud Shalaby) est un palestinien d’une vingtaine d’années qui vit avec sa mère à Gaza.
Celle-ci insiste pour qu’il fasse des études et puisse décrocher un diplôme qui lui offre une possibilité de sortir de Palestine et de bénéficier d’une vie moins difficile. Mais faute de mieux, le garçon travaille comme livreur pour le compte de son oncle.
C’est lui qui trouve la fameuse bouteille, et il décide de répondre à Tal, par le biais d’un accès internet dans un cybercafé de Gaza.

Au début, les échanges sont faits de reproches et d’incompréhension, mais devant l’insistance de la jeune fille, Naïm décide de jouer le jeu. Au fil des e-mails, les deux correspondants vont apprendre à se connaître, à s’apprécier, et réaliser finalement qu’ils partagent les mêmes idéaux de paix et de liberté.

Ce processus décrit dans le film a son importance.
Car jusqu’à présent, ce qui empêche l’instauration d’une paix durable au Moyen-Orient, c’est principalement l’incapacité des deux camps rivaux à dialoguer l’un avec l’autre.
Oh bien sûr, il y a des négociations permanentes entre les responsables palestiniens et israéliens, mais ces personnes sont plus dans le politique que dans l’humain et parlent au nom d’un peuple dans son ensemble, sans apporter de nuances. Or pour que la paix soit durable, il faut réussir à changer les mentalités de part et d’autre du mur de séparation.

Première barrière : surmonter les préjugés et les idées reçues.
Non, les israéliens ne sont pas tous d’odieux colons venus chasser de leurs terres les pauvres palestiniens…
Non, les palestiniens ne sont pas tous d’infâmes terroristes prêts à se lancer dans un djihad contre l’état hébreux…
Aussi bien dans un camp que dans l’autre, on trouve une majorité de gens simples,  cherchant juste à vivre normalement, librement, en bonne intelligence avec le voisin…

On trouve aussi quelques abrutis fanatiques prêts à tout pour mettre à nouveau le feu aux poudres (contre ceux-là, on ne peut rien, hélas, sauf à veiller à les empêcher de nuire…) et des gens qui ont trop souffert pour pouvoir pardonner à l’adversaire.

C’est ainsi que la relation épistolaire entre Tal et Naïm se verra compromise. Un énième accrochage entre factions rivales dégénère et provoque une escalade de la violence. Intifada. Attentats. Riposte meurtrière des israéliens. Bombardements. Désespoir des uns qui les pousse à la violence. Réaction hostile du camp d’en face qui se sent agressé. Et ainsi de suite, chaque escarmouche entretenant les inimitiés, dans un cercle infernal …
Tal et Naïm, qui avait noué des liens presque amicaux, se retrouvent dans des camps adverses.
La jeune femme a peur pour son frère, envoyé sur le terrain pour réprimer la révolte palestinienne, mais aussi pour Naïm, pris sous les bombardements… Les rancoeurs et la haine refont surface en même temps que les préjugés et les généralités communautaires…

L’intelligence, c’est d’arriver à continuer à entretenir le dialogue en faisant abstraction, autant que faire se peut, de ce contexte passionnel, de cette haine tenace, transmise de génération en génération.

Tal et Naïm sont jeunes. Ils sont à un âge où l’on a encore des rêves et ils ne souhaitent pas que ceux-ci soient brisés par ce conflit absurde qui pourrit l’atmosphère du Moyen-Orient depuis près d’un siècle.
Ils maîtrisent les nouveaux outils de communication, ce qui leur permet d’échanger à peu près librement l’un avec l’autre. Avant, tout dialogue était impossible puisque la rencontre physique était empêchée par le mur de séparation ou l’armée israélienne… Eux peuvent correspondre à distance, dans cette zone neutre que constitue le web. Et dans une langue neutre – français, anglais – qui abolit la barrière linguistique.
Peut-être que cette génération-là, et celles qui viendront après et bénéficieront de nouveaux moyens de communication encore plus performants,  sera capable de maintenir le dialogue, l’échange et permettra, enfin, d’instaurer la paix entre palestiniens et israéliens.

Cette Bouteille à la mer renferme un message d’espoir, écrit avec des rêves de paix et de liberté, de fraternité et de métissage des cultures. On espère donc qu’elle ne se brisera pas sur des rocs d’indifférence.

Oui, difficile de ne pas adhérer au propos humaniste du film – et du roman dont il est tiré (1) – de ne pas apprécier la façon très juste dont est mené le récit, en évitant tout manichéisme, toute prise de position pour un camp ou un autre, en refusant les facilités que constituent les bons sentiments et le happy-end trop mièvre.

Difficile aussi de ne pas s’attacher aux personnages, joués par des comédiens inspirés.
Les deux comédiens principaux, évidemment :  Agathe Bonitzer, parfait mélange de candeur et de maturité, et Mahmud Shalaby, dont le regard clair reflète conjointement la rage et l’espoir.
Mais aussi les seconds rôles : Hiam Abbass, impeccable (comme toujours) en mère prête à se sacrifier pour que son fils puisse avoir la chance qu’elle n’a jamais eue, celle de quitter la bande de Gaza pour découvrir le Monde. Abraham Belaga en frangin soldat éprouvé par la dureté des affrontements. Jean-Philippe Ecoffey en père de famille inquiet, Loai Nofi, Riff Cohen…

En revanche, on regrettera que la réalisation manque un peu de dynamisme. Thierry Binisti a privilégié une mise en scène sobre pour permettre à ses acteurs de mieux s’exprimer, mais pour le coup, c’est peut-être un peu trop classique sur la forme pour que l’émotion vienne nous submerger. Dommage…

Mais cela n’empêche pas Une bouteille à la mer  d’être un film plaisant à suivre, porté par une belle énergie et les meilleurs intentions du monde. Pas un chef-d’oeuvre du septième art, d’accord, mais une oeuvre subtile et intelligente, qui apporte sa pierre à l’édifice en devenir de la paix entre israéliens et palestiniens. Et c’est déjà beaucoup…
(1) : “Une bouteille dans la mer de Gazza” de Valérie Zenatti – éd. L’école des loisirs 

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Une bouteille à la mer
Une bouteille à la mer

Réalisateur : Thierry Binisti
Avec : Agathe Bonitzer, Mahmud Shalaby, Hiam Abbass, Jean-Philippe Ecoffey, Abraham Belaga, Riff Cohen
Origine : France, Israël
Genre : message d’espoir
Durée : 1h39
Date de sortie France : 08/02/2012
Note pour ce film : ○○
contrepoint critique chez : In the mood for cinéma

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