“La mer à boire” de Jacques Maillot

Réaliser un film sur la crise économique ou sur le fonctionnement d’une entreprise, ce n’est plus si original que cela. On a vu des dizaines de film ayant pour héros des ouvriers en grève ou des responsables syndicaux en pleine lutte des classes.
Mais réaliser un film sur la crise économique vue du point de vue d’un patron de PME, c’est plus rare…

Aussi, c’est plutôt une bonne idée qu’a eue Jacques Maillot en racontant l’histoire – fictive, mais inspirée de faits divers réels – de Georges Pierret (Daniel Auteuil), chef d’entreprise brusquement rattrapé par la crise économique et obligé de se battre pour conserver le contrôle de son entreprise, tel un capitaine de navire en pleine tempête.
La comparaison n’a rien de fortuite : l’entreprise en question est un chantier naval fabriquant des yachts luxueux pour riche personnalités. Un marché de niche dans un secteur rudement touché par la crise économique.

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Alors que ses concurrents ferment les uns après les autres, sauf quelques grosses entreprises faisant dans le “bas de gamme”, Pierret s’en sort honorablement. Ses bateaux sont réputés pour leur qualité, leur finition artisanale soignée et l’entreprise a toujours des contrats à honorer. Aussi, le patron, soucieux de faire grandir encore un peu sa petite entreprise, a décidé d’investir dans de nouvelles installations permettant de réaliser des bateaux plus grands.
Le hic, c’est que l’organisme de crédit qui s’occupe de l’entreprise trouvent cette gestion trop hasardeuse et refuse de lui renouveler ce crédit qui lui permet ainsi de payer la main d’oeuvre et les matériaux tant que le yacht n’a pas été fabriqué et que le client n’a pas payé. Ou alors si, à une condition, que Pierret se sépare de la branche “moulage” de l’entreprise, la moins rentable. Ce qui signifie mettre à la porte la moitié du personnel, dont certains membres sont là depuis près de vingt ans.
Evidemment, au début, il refuse catégoriquement de se résoudre à cela. Son entreprise, c’est tout ce qu’il a, et les artisans qui y travaillent sont sa seule famille.
Il diminue au maximum son salaire, économise sur de petites choses, puis tente de convaincre son associé et copropriétaire de remettre la main au portefeuille, mais ce-dernier vient d’investir sa fortune dans d’autres affaires plus lucratives. Alors Pierret n’a plus le choix. Pris à la gorge, il ne peut que se résoudre à la restructuration…

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Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là…
Evidemment, les ouvriers licenciés sont furieux et réclament des primes de licenciement plus conséquentes. Ils votent l’occupation de l’usine et bloquent toute la chaîne d’assemblage. Et plus les négociations piétinent, plus la tension monte chez certains ouvriers qui n’ont plus rien à perdre…
Avec ce blocage, l’argent ne rentre plus, et c’est toute l’entreprise qui menace de sombrer…

Ce que le film montre bien, c’est comment une entreprise pas forcément très rentable, mais saine et prospère, peut se retrouver en état d’extrême vulnérabilité. Et ce destin funeste, de nombreuses petites entreprises le connaissent chaque jour. Les PME n’ayant pas les mêmes ressources que les grands groupes industriels, le moindre problème de production, le moindre retard de paiement, la moindre contrariété peut avoir des conséquences désastreuses pour la survie de l’entreprise. Et dans ce contexte, les petits patrons font ce qu’ils peuvent pour sauver leur société.
Comme Georges Pierret, certains réduisent leur salaire, mettent en vente leurs biens pour obtenir un peu d’avance de trésorerie. Des sacrifices qui, parfois, ne suffisent pas à éviter le redressement judiciaire et les mettre à la merci d’administrateurs/requins ou de concurrents plus gros et prêts à les absorber.
Aujourd’hui, si le problème de lutte des classes existent encore bel et bien, il est complexifié par l’apparition d’une tierce partie qui a réellement le pouvoir : les banques et les sociétés de crédit d’affaires.
Comme l’objectif de ces organismes est d’être rentable et d’engranger un maximum de profits, elles ne s’embarrassent pas des petites entreprises pour lesquels le risque de pertes est plus fort que la perspective des profits.
Résultat : des sociétés déposent le bilan et des personnes perdent leurs emplois, ou alors, elles se restructurent et produisent à l’étranger, pour une catastrophe sociale similaire.

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Oui, l’idée du film était bonne : montrer, à travers une histoire simple et universelle, les ravages de l’ultralibéralisme, les problèmes liés à la mondialisation, l’excès de pouvoir des financiers et des grands groupes d’industrie. 
Le scénario et les choix de mise en scène, en revanche, sont beaucoup moins inspirés…

Premier problème : Les personnages sont trop manichéens. D’un côté, on a le gentil Georges Pierret, toujours sympathique et diplomate avec ses collaborateurs. De l’autre, le vilain Kremer, le grand patron qui réussit en vendant en série des produits bas de gamme fabriqués dans les pays émergents et essaie d’engloutir Pierret pour se donner une respectabilité. D’un côté le chef d’atelier proche du patron, posé et compréhensif, de l’autre un ouvrier fou furieux, manifestant trop violemment son mécontentement. Certes entre les deux, il y a un leader syndical prêt à aller au bras de fer avec le patron, mais raisonnable dans ses négociations, mais on retient surtout les frasques de l’ouvrier récalcitrant, particulièrement gratiné.
Les banquiers sont vils et sans scrupules, le partenaire de Pierret est un connard attiré uniquement par le profit et l’argent facile… Les artisans sont fragiles et désespérés…
Bref, tout cela manque souvent de nuance et de finesse…

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Second problème : Jacques Maillot a beau parler de solidarité, de social, d’aventure humaine collective, son scénario, lui, reste centré quasi exclusivement sur un seul et même protagoniste : Pierret.
Ceci se fait évidemment au détriment des seconds rôles, qui se retrouvent plus ou moins sacrifiés au cours du récit.

Dommage, car ceux-ci sont tous très bons. Côtés femmes, citons les performances de Maud Wyler, Carole Franck ou Anne Loiret. Côté messieurs, Moussa Maaskri est une nouvelle fois très convaincant, tout comme Patrick Bonnel et Yann Tregouët. Et on retrouve aussi avec plaisir les acteurs-fétiche du cinéaste, comme Alain Beigel, Marc Chapiteau ou Eric Bonicatto. 

Quant à Daniel Auteuil, il est aussi  impeccable en petit patron englué dans les difficultés financières qu’en veuf inconsolable. Mais il est un peu moins à l’aise sur patins à glace, comme le prouve cette séquence ridicule dans la partie moscovite du film.
D’ailleurs, toute cette partie est ridicule et totalement superflue. On voit le brave patron tomber amoureux de sa guide russe comme dans un mauvais téléfilm romantique – ne manquerait plus que Gilbert Bécaud en fond musical…- et promettre de revenir la chercher quand tout ceci sera fini. Le seul intérêt de cette visite en Russie est la visite des statues déchues des grands leaders communistes russes et du tombeau de Lénine, pour appuyer la symbolique du passage à une économie libérale mondialisée dévastatrice. Mais que c’’est lourd…

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Mais ce n’est pas la seule chose qui manque de finesse dans ce film où tout est inutilement surligné au crayon gras.
Par exemple, pour créer une ambiance morose, on ouvre grand les vannes des canons à pluie… Pour montrer la détresse d’un menuisier dont la société a déposé le bilan, on le fait s’immoler par le feu au tribunal de commerce.
Ben oui, le bois, ça brûle…
Autre truc agaçant, les trois ou quatre scènes de sexe ou de nudité… Non, nous ne sommes pas subitement devenus pudibonds, c’est juste qu’on aimerait bien comprendre l’intérêt de ces séquences d’un point de vue strictement narratif… Là, ça ressemble surtout à une grosse tentative de racolage et c’est déplaisant…
Enfin, il y a ce dénouement parfaitement absurde qui tranche avec tout ce qui a été patiemment mis en place jusque-là… 

Arrêtons nous là, car la barque commence à être sérieusement chargée. Tant de défauts finissent en effet par plomber considérablement les bonnes intentions de départ.
Pas la mer à boire, diront certains… Mais, hélas, ce n’est pas non plus le film à voir…

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La mer à boire La Mer à boire
La Mer à boire

Réalisateur : Jacques Maillot 
Avec : Daniel Auteuil, Maud Wyler, Carole Franck, Alain Beigel, Moussa Maaskri, Yann Tregouët, Anne Loiret
Origine : France
Genre : ohé, ohé, capitaine abandonné… 
Durée : 1h38
Date de sortie France : 22/02/2012
Note pour ce film : ○○○○
contrepoint critique chez : Ecran Large

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