Il aura fallu attendre La Taupe pour s’apercevoir que l’espionnage est aussi une affaire de réflexion. Dans une période où l’agent secret made in cinéma est plus tourné vers l’action pure et dure, on en oublierait presque que le principe de « secret » c’est de ne pas se faire repérer. N’en déplaise à James Bond, les situations ne se règlent pas forcement à coup de poings. Voilà donc le nouveau film de Thomas Alfredson, jouant la carte du thriller d’espionnage avec un minimum d’effusions de sang.
Le scénario, tiré d’un roman de John Le Carré (1) est intelligent : suffisamment complexe pour que nos neurones soient sollicités, mais suffisamment abordable pour que l’on n’abandonne pas en cours de route.
Tout se passe en 1973, en pleine guerre froide. Suite à l’échec d’une mission en Hongrie, ayant pour but d’aider un espion soviétique à passer à l’ouest, le patron du MI6, les services secrets anglais, est limogé, en même temps que son fidèle lieutenant, George Smiley.
Mais ce dernier est rapidement sollicité par le ministre de la sécurité nationale, qui est persuadé que le service a été infiltré par un agent double soviétique, au plus haut niveau de l’organigramme.
Aidé par le jeune agent Peter Guillam, Smiley a pour mission de débusquer la taupe. Il peut s’appuyer sur le travail de son ancien chef, qui soupçonnait lui aussi la présence d’un traître à ses côtés et qui avait réduit la liste à cinq noms : Percy Alleline, le nouveau responsable, Bill Haydon, Roy Bland, Toby Esterhase et Smiley lui-même.
Profitant de la réapparition d’un agent nommé Ricki Tarr, qui prétend posséder des informations cruciales, Smiley et Guillam vont essayer de mettre au point un stratagème qui conduira le renégat à commettre l’erreur qui le trahira. Mais dans un tel climat de suspicion et de paranoïa, le jeu est dangereux et peut à tout moment se retourner contre eux…
Qui aurait pensé que la chasse à la taupe était un sport aussi dangereux? Et aussi… haletant.
Rares sont les films dont on ne peut deviner le dénouement à cinq minutes du terme. Celui-ci parvient à entretenir le flou jusqu’au bout. Qui est qui? Qui fait quoi? Difficile parfois de ne pas se perdre dans la nébuleuse du « Cirque » – le nom donné à l’antre du MI6. Mais entre flashbacks, et histoires racontées par les différents protagonistes, la mise en scène reste sobre et claire. Ça tombe bien, on ne lui en demande pas plus…
Quant aux acteurs, difficile de ne pas admirer le casting. Le duo Gary Oldman – Benedict Cumberbatch, fonctionne à merveille et tous les autres acteurs sont impeccables. Des agents de « tête » aux agents de terrain, chacun joue son rôle sur l’échiquier. On pourrait juste regretter que, dans la profusion de têtes d’affiches, certains rôles soient assez peu mis en avant, notamment celui de Colin Firth.
L’autre gros défaut du film est ce qui est aussi sa principale qualité : sa sobriété.
Quoi qu’il arrive, les personnages restent toujours trop « corrects », trop policés, à quelques exceptions près. Notamment Smiley, qui, bien qu’en charge de cette affaire cruciale et vivant une histoire personnelle tortueuse, a toujours ce ton neutre et flegmatique, comme si rien ne pouvait vraiment le toucher. Un manque d’émotion qui rend le résultat finalement assez froid. On s’attache à l’histoire, mais pas aux personnages qui la composent. Du coup, peu importe qui pourrait être la taupe, puisque aucun agent ne nous aura marqué plus qu’un autre.
En parlant de la taupe, force est de constater également que, si pendant plus de deux heures on s’attache à chaque élément qui pourrait donner une piste, un indice quant à l’identité du traître, la révélation finale est assez décevante. Comme d’une sorte d’ascenseur émotionnel, on ressort de la salle en se demandant « tout ça pour ça ? ».
Car oui, si l’enquête en elle-même est d’une certaine complexité, le dénouement est, lui, assez « facile » voire même trop facile.
Voilà donc un film dont ne sait pas trop, à l’arrivée, si on l’a aimé ou pas. Le sentiment est mitigé, partagé entre les points forts (l’intrigue, l’atmosphère, les acteurs) et les points faibles (l’atonie de l’ensemble, le manque d’émotions procurées, le dénouement).
(1) : “La Taupe” de John Le Carré – éd. Points
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Tinker, tailor, soldier, spy
Réalisateur : Thomas Alfredson
Avec : Gary Oldman, Benedict Cumberbatch, Ciarán Hinds, John Hurt, Toby Jones, Colin Firth, Mark Strong, Tom Hardy
Origine : Royaume-Uni, Allemagne, France
Genre : espionnage
Durée : 2h07
Date de sortie France : 08/02/2012
Note pour ce film : ●●●○○○
contrepoint critique chez : My screens
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