“Cheval de guerre” de Steven Spielberg

Par Boustoune

Chalut les humains,

Une fois n’est pas coutume, c’est à moi de m’occuper de la critique d’un film dont le héros est un animal.
Avant que vous ne montiez sur vos grands chevaux, je tiens à vous rassurer tout de suite, je ne vais pas me lancer dans une de mes tirades sur la supériorité de l’espèce féline, ou vous rappeler combien les chats sont des animaux superbes, etc… Non, justement cette fois, je vais vous parler de l’histoire d’un… cheval.

 

Oui, j’ai vu Cheval de guerre, le nouveau film de Steven Spielberg, et vous savez quoi, j’ai trouvé ça beau (de cheval, comme aurait  dit Bobby Lapointe).
Ah! Il est fort l’animal – je parle de Spielberg, là – car franchement, je ne m’attendais pas du tout à aimer ce film-là. Au vu des premiers échos et de la bande-annonce, ce Cheval de guerre semblait symboliser tout ce qui m’agace dans le cinéma hollywoodien d’aujourd’hui : l’application des mêmes recettes scénaristiques, ultra-mélodramatiques, suffisamment épicées pour émouvoir, mais pas trop intensément pour pouvoir s’accorder au goût du plus grand nombre, avec bien sûr un joli happy end pour que le public ressorte de la salle le coeur joyeux; des images jolies et déjà vues mille fois ailleurs, avec soleils couchants et flocons tombants, une musique qui souligne lourdement tous les pics narratifs…
Oui, logiquement, j’aurais dû détester ce film. Mais, curieusement, je me suis laissé prendre et j’ai beaucoup aimé!

Oui, Cheval de guerre est formellement, thématiquement et narrativement très classique et est frappé de tous les maux évoqués ci-dessus. Sauf que là, ça fonctionne à merveille! Et ce, grâce au talent du cinéaste, de son équipe, de ses acteurs… Il est vrai que tout au long de sa filmographie, Steven Spielberg s’est toujours posé en digne héritier des grands noms de l’âge d’or du cinéma américain, les Howard Hawks, Raoul Walsh, John Ford ou Michael Curtiz. Il passe d’un genre à un autre avec beaucoup d’aisance et sait ce qui va fonctionner auprès du public.

Dès la première scène, la mise au monde du poulain qui va devenir le héros du film, le cinéaste sait exactement où poser sa caméra pour capter l’attention du spectateur et l’entraîner dans son récit.
Une fois le cinéphile ferré, il ne lui reste plus qu’à le maintenir en bout de ligne et l’emmener où il le souhaite, en imprimant à son histoire un rythme soutenu. Malgré la durée du film – 2h30 – malgré les nombreux personnages, les changements de ton, les changements de registre, on reste captivé du début à la fin, se délectant des nombreux morceaux de bravoure qui émaillent le récit.

Ils sont nombreux, car le film, tiré du roman de Michael Morpurgo (1), est clairement découpé en plusieurs chapitres distincts, dans lesquels notre équidé rencontre de nouveaux compagnons et vit de nouvelles aventures.
Joey, c’est son nom, est séparé de sa mère lors d’une vente aux enchères. Il est acheté sur un coup de tête par Ted Narracott  un fermier alcoolique qui peine à joindre les deux bouts. Sa femme Rose veut revendre l’animal illico, mais leur fils unique, Albert, les en dissuade. Il connaît bien l’animal, qu’il a vu naître sur le champ voisin et sait qu’il pourra le dresser et en faire un cheval de labour. De fait, Joey et Albert parviennent, en allant aux bout d’eux-mêmes à travailler un terrain réputé impraticable. Mais, les difficultés financières continuant à frapper sa ferme, Ted se résout à vendre le cheval à l’armée.

En effet, la première guerre mondiale a débuté. Le Royaume-Uni a décidé de s’engager aux côté de la France et d’envoyer des troupes sur le continent, notamment ses brigades montées.
Le coeur gros, Albert voit son cheval partir au front, avec peu d’espoir de le voir revenir en vie.
Mais Joey parvient à se sortir de toutes les épreuves. Au gré des batailles, il est employé par un camp ou un autre, tombe chaque fois sur des humains amateurs de chevaux qui l’aident à survivre en milieu hostile. Finalement, il arrive dans la douleur jusqu’à la ligne de front, à Verdun, où les soldats tombent les uns après les autres. Et miraculeusement, il finit par retrouver son maître, Albert, qui, ayant atteint l’âge légal pour être réquisitionné, a lui aussi été envoyé au combat…  

L’ensemble pourrait paraître complètement naïf, voire niais, nunuche, ringard – sans doute certains le penseront-ils – mais je me suis surpris à vibrer à chaque nouvel exploit de l’étalon, verser une petite larme à chaque séparation entre l’animal et les humains successifs qui se sont occupés de lui en dépit des circonstances, voire même à chialer comme un humain, à chaudes larmes, à chaque acmé mélodramatique.
Cela tient non seulement à l’inventivité dans le classicisme dont fait preuve le réalisateur de La Liste de Schindler, à son sens du rythme, sa façon de faire monter le suspense, bref, au au brio de la narration spielbergienne, mais aussi aux acteurs, magnifiquement choisis et parfaitement dirigés.

Déjà, il y a le jeune Jérémy Irvine, gueule d’ange et regard clair, qui a tout pour devenir l’un des nouveaux chouchous du cinéma hollywoodien. Et une ribambelle d’acteurs britanniques de tout premier choix : Peter Mullan, magnifique en vieux fermier bourru, Eddie Marsan, David Thewlis, Tom Hiddleston, Benedict Cumberbatch, Pip Torrens…

Sans oublier Emily Watson. Aaaaah, Emily Watson! Vous me connaissez, j’aime les actrices plutôt velues avec des pattes de velours, mais si je devais tomber amoureux d’une seule actrice humaine, ce serait bien la délicieuse Emily Watson. Comme dans Breaking the waves, un seul de ses regards suffit à me faire frissonner d’émotion. Ca fait tout bizarre, mais c’est si bon. J’adore!
Et côté frenchies, Spielberg a eu la bonne idée de faire appel à Niels Arestrup, touchant en grand-père protecteur faisant tout pour préserver sa petite-fille des horreurs de la guerre.

Mais les vrais stars, ce sont les chevaux.
Jamais je n’aurais pensé être à ce point conquis par des canassons. Mais il faut bien admettre qu’ils jouent à merveille.
Ils excellent aussi bien dans les scènes mélodramatiques qui mettent en exergue l’amitié bourrine des compagnons de combat (Joey et son pote étalon Topthorn) ou celles, plus physiques, qui montrent la pénibilité du travail des chevaux sur le champ de bataille, obligés de traîner dans la gadoue des canons de plusieurs tonnes. Plus forts que les De Niro, Depardieu et consorts! Ah! Ils peuvent en apprendre à nos amis humains!

 

D’ailleurs, lors de la plus belle scène du film, c’est Joey qui donnera un petit moment de répit aux deux camps belligérants. Pris dans les barbelés dans le no man’s land entre les tranchées, l’animal sera secouru conjointement par un soldat anglais et un soldat allemand qui auront l’occasion, pendant ce bref instant, de constater qu’ils ne sont pas si différents l’un de l’autre : deux types apeurés envoyés au casse-pipe pour l’intérêt soit-disant supérieur de la nation.

D’accord, Cheval de guerre est un blockbuster hollywoodien populaire qui ne révolutionnera pas l’histoire du cinéma.
Mais c’est du cinéma populaire au sens noble du terme, comme on savait le faire à Hollywood à la grande époque.
Un grand spectacle captivant, émouvant, qui défend des valeurs magnifiques. Et surtout, mis en scène et joué avec talent. Finalement, c’est bien meilleur que la décevante adaptation de Tintin que Spielberg nous a offerte l’an passé. Avec cette histoire là, il semble avoir misé sur le bon cheval et s’être remis en selle, sans jeu de mot aucun (enfin si, un peu quand même).

Bon, faut que je vous laisse, je vais moi aussi m’entraîner à labourer… Hein? Non, pas un champ, ça ne va pas la tête?
Juste le canapé du salon… Comme ça quand mon maître va rentrer, ça va être le conflit direct. Et on pourra écrire le nouveau chat d’oeuvre de Spielberg : “Chat de guerre”. Je veux mon oscar du meilleur scénariste.

Plein de ronrons,

Scaramouche

(1) : “Cheval de guerre” de Michael Morpurgo – éd. Gallimard jeunesse

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Cheval de guerre  
War Horse 

Réalisateur : Steven Spielberg
Avec: Finder, Jérémy Irvine, Peter Mullan, Emily Watson,Benedict Cumberbatch, Tom Hiddleston, Niels Arestrup
Origine : Etats-Unis
Genre : mélo populaire spielbergien 
Durée : 2h28
Date de sortie France : 22/02/2012
Note pour ce film : ○○
contrepoint critique chez : Playlist society
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