On le sait, la Belgique est clairement divisée en deux régions distinctes, deux populations, deux langues, deux cultures….
D’un côté la Wallonie, francophone, de l’autre, la Flandre, néerlandophone. Deux parties qui ont parfois un peu de mal à cohabiter, comme l’a montré la récente crise politique belge, qui a laissé le pays sans gouvernement pendant plus d’un an…
En matière de cinéma, c’est à peu près pareil, chaque région produit ses propres films. Il y a le cinéma wallon, que nous connaissons bien en France, à travers ses auteurs (les frères Dardenne, Jaco Van Dormael, André Delveaux, Chantal Ackerman…) et ses acteurs (Benoît Poelvoorde, Olivier Gourmet, Jonathan Zaccaï, Cécile de France, Marie Gillain, Yolande Moreau, Deborah François…). Et il y a le cinéma flamand, hélas moins bien distribué dans nos salles obscures.
Pourtant, la production flamande est sacrément intéressante. Elle offre chaque année des oeuvres de tout premier plan, qui font le bonheur des festivals de septième art.
Parmi eux, le festival du film policier de Beaune, qui puise chaque année dans ce vivier de long-métrages une pépite noire à placer en compétition officielle. Après l’excellent Loft d’Erik Van Looy en 2009 et le très honorable Dossier K de Jan Verheyen en 2010, repartis bredouilles de la remise des prix, le cinéma flamand a enfin obtenu la consécration avec Bullhead, premier film de Michaël Roskam, qui a reçu le prix du jury et le prix de la presse. Et franchement, il n’y a pas de quoi crier au scandale…
Ce film noir séduit parce qu’il met en place une intrigue atypique, située dans l’univers original des éleveurs de viande bovine et axée autour d’une histoire d’hormones. Un contexte qui lui donne un aspect de western moderne.
Hé oui, après les westerns-spaghetti italiens, nous voilà donc avec une forme de western moules-frites venu du plat pays… Non, plus sérieusement, le charme de Bullhead vient de son subtil mélange des genres – film social, polar, romance, drame et une pointe d’ambiance western, donc – qui lui permet d’évoluer loin des canons du film noir tout en en respectant les règles essentielles.
La trame tourne autour d’un trafic d’hormones destinés aux bovins. Le personnage principal, Jacky, évolue dans le monde de l’élevage depuis l’enfance. Il a repris l’exploitation familiale et utilise les mêmes recettes que son père et son oncle pour rendre ses bestiaux plus forts. Une bonne piqûre d’hormones et de vitamines, et hop, le tour est joué…
Sauf que cette méthode est bien évidemment prohibée et que la police surveille activement le groupe mafieux qui se charge de vendre les produits aux agriculteurs, à plus forte raison depuis que les truands ont fait abattre l’inspecteur-vétérinaire en chef, devenu gênant…
Manque de chance pour Jacky, c’est le moment qu’il choisit pour se rapprocher du commanditaire de l’assassinat, De Kuyper, qui peut lui procurer d’importantes quantités de produits dopants pour bovins. Il se retrouve instantanément, dans le collimateur des flics, qui voient en lui, de par son physique imposant, un coupable idéal dans le meurtre de leur collègue.
Le piège se referme doucement sur lui, mais le garçon n’a pas la lucidité pour le pressentir. Son esprit est préoccupé par tout autre chose. Chez De Kuyper, il est tombé sur Diedrik, un de ses amis d’enfance, qui travaille désormais comme homme de main du truand. Cette rencontre a réveillé en lui de douloureux souvenirs, mais aussi de doux rêves. Jacky décide de retrouver la trace de la belle Lucia, la petite voisine wallonne dont il était éperdument amoureux quand il était gamin et à qui il a dû renoncer suite à un terrible drame…
Bullhead, c’est avant tout la descente aux enfers d’un homme rattrapé par son passé.
Jacky était un enfant ordinaire, insouciant et innocent, mais un événement brutal l’a transformé. Au fil des années, il est devenu semblable aux animaux qu’il élève : musculature imposante, regard vide, instincts affutés…
Lui aussi se shoote aux hormones et aux produits dopants, lui aussi est capable de charger, tel un taureau, ceux qui osent le contrarier… Mais derrière cette impressionnante enveloppe corporelle, on retrouve toujours le petit garçon timide et maladroit qu’il était vingt ans auparavant.
Le personnage est magnifique. Mais il ne l’aurait peut-être pas été si un autre que Matthias Schoenaerts l’avait incarné. L’acteur belge est absolument parfait dans ce rôle. Il possède une “gueule” et une présence physique indéniables, une virilité “sévèrement burnée”, comme diraient malicieusement certains (pour comprendre, il faut voir le film…) doublée d’un jeu hypersensible, qui laisse transparaître les fêlures du personnage.
Rien que pour sa performance d’acteur (qui aurait convaincu Jacques Audiard de lui confier un rôle dans son adaptation de Un goût de rouille et d’os), le film mérite le détour.
Mais il possède aussi un petit quelque chose en plus qui fait toute la différence, dissimulé derrière sa partie “romantique” : une allégorie impertinente de la situation politique du “Plat pays”.
La relation complexe de Jacky et Lucia, correspond en effet à celle qu’entretiennent les wallons et les flamands. Une relation impossible, torturée, entre amour et haine, peur et fascination réciproque. Et le fossé qui sépare les deux anciens voisins est celui qui sépare la Belgique rurale de la Belgique citadine.
Une face fruste, brutale, et une autre plus policée, assez superficielle… Bref, un portrait du pays pas franchement réjouissant… Mais bon, n’oublions pas qu’il s’agit d’un film noir, donc le pessimisme est de rigueur…
L’optimisme, en revanche, est de mise pour le cinéma belge avec des jeunes talents aussi prometteurs que Matthias Schoenaerts ou ses partenaires, Jeroen Perceval et Jeanne Dandoy (1), mais aussi que Michaël R.Roskam, qui livre ici un premier film sec, âpre, intense, joliment mis en scène.
Espérons que les prix remportés par ce film (2) et sa réputation flatteuse, qui lui a valu une nomination à l’Oscar du meilleur film étranger, permettront au cinéma flamand d’être un peu mieux distribué dans notre pays.
Il le veau… euh… vaut bien.
(1) : On n’en dira pas tant des deux comédiens wallons qui jouent les garagistes véreux. Leur jeu sonne faux et leur cabotinage insupporte. C’est le seul reproche que l’on peut faire au film…
(2) : Prix Nouveau genre de L’Etrange Festival 2011, Prix d’interprétation à Saint-Jean-de-Luz et aux Arcs, Prix de la mise en scène à Saint-Jean-de-Luz, Meilleur film, acteur et réalisateur à Austin.
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Bullhead
Rundskop
Réalisateur : Michaël R. Roskam
Avec : Matthias Schoenaerts, Jeroen Perceval, Jeanne Dandoy, Barbara Sarafian, Sam Louwyck
Origine : Belgique
Genre : polar qui fait un effet boeuf
Durée : 2h09
Date de sortie France : 22/02/2012
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Critikat
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