Martha, Marcy May, Marlene… Trois prénoms pour désigner un seul et même personnage, en pleine reconquête de son identité. Une jeune femme troublée, hantée par des souvenirs douloureux et en proie à de violentes crises de paranoïa, qui cherche à se reconstruire psychologiquement et essaie de trouver sa place dans la société.
La mise en scène, signée par un jeune cinéaste débutant, Sean Durkin, retranscrit l’état d’esprit de la jeune femme en adoptant une narration confuse, qui passe sans transition du présent au passé, et mélange parfois réalité et hallucinations. Une méthode qui déroutera plus d’un spectateur, mais qui s’avère efficace. On arrive ainsi à se glisser dans la peau de l’héroïne et de ressentir ce qu’elle ressent : des émotions contradictoires, un profond sentiment d’insécurité, une inquiétude permanente, pesante, dérangeante…
Le film commence quand Martha appelle sa soeur aînée, Lucy, et son beau-frère, Ted, et leur demande de venir la récupérer dans un petit bled paumé près des monts Catskills, dans l’État de New York.
Le couple accueille la jeune femme, à la fois heureux de la retrouver saine et sauve après une longue disparition, et inquiet de la voir visiblement déboussolée par ce qu’elle a vécu au cours des derniers mois.
On découvre peu à peu ce qui lui est arrivé. Martha est tombée entre les griffes d’une secte. Une petite communauté évoluant en autarcie dans une ferme isolée, entre mode de vie mormon et philosophie hippie, et dirigée par Patrick, un gourou charismatique.
On ne saura pas comment la jeune femme est arrivée jusqu’à cette ferme. Sans doute suite à un parcours similaire au personnage de Mary last seen, le second court-métrage de Sean Durkin, qui, par amour, avait suivi un homme se révélant au fil des minutes de plus en plus inquiétant.
En revanche, on voit bien le mécanisme d’embrigadement à l’oeuvre. La jeune Martha, fragile, innocente et facilement manipulable, se laisse d’abord séduire par ce mode de vie apparemment très libre, en communion avec la nature et les autres membres du groupe. Puis Patrick la prend en charge, l’entoure de son affection, la met en confiance pour mieux l’embobiner de ses théories philosophico-mystiques.
En effet, pour asseoir sa domination sur la communauté, le type se fait passer pour une sorte de messie. Il accepte Martha comme disciple en lui faisant subir, comme les autres femmes du groupe, un “rite de purification”. Une curieuse appellation pour ce qui, dans un univers plus normal, serait volontiers qualifié de “viol”…
Le gourou ayant assis définitivement sa domination à l’aide de ce traumatisme, il s’attache ensuite à gommer soigneusement l’identité précédente de la jeune femme. Il la rebaptise Marcy May au sein de la communauté. Et, quand elle répond au téléphone, elle doit se présenter sous l’identité de Marlene.
Mais, plus que cette multiplicité de prénoms différents, c’est surtout l’omniprésence du groupe qui altère peu à peu son individualité. Dans cette structure, le “je” n’a pas le droit de cité, les opinions individuelles sont proscrites. Tout le monde doit suivre les règles de la communauté, la logique du groupe en tant qu’entité indivisible, évidemment édictée par le gourou.
C’est ce point là qui est au coeur du film : comment exister en tant qu’individu au sein d’un groupe? Comment faire valoir sa différence tout en s’intégrant dans une collectivité?
La question se pose aussi au moment du retour au bercail de l’héroïne, qui se révèle beaucoup plus pénible que prévu.
Bien sûr, la jeune femme est traumatisée par ce qu’elle a vécu là-bas, dans cette ferme maudite. Et, sachant très bien de quoi Patrick est capable, elle vit constamment dans la crainte de le voir débarquer pour l’éliminer ou l’entraîner à nouveau, de force, dans cet enfer. Son esprit cède facilement à la paranoïa et aux crises d’angoisse, ce qui inquiète fortement ses proches.
Mais il n’y a pas que cela. Au fond, Martha ne se reconnaît pas plus dans la secte qu’elle vient de quitter que dans le modèle de société “normal” symbolisé par Lucy et son mari.
Dans la secte, elle devait obéir à des règles. Ici, elle doit en respecter d’autres, très différentes, mais tout aussi aliénantes. Pour être acceptée dans la société “normale”, elle doit se fondre dans le moule : chercher un emploi, trouver un homme à épouser, fonder une famille et la faire prospérer dans la pure tradition de l’american way of life.
Et c’est à elle et elle seule de faire la démarche. Elle ne peut pas vraiment compter sur le soutien de ses proches, même si ceux-ci l’entourent d’une compassion étouffante. Alors que dans la secte, elle était totalement prise en main…
Ballottée entre des sentiments contraires, oppressée autant par l’univers qu’elle vient de quitter que par celui qu’elle a retrouvé, la jeune femme est au bord de la rupture, en plein malaise existentiel.
Intelligemment, le cinéaste axe tout son film autour de son personnage, autour de son ressenti. Martha Marcy May Marlene n’est pas un réquisitoire contre les sectes – même si leur dangerosité est clairement montrée – ni une critique du modèle de vie “normal”. Son but n’est pas d’asséner un message à l’attention du spectateur. Juste de faire réfléchir à la question de l’identité individuelle et collective, à travers le portrait d’une jeune femme cherchant justement sa place dans la société.
Oui, le film est avant tout un portrait de femme. Poignant, intense et anxiogène, car épousant la psyché tourmentée de l’héroïne. A ce jeu-là, Sean Durkin est très fort. Il parvient à créer une ambiance très particulière, où l’horreur se mêle intimement à la douceur, ou l’angoisse s’insinue derrière la beauté des images. Une atmosphère cotonneuse, presque onirique, où s’entrechoquent souvenirs, fantasmes, hallucinations et réalité. Le rythme, assez lent, permet de faire ressortir les moments les plus intenses – les horreurs vécues dans le passé ou les attaques cauchemardées (ou non) par l’héroïne.
Le jeune réalisateur fait preuve d’une maîtrise assez impressionnante et confirme les espoirs qu’avaient fait naître ses courts-métrages, dotés des mêmes qualités esthétiques.
Il se révèle aussi un excellent directeur d’acteurs. Ou du moins montre-t-il un talent certain pour dénicher ses comédiens…
Dans le rôle du gourou, John Hawkes est impressionnant. Il se montre à la fois charismatique et inquiétant, aussi malsain que dans Winter’s bone, où il s’était déjà distingué.
Sarah Paulson et Hugh Dancy sont également convaincants dans leurs rôles de gens “ordinaires”.
Mais c’est surtout Elisabeth Olsen qui crève l’écran. Elle est à l’image du film, sensuelle et évanescente, innocente et troublante, passive en apparence, mais mue par un bouillonnement intérieur intense.
Si vous vous êtes souvent demandé qui, des jumelles Olsen, Mary-Kate et Ashley, avait le plus de talent? Ne cherchez plus, le seul vrai talent de la fratrie, c’est Elisabeth, la benjamine, qui le possède… On espère que la demoiselle aura beaucoup d’autres occasions de le prouver. Mais au vu de sa performance dans ce film, il serait étonnant qu’elle n’ait pas été repérée par d’autres cinéastes…
Malgré cette indéniable touche de charme, et malgré la douceur des images, on doit quand même vous prévenir que Martha Marcy May Marlene n’est pas un film agréable à regarder. C’est un film inconfortable sur la forme, qui adopte une structure narrative parfois tortueuse et qui se refuse à être lourdement explicatif, au risque de perdre certains spectateurs en cours de route. Et c’est un film dérangeant sur le fond, de par les thèmes abordés et l’ambiguïté du propos, qui donne l’impression de renvoyer dos à dos le modèle sectaire et la société “normale”.
Mais c’était là le but du film : provoquer le malaise et creuser lentement son sillon, afin de permettre au spectateur de réfléchir à ce qu’il a vu. Et de ce point de vue, le cinéaste a parfaitement réussi son pari.
On attend désormais ses prochains films avec beaucoup de curiosité…
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Martha Marcy May Marlene
Réalisateur : Sean Durkin
Avec : Elizabeth Olsen, John Hawkes, Sarah Paulson, Hugh Dancy, Brady Corbet, Maria Dizzia Origine : Etats-Unis
Genre : une femme sous influence
Durée : 1h41
Date de sortie France : 29/02/2012
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Lulabee Scott
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