8 mars journée de la femme scénariste

Par Nathalielenoir

Puisqu’on nous octroie généreusement, à nous les filles, toute une journée sur trois-cent soixante-cinq, je n’ai pas pu résister à l’envie de vous parler des femmes scénaristes, il faut dire que je maîtrise un peu le sujet…

Sans me lancer dans un grand débat féministe, je voudrais rectifier le tableau très candide que brosse la presse au sujet du soi-disant girl power s’épanouissant en terres hollywoodiennes depuis quelques années, avec la starification de quelques figures de proues du fameux fempire, Diablo Cody en tête, ou le sacre de la très bankable Melissa Rosenberg. Contrairement à la rumeur, les femmes scénaristes américaines ne luttent pas à armes égales avec leurs confrères masculins, les scénaristes françaises non plus à vrai dire, même si c’est dans une moindre mesure…

Je vous ai confié ma joie, le mois dernier, lorsque la revue Trois Couleurs a décidé d’offrir sa Une aux femmes scénaristes hollywoodiennes, je me suis bien entendu ruée sur le premier MK2 pour en récupérer un exemplaire. On peut donc y lire un dossier (un peu maigre à mon goût) consacré à une génération de trentenaires qui se sont humoristiquement autoproclamées membres du Fempire. On compte notamment dans leurs rangs Dana Fox, Annie Mumolo, Lena Dunham, Liz Meriwether, Lorene Scafaria, Kristen Wiig, Abi Morgan, et les surpuissantes Tina Fey, Jane Goldman et Diablo Cody.

N’oublions pas non plus leur ainée Melissa Rosenberg, devenue la femme scénariste la plus puissante d’Hollywood grâce à son travail d’adaptatrice de la saga Twilight qui lui a déjà fait gagner plus de … deux milliards et demi de dollars!

Je suis certes la première à me réjouir de l’ascension de ces éminentes consoeurs et à relayer leurs aventures scénaristiques dans ces colonnes mais j’avoue que l’attitude naïve et condescendante de la presse m’agace un chouia…

D’une part, j’aimerais vraiment arrêter de lire que les femmes se sont rabattues sur l’écriture de scénario parce que c’est un poste qui demande moins de responsabilités que la réalisation. Tous les scénaristes, hommes ou femmes, ne sont pas des cinéastes frustrés, qu’on se le dise. Ça surprend pas mal de monde mais l’écriture est un vrai métier plus qu’appréciable.

Dans un article que le New York Times a consacré aux membres du Fempire, elles sont décrites comme des bobos/fashion victims indolentes, archi copines/solidaires les unes des autres qui se retrouvent pour papoter dans des bistrots branchés, bref comme des héroïnes de Sex and the City à la mode scénario. C’est bien gentil tout ça mais je préférerais de loin qu’on évoque leur énergie, leur audace et leurs 10-12 heures de labeur quotidien, la façon dont elles ont du batailler pour s’imposer dans une industrie majoritairement masculine…

Dans l’interview qui suit, qui date de la promotion de JunoDiablo Cody évoque son « gang » de copines scénaristes:


D’autre part, il ne faut pas croire que la situation enviable d’une poignée de scénaristes hollywoodiennes illustre les conditions de travail de leurs consoeurs. Une étude commandée en 2009 par la Writers Guild of America souligne une réalité bien moins reluisante:

  • les scénaristes femmes ne signent que 25% des contrats hollywoodiens (28% en TV et 19% seulement au cinéma)
  • la saison des pilotes 2010-2011 a été la pire à ce jour pour les femmes scénaristes (24% de séries dramatiques et seulement 16% de séries comiques)
  • toujours au cours de cette saison des pilotes, seuls 11% des projets étaient initiés par une équipe d’écriture entièrement féminine
  • quant un scénariste homme touche 100 dollars, sa consoeur n’en reçoit que… 58, à mission et expérience égales !
  • sur une année, une scénariste de TV touche 5 000 dollars de moins que son homologue masculin!
  • sur une année, une scénariste de cinéma touche… 42 000 dollars de moins que son homologue masculin!

Ça fait tout de suite moins rêver, non?

Et en France, comment ça se passe, me demanderez-vous? Et bien tout d’abord, aucune étude ne s’est à ce jour penchée sur le prorata de scénaristes hommes/femmes, ni sur leurs revenus. Ce que je peux vous dire, d’une part, c’est que nous sommes beaucoup moins nombreuses que nos homologues mâles, je le constate dans les rangs de la Guilde Française des Scénaristes, à chaque festival ou table-ronde, dans mon entourage professionnel direct…

Je n’ai jamais eu le sentiment d’être moins bien payée qu’un confrère. Il faut dire qu’en TV il existe des barèmes chaîne par chaîne, format par format, transparence garante d’équité.

Au cinéma la situation est nettement plus opaque mais le salaire du scénariste dépend de sa notoriété et du budget du film. Ce qui est certain, c’est que c’est un milieu très machiste et qu’une scénariste y sera souvent moins prise au sérieux qu’un confrère.

J’explique souvent dans mes articles à quel point il est difficile de percer en tant que scénariste sur notre sol. Il me faut ajouter que c’est encore plus difficile pour une femme. Je m’abstiendrai d’anecdotes personnelles croustillantes pour des raisons évidentes, mais si je voulais résumer la situation en une métaphore, je dirais que lorsqu’une scénariste est conviée par le cinéaste à assister au tournage, tout le monde pense qu’elle est là pour faire le café…

Je profite de cet article pour recommander à mes lecteurs anglophones l’ouvrage Script Girls: Women Screenwriters in Hollywood qui retrace l’histoire des femmes scénaristes des débuts d’Hollywood au début des années quatre-vingt dix.

Sur ces bonnes paroles, je déclare ce 8 mars Journée de la Femme Scénariste, et je fais des bises à mes très chères consoeurs Stéphanie Rouget, Catherine Cuenca, Catherine Chouchan, Emmanuelle Sardou, Hélène Le Gal, Sheila O’Connor, Manon Dillys-Rudnicki, Martine Pagé, Clémence Lebatteux, Murielle Magellan, Nathalie Jacovella, Anais Carpita, Sarah Tissandier, Christelle Dupays, Leila Sassem, Stephanie Girerd, Anne Burgot… mais aussi à toutes mes lectrices, notamment Coralie, Cyrielle et Amandine, en leur souhaitant de bientôt rejoindre nos rangs! ♥

Copyright©Nathalie Lenoir 2012