Comme nous l’avons vu la semaine dernière, le scénario n’est en aucun cas une oeuvre littéraire mais une retranscription sur papier d’un récit qui a pour vocation d’être filmé. Il est en ce sens un outil de travail primordial pour toutes les personnes qui vont participer à l’élaboration du film, que ce soit avant, pendant ou après le tournage.
Intéressons-nous aujourd’hui au rapport qu’entretiennent régisseur, chef décorateur, costumière, chef opérateur, ingénieur du son, scripte, acteurs, monteur et responsable des effets spéciaux avec l’objet scénario…
Après avoir vu ensemble comment le réalisateur, le producteur, le directeur de production, l’assistant réalisateur et le directeur de casting vont utiliser le scénario, je vous propose de nous intéresser aujourd’hui à son utilisation par les autres intervenants du futur film…
Le régisseur
Il est l’un des premiers intervenants dans la préparation d’un film. La partie du scénario qui l’intéresse en particulier, ce sont les intitulés de scène. Il évalue les autorisations de tournage qui seront nécessaires, les rues qui devront être bloquées, les moyens à mettre en place pour détourner la circulation… Il doit répondre à tous les problèmes que peuvent soulever les décors. Il est responsable de l’aspect logistique du tournage
Il participe aux repérages avec l’assistant réalisateur.
Puis, il épluche les didascalies pour trouver toutes les contraintes techniques qui y sont rattachés : une scène qui se passe sous la pluie par exemple.
Le rôle du régisseur est donc, à partir du scénario, de préparer le futur tournage afin qu’il se déroule sans encombre.
Le chef décorateur
Il gère les lieux et les objets parmi lesquels évoluent les personnages du film. Il dépouille le scénario et relève toutes les indications qui concernent les décors, la proportion de scènes d’intérieur et d’extérieur, les effets (jour, nuit, aube…). C’est à ce moment que se posera la question de tourner en décors naturels ou en studio. Le scénario permet de relever les éventuelles astreintes liées au choix des décors, mais aussi, d’établir un devis.
Le chef décorateur fait des listes de décors, de sous-décors (différentes pièces dans un même appartement par exemple), des lieux de tournage, des accessoires cités, de ceux qui ne sont pas cités mais qui seront indispensables, de ceux qui nécessiteront des effets spéciaux (de la fumée par exemple). Il note scrupuleusement les particularités de chaque décor.
Une fois qu’il a relevé tous les éléments indiqués dans le scénario, le chef décorateur s’entretient avec le réalisateur pour connaître l’univers qu’il souhaite créer, ses attentes concernant les décors.
La costumière
Son travail de création débute à la lecture du scénario. Elle y trouve des indications sur l’époque à laquelle se déroule l’histoire, la saison, les lieux, le contexte social, des descriptions des personnages, tant physiques que morales. A ce titre, les didascalies sont sa principale source d’information. Elle doit être capable d’imaginer les personnages, mais aussi de lire entre les lignes. Par exemple, elle doit évaluer combien d’exemplaires d’un même costume seront nécessaires au tournage d’une scène, ou encore, si un costume nécessite une poche, si des chaussures devront être lacées ou au contraire faciles à enlever…
Bien entendu, le choix des acteurs influencera son travail, ainsi que la propre vision du réalisateur. Mais c’est au cœur même d’une scène qu’elle trouvera les détails indispensables à son ouvrage. Si un personnage court dans une scène, s’il se déshabille avec dextérité, s’il se blesse et saigne… le costume devra être adapté à l’action.
Le chef opérateur
Il est responsable de l’image d’un film, de tous ses aspects visuels : lumière, cadre, couleur, focale… Il doit être totalement imprégné du scénario pour en retranscrire l’univers à l’écran. Durant la préparation du tournage, il travaille en binôme avec le réalisateur, l’assistant réalisateur, la scripte, le chef machiniste, le chef électricien.
Le chef opérateur doit évaluer, à partir du scénario, le nombre d’électriciens, de machinistes, de camions de matériel, qui seront requis pour le tournage. C’est de sa collaboration avec le réalisateur que naîtra l’esthétique du film, la mise en images du scénario.
L’ingénieur du son
Il ne fait pas qu’enregistrer des sons, il recrée totalement un environnement sonore. Il est l’un des derniers intervenants lors de la préparation du film.
Il doit lui aussi analyser le scénario, mais en s’appuyant énormément sur le sous-texte. Lorsqu’une scène se déroule dans la rue par exemple, les didascalies ne préciseront sans doute pas qu’il y a des voitures qui passent, des piétons qui discutent… C’est l’ingénieur du son qui va devoir recomposer toutes ces informations à partir de quelques lignes, voire d’une seule phrase. L’heure à laquelle se déroule la scène, le nombre de personnes présentes, le décor, tout cela influe énormément sur l’atmosphère auditive.
L’ingénieur du son va donc procéder à un dépouillement du scénario en faisant l’inventaire de tous les sons cités, de tous ceux qui sont implicites, de ceux qui sont supposés. Le scénario sera ensuite annoté et donné au monteur son et au mixeur.
La scripte
Elle est la garante de la cohésion du film, tant au cours du tournage que durant le montage. Elle doit analyser le scénario de façon extrêmement poussée.
La première étape est pour elle de minuter le scénario, puis de rédiger une continuité chronologique : un tableau qui précise, scène par scène, le déroulement du temps dans l’histoire, telle qu’elle est écrite dans le scénario. Ce tableau permet de déterminer le nombre de jours durant lesquels l’histoire se déroule et de repérer à quel moment interviennent les costumes et les décors. Ce tableau est une garantie du respect des raccords de chronologie entre les scènes.
Sur le tournage, la scripte est responsable du bon enchaînement des scènes, et, à l’intérieur de celles-ci, des plans. L’histoire n’étant pas tournée dans l’ordre chronologique, elle doit surveiller la continuité pendant le tournage et fournir les informations qui seront nécessaires pour préserver cette continuité durant le montage.
La scripte ne quitte pas le scénario des mains. Elle doit par exemple s’assurer qu’une scène est couverte pendant le tournage, c’est à dire que tous les plans nécessaires à cette scène ont été tournés. Elle annote le scénario tout au long du tournage : changements de dialogues, mouvements, position des accessoires, contenu des plans, heure dans l’histoire, minutage de la scène… Ces notes seront ensuite transmises au monteur.
Les acteurs
Ils découvrent une ou deux scènes du scénario lors des essais, puis, reçoivent l’intégralité de la continuité dialoguée dès qu’ils sont embauchés pour le film, c’est à dire plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avant le début du tournage.
Le scénario est la première rencontre de l’acteur avec le rôle qu’il devra incarner. Il le lit de nombreuses fois pour s’imprégner de l’histoire, puis du personnage. Les didascalies et les dialogues sont une source de renseignement et de réflexion pour construire le personnage.
L’acteur devra ensuite apprendre tous les dialogues correspondant au rôle qu’il va incarner.
Pendant le tournage, l’acteur sera aidé par le réalisateur pour affiner sa composition, trouver la justesse du rôle et de la situation. La chronologie de l’histoire étant rarement respectée au cours du tournage, l’acteur se tournera souvent vers le scénario pour cerner le contexte de la scène qu’il doit interpréter, pour la resituer dans l’histoire.
Le monteur
Un long métrage comporte plusieurs centaines de plans. Le monteur se retrouve donc face à des rushes, des numéros de scène, de plan, de prise. Le scénario va lui servir de témoin pour effecteur son assemblage.
Le monteur lit le scénario avant même le tournage et peut être consulté au sujet de la construction du film : enchaînement des scènes, ellipses, rythme… Il commence donc à élaborer le montage dès la lecture du film. Il va devoir retrouver au montage l’effet qui a été mis dans l’écriture.
Le montage du film commence souvent en cours de tournage. Le monteur reçoit les rushes, dans le désordre, et commence à les assembler. Le scénario lui est indispensable pour respecter la cohérence et l’unité du film.
Après le tournage, le monteur travaillera en binôme avec le réalisateur, à partir du scénario et des annotations de la scripte.
Le responsable des effets spéciaux
Quant un film nécessite des effets spéciaux, ce qui est de plus en plus souvent le cas, ne serait-ce que pour retravailler l’image, le responsable des effets spéciaux est contacté en amont du tournage.
C’est à partir du scénario que les effets spéciaux commencent à être élaborés. C’est un travail long, complexe, qui est souvent plus long que le tournage lui même. La conception des effets spéciaux débute dès le début du tournage (voire même avant), dès que les premiers rushes sont envoyés.
Comme le monteur, le responsable des effets spéciaux a besoin du scénario pour respecter la cohérence du film.
Je vous invite à consulter quelques ressources pour approfondir cette thématique:
- L’étude du scénario annoté de L’Enfer, d’Henri-Georges Clouzot sur le blog Cinémarchives
- Les documents de travail de la scripte Suzanne Schiffman concernant le film Pierrot le fou de Jean-Luc Godard, publiés sur le site de la BIFI
- Les archives du film La nuit américaine de François Truffaut, toujours sur le site de la BIFI
- Une feuille de service du film Largo Winch
- Le formidable blog du chef opérateur Pascal Montjovent
- Le blog du storyboarder Benoi Lacroix
- Le blog Le métier de scripte cinéma
Un grand merci à mon confrère et ami Robin Barataud qui m’a suggéré ce sujet d’article.
Copyright©Nathalie Lenoir 2012