En plein festival du film asiatique de Deauvillle, il était bien logique de consacrer un culte du dimanche à un film japonais légendaire d’un réalisateur qui ne l’est pas moins. Intéressons-nous donc à Kagemusha, l’ombre du guerrier d’Akira Kurosawa.
Akira Kurosawa est bien plus qu’un réalisateur, c’est une véritable légende pour le cinéma japonais, un icône sur laquelle bon nombre de réalisateurs basent leur vision, si bien qu’il est l’un des rares à avoir traversé les frontières continentales après la seconde guerre mondiale (notamment avec les Sept Samouraïs). Reconnu dans le monde entier, il sera même allé aux États-Unis pour avoir les fonds nécessaires aux tournages toujours plus ambitieux de ses films. Mais malgré un talent jamais démenti, après la débâcle de Tora ! Tora ! Tora ! qu’il laissera aux mains de réalisateurs moins expérimentés, les années 70 lui seront difficiles et il lui faudra toute l’adoration d’un autre cinéaste pour l’aider à réaliser son prochain film.
L’histoire est connue, George Lucas est un grand admirateur du travail d’Akira Kurosawa et ne se cache pas de s’être inspiré de la Forteresse Cachée pour la narration du premier épisode de Star Wars. Profitant de sa nouvelle influence à Hollywood, le créateur de Dark Vador va travailler la 20th Century Fox au corps avec l’appui de son ami Francis Ford Coppola pour que le réalisateur puisse mettre enfin en scène son nouveau projet : Kagemusha, l’Ombre du Guerrier.
L’histoire se déroule dans le Japon féodal du XVIe siècle. 3 clans se disputent le pouvoir dont le clan Takeda dirigé par Shingen. Gravement blessé lors du siège du château de Noda, il ordonne à ses vassaux de dissimuler sa mort pendant trois ans afin de ne pas affaiblir son clan. Entre temps, son frère à trouvé un double parfait qui pourra alors prendre la succession du chef de clan à sa mort pour maintenir l’illusion. Mais ce double, ancien voleur, aura-t-il les épaules pour porter ce lourd fardeau ? le pouvoir va-t-il lui monter à la tête ? Et comment va-t-il déjouer les manipulations de son fils et des clans adverses pour le faire tomber ? Autant de questions sur lesquelles le cinéaste va s’interroger pendant plus de 2h30 (pour la version occidentale).
Si l’on peut voir Kagemusha comme une grande fresque guerrière et épique menée de main de maître par Kurosawa dont les batailles filmées au plus prêt des soldats à l’assaut des citadelles et les marches sur fond de ciel enflammé restent en mémoire, ce n’est pourtant pas l’intérêt du film. En effet, comme dans de nombreux drames shakespeariens qui ont régulièrement inspiré le réalisateur, le contexte guerrier ne sert que de décor pour mieux parler de la psychologie du kagemusha. L’introduction intimiste composée d’un simple plan fixe presque filmé à la bougie donne ainsi le ton du film. Avec un trucage discret, Shingen y fait la connaissance de son futur double qui lui est présenté par son frère.
Kagemusha est ainsi avant tout une histoire sur le pouvoir et les épaules nécessaires pour l’exercer. On le voit ici, le kagemusha va devoir porter ce rôle et totalement s’oublier pendant 3 ans afin que le clan Takeda survive à cette guerre. Une responsabilité énorme qui tombe d’un seul coup sur la tête de cet ancien voleur. Si il y a d’abord la difficile tâche de se faire accepter comme le chef de clan de retour de la guerre (par la famille, les femmes et les généraux, les protocoles à apprendre, …), la suite n’en sera pas moins facile.
D’un côté, il va se prendre au jeu et profiter des avantages du pouvoir mais d’un autre il devoir faire face à des machinations qui n’en finissent pas pour le démasquer. Sans compter que le fantôme de Shingen sera toujours dans ses pensées (c’est d’ailleurs brillamment illustré de ce rêve étrange composé comme une peinture vivante) pour lui rappeler son rôle primordial dans ce conflit. Évidemment, le kagemusha sera un jour démasqué … alors Kurosawa s’intéressera même au conséquence que cela aura sur son esprit une fois dépossédé de ce qui le caractérisait depuis la mort de Shingen.
Finalement, Akira Kurosawa signe ici un grand film épique mais surtout intimiste. Son personnage principal n’a pas de dimension héroïque et reste ainsi beaucoup plus proche de l’esprit du spectateur, l’entrainant avec lui dans ce Japon médiéval en pleine guerre. Ces caractéristiques font de Kagemusha un chef d’œuvre couronné par la Palme d’Or au festival de Cannes 1980 et surtout un accueil critique et public qui lui permet de renouer avec le succès.