Culte du dimanche : Le Narcisse Noir

Par Fredp @FredMyscreens

A l’occasion de sa sortie en bluray le 7 mars dernier grâce à Carlotta Films, revenons sur le chef d’œuvre du duo britannique Emeric Pressburger et Michael Powell : Le Narcisse Noir.

Avant le laisser complètement éclater leur style artistique flamboyant avec Les Chaussons Rouges, Emeric Pressburger et Michael Powell ont déjà pris le temps révolutionner le grand cinéma britannique. Le Narcisse Noir en est l’exemple parfait tant son esthétique et sa thématique ont marqué les cinéastes d’aujourd’hui. Une pièce aujourd’hui méconnue du grand public mais un classique immanquable pour tout cinéphile, dont la beauté saisissante n’a de cesse de fasciner.

Adapté du roman de Rumer Godden, Le Narcisse Noir voit une congrégation de religieuses britanniques chargées de se rendre dans un ancien harem situé sur les contreforts de l’Himalaya pour y établir un dispensaire. Face à l’exotisme et à l’isolement, leur foi va petit à petit laisser place à des sentiments bien plus humains. La dévotion complète remise en question, voici une thématique chère au duo (dévotion à la religion ici, à l’art de la danse dans les Chaussons Rouges) qui va ici être abordée de manière étonnante.

Alors que l’équipe technique pensait devoir aller tourner en Inde pour les besoins du film, Emeric Pressburger et Michael Powell décidèrent de ne pas sortir du Royaume-Uni et de tout filmer en studio afin d’avoir la main mise complète sur les décors, l’éclairage, le vent, … Un parti pris audacieux qui donnera au film tout son cachet. Car sans aller à l’étranger, tout est reconstruit sur place avec une grande précision, mais surtout les paysages que nous verrons dans le film seront des miniatures et trompe-l’œil incroyablement réalistes tout en gardant un cachet étrange donnant au film une allure de conte irréel.
Il faut dire que le directeur de la photographie Jack Cardiff fait aussi beaucoup pour éclairer les décors mais aussi les acteurs avec une lumière somptueuse, donnant toutes ses lettre de noblesse au Technicolor avec une précision incroyable. Sa gestion des couleurs mais aussi de l’obscurité apporte au film toute sa profondeur d’étrange rêve éveillé basculant doucement dans le cauchemar.

Mais il n’y a pas que la technique. Car derrière l’esthétisme du Narcisse Noir, il y a aussi et surtout une histoire passionnante. A l’époque, les mélos exotiques qui permettaient de voir en couleurs d’autres contrées étaient légion dans le cinéma anglo-saxon. Pourtant Emeric Pressburger et Michael Powell ont toujours eu cette étincelle qui les faisait sortir du lot, légèrement en décalage, osant plus de choses dans leur narration.
Avec le Narcisse Noir, ils évoquent ainsi la religion pour mieux parler du désir
. Car les religieuses vont peu à peu perdre la foi et succomber à la tentation. Ainsi, Sœur Clodagh magnifiquement campée par Deborah Kerr va se rappeler ce qui l’a conduite dans les ordres tandis que sa collègue, Sœur Ruth (impeccable Kathleen Byron toute en retenue dans la folie), laissera exprimer toute sa sauvage jalousie lorsqu’un homme se mettra entre elles.

Outre son aspect classique, la thématique, la lumière et la mise en scène donnent aussi au Narcisse Noir des allures de conte fantastique versant dans l’horreur. Ainsi, l’ancien harem dans lequel s’installent les sœurs parait comme hanté par les occupants qui y ont vécu précédemment (ce n’est sans doute pas pour rien que les moines qui ont d’ailleurs tenté d’y vivre auparavant en ont fuit). Le vent soufflant en permanence donne aussi l’impression qu’une malédiction plane sur le lieu jusqu’au final dans lequel Sœur Ruth paraitra comme possédée par ses pulsions. Alors que l’on penserai que l’isolement dans un tel lieu permettrait de trouver une certaine spiritualité, c’est ici tout l’inverse qu’il se passe.

Avec le Narcisse Noir, Emeric Pressburger et Michael Powell livrent une œuvre sublime sur le désir et la foi. Ils n’hésitent pas à pousser le plus loin possible leur recherche esthétique mais aussi à manipuler le spectateur pour le faire naviguer entre différents genres, du mélo le plus classique à la sombre histoire d’effroi. Ils font du Narcisse Noir un film complet, somme de tout leur talent et des thématiques qu’ils souhaitent évoquer et l’on comprend dès lors à quel point il a pu influencer l’esprit des grands cinéastes qui ont suivi.

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