34 ans après sa mort en pleine gloire, Florent Emilio Siri se lance dans le pari risqué de raconter la vie de Claude François. Le résultat, c’est Cloclo, un biopic virevoltant qui nous entraine dans le sillage de l’icône populaire des 60-70′s.
On avait trop vite classé Florent Emilio Siri comme un excellent réalisateur de films d’action (Nid de Guêpe, Otage) à tendance politique (l’Ennemi Intime). C’était oublier qu’il est avant tout amateur de défis. Et en voici un de taille : adapter la vie de Claude François au cinéma. Et le pari était risqué tant Cloclo est une figure ultra populaire et kitschissime des années yéyé. Mais il fallait aussi faire face à la pléthore de biopics dont on a été abreuvé au cinéma ces dernières années, provenant des USA (Ray, Walk the Line) ou affichant un label « star française» (la Môme, Gainsbourg vie héroïque). Le genre a ceci de spécifique qu’il est généralement un parcours balisé (enfance difficile, gloire, descente aux enfers, résurrection et mort) servant souvent de tremplin à récompenses pour son interprète.
Évidemment, Cloclo n’échappera pas à ce chemin et débute par l’enfance du jeune homme en Egypte pour se terminer à la réaction de la famille après sa mort. Mais ce qui fera la différence par rapport aux éternels biopics, c’est non seulement la destinée et le caractère de l’homme mais aussi et surtout la réalisation de Florent Emilio Siri. Car avec le scénariste Julien Rappeneau et l’acteur Jérémie Renier, il dresse un portrait sans fard de l’artiste et de l’homme d’affaires qui va toujours de l’avant.
La première chose qui frappe dans Cloclo, c’est que les auteurs n’hésitent pas, malgré les fils du chanteur à la production, à épingler l’image du chanteur. On le savait tyrannique avec ses claudettes, avec un égo surdimensionné, mais ici il nous est vraiment présenté comme un personnage antipathique que l’on aime détester car nous comprenons d’où vient son envie désespérée de réussir et d’être aimé.
On découvre petit à petit que son ambition inébranlable viendra de ses problèmes relationnels avec ses parents (un père dont il n’aura jamais la reconnaissance et une mère endettée jusqu’au cou). Alors il devient un artiste qui fera tout pour réussir et s’en donnera les moyens jusqu’à ce qu’il se retrouve finalement seul à gérer sa carrière et sa société florissante en se réinventant régulièrement.
Et c’est justement ce qui est passionnant ! En mettant en lumière ses défauts, Cloclo n’a pas besoin de passer par les phases de chute ou de descente aux enfers car sa célébrité sans cesse croissante est aussi une plongée progressive dans la solitude et la mégalomanie. De ses relations possessives avec les femmes, jusqu’aux secrets qu’il a manigancé pour maintenir sa carrière à flots (un faux malaise sur scène, la dissimulation de son second fils) et son côté maniaque, le portrait de l’homme est complexe et peu reluisant.
Mais le portrait ne serait pas aussi passionnant si il n’était pas porté par la caméra de Florent Emilio Siri. Avec Cloclo, le réalisateur montre enfin tout son talent dans un film qui se veut populaire. Il impose directement un rythme qui colle à l’allure effrénée du chanteur pendant 2h30 sans retomber mais sans non plus oublier l’émotion. Une réalisation énergique, sans cesse en mouvement qui n’hésite pas à partir dans des séquences oniriques (le rêve de Comme d’habitude) ou dans un live survolté.
Ce rythme il le trouve aussi au travers de plans séquences qui montrent bien la profusion de monde autour du chanteur (les fans, les employés, les proches) alors qu’il est finalement bien seul. Le réalisateur contrôle tellement bien sa mise en scène que même la fameuse séquence de la douche, qui aurait pu être totalement ridicule, est ici gérée avec un sobriété exemplaire.
Il faut dire que le réalisateur à en face de lui un acteur littéralement porté par le rôle. Même si il ne chante pas lui-même, Jérémie Renier est totalement imprégné par le personnage au travers de sa voix et de sa gestuelle (on imagine bien les heures d’entrainement subies par le comédien pour bouger comme lui). L’exploit est tel qu’il réussit à faire oublier le chanteur pour se consacrer à l’homme, loin des clichés et aussi touchant qu’irritant. Il habite le personnage avec une tellement force qu’il arrivera même à nous coller des frissons lors de l’interprétation de My Way au Royal Albert Hall, signe d’un accomplissement personnel et d’un rapprochement avec la figure paternelle.
Avec ces défauts, ces failles, ces secrets, Cloclo n’est pas le portrait hagiographique que l’on pouvait redouter et les détracteurs du personnage public devraient y trouver leur compte. Car ce n’est pas que de Claude François que parle film mais aussi de célébrité, de réussite, de solitude. Avec la mise en scène la plus puissante de l’année, il est certain que l’on tient là l’un des concurrents les plus sérieux aux prochains Cesar.