A l’occasion de la sortie de 30 beats, plusieurs webzines et blogs cinéma ont eu le privilège de rencontrer la charmante et volcanique Vahina Giocante ainsi que le réalisateur du film, Alexis Lloyd.
Un entretien en toute convivialité, très plaisant, avec des personnes qui aiment le septième art et ont une approche intéressante de leur métier et de la création cinématographique, et dont voici le compte-rendu.
Vahina, comment êtes-vous arrivée sur le projet “30 Beats”?
Vahina Giocante (VG) : Je suis arrivée sur le projet d’une manière assez inhabituelle, parce que j’ai rencontré Alexis très peu de temps avant de tourner, par une amie commune que j’avais rencontrée plusieurs années auparavant et qui a pensé à moi. J’ai fait des essais à distance, en France, et je les ai envoyés par le biais de you send it. (C’est utile Internet pour ça…).
Les choses se sont faites assez rapidement. Quinze jours après, j’étais à New York pour la préparation.
Ce qui est assez agréable, c’est que c’est un film choral mais où chacun a une partition donnée qui est très précise, très équilibrée.
Et puis le plaisir de tourner dans ce genre de film, où l’on ne participe qu’à une petite partie, c’est aussi un plaisir de spectatrice. C’est de découvrir le travail des autres acteurs, que l’on n’a pas forcément croisés sur le plateau, voire que l’on n’a même pas rencontrés.
Vous êtes restée combien de temps sur le plateau ?
VG : Je suis venue deux fois. En tout j’ai dû rester un mois et demi entre la préparation et le tournage…
Alexis Lloyd (AL) : Oui il y a eu une période de 15 jours / 3 semaines et une autre d’une quinzaine de jours. Vahina, avec Ingeborga Dapkünaité était celle, parmi les acteurs du film, qui connaissait le moins New York. Les autres acteurs y vivent pour la plupart. Il était important pour moi qu’elle fasse au moins une semaine de préparation avant de tourner; qu’elle expérimente la ville, qu’elle apprenne à l’apprivoiser, qu’elle travaille le rôle en situation.
VG : Je connaissais New York en tant que touriste, mais le personnage était censé déjà y vivre depuis plusieurs mois. Le travail que j’ai fait avec le coach là-bas, ça a été de visiter les endroits que mon personnage était susceptible de visiter, de me sentir new-yorkaise…
Vous avez découvert New York sous un tout autre angle…
VG : Oui. On m’a même loué un appartement pour que je puisse m’immerger dans le rôle. C’est un petit détail, mais ça compte… Ca construit le personnage et quand on arrive sur le plateau, on est déjà nourri de moments de vie.
Et puis, il y a eu la préparation de l’Actor’s studio. Pour la petite anecdote, quand je suis allée voir Carl [Ford] à Broadway, je suis arrivée avec mon scénario sous le bras, comme une bonne élève, en pensant qu’on allait travailler sur le texte. Il m’a regardé en souriant, m’a dit “Mais on n’a pas besoin de ça pour l’instant! Mets le scénario de côté”. Puis il m’a posé toute une série de questions sur le personnage. Si le personnage était un animal, lequel serait-il? Comment est-ce que le personnage marche? Dans quel endroit il irait? Est-ce qu’il sort? Qu’est-ce qu’il mange? Qu’est-ce qu’il aime ou n’aime pas? C’est vraiment une méthode qui est très différente de la manière dont on travaille en France. En fait, on travaille beaucoup moins en France (sourire). Donc c’était vraiment enrichissant d’un point de vue personnel et professionnel.
AL : Il y a tellement de clichés autour de cette méthode de l’Actor’s Studio… Notamment sur cette histoire d’animal… Si c’est mal fait, c’est ridicule. Mais quand c’est bien fait, c »est spectaculaire. Et Karl Ford et Suzanne Bateson (1) sont vraiment les piliers d’un des meilleurs studios d’acteurs de New York. J’ai travaillé le scénario avec eux et chaque acteur dans des ateliers particulier…
VG : Ca n’a rien de ridicule parce que c’est vraiment axé sur la façon de se mouvoir, la façon de parler, de regarder. C’est ce qui fait qu’un acteur américain peut être capable d’aller très très loin de lui.
AL : Il y a un travail de création du rôle différent. Ce n’est pas vrai de de tous les acteurs français – ce serait idiot de dire ça – mais c’est vrai que de temps en temps, dans le cinéma français, on demande aux acteurs d’être un peu eux-mêmes, qu’ils déclinent différentes manières d’être eux-mêmes…
VG : Ca dépend du réalisateur. Certains manquent cruellement d’imagination et ont beaucoup de mal à projeter un acteur dans un autre rôle. Par exemple, des fois, on me dit que je n’ai pas la bonne couleur de cheveux. Mais c’est absurde! Ca n’a aucun sens de raisonner comme ça!
AL : C’est plus amusant pour les acteurs d’être le plus créatif possible, de créer quelque chose de différent à chaque fois et toutes ces techniques de l’Actor’s studio, ça permet de travailler des espèces de jeux physiques.
VG : C’est une espèce d’implication physique qu’il n’y a pas forcément ici. La majorité des acteurs aux États-Unis savent chanter, danser… Ils sont assez complets et ont un un rapport au corps qui est très différent. Les acteurs français qui ont ce rapport au corps, on les connaît, ce sont les Vincent Cassel et co… Des acteurs qui ont une façon de s’exprimer où tout le corps est impliquée dans la démarche de jeu.
D’ailleurs, avez-vous une méthode fixe pour préparer un rôle?
VG :Non. C’est vraiment en fonction du film, du réalisateur… Je crois qu’un acteur doit avoir une capacité d’adaptation importante, qu’il doit être capable, un peu comme une pâte à modeler, de se modifier en fonction des besoins du rôle.
Il y a des rôles qui requièrent une préparation physique importante, d’autres qui requièrent des connaissances particulières dans un domaine… Et puis, je pense qu’on évolue aussi avec l’âge, la maturité. Aujourd’hui, je pense être capable de jouer des choses que je ne pouvais pas jouer avant, faute d’expérience et aussi par rapport à ma propre vie, à ma propre expérience personnelle.
Justement il y a rapport au corps avec votre personnage. Visiblement la nudité n’est pas quelque chose qui vous dérange face à la caméra…
VG : C’est faux de dire que la nudité ne me dérange pas. Ce n’est pas quelque chose de forcément très facile et très évident. Cela dit, dans ce film-là, il n’y a pas énormément de nu. On doit voir un bout de sein, ce qui n’est pas énorme en définitive. Je pense que la nudité au cinéma est une problématique assez importante, parce que le cinéma étant le reflet des expériences de vie de la majorité des gens, et la sexualité étant une partie assez importante du quotidien des gens, c’est quand même quelque chose qu’on est amené à retranscrire au cinéma. Après, je trouve toujours ça plus intéressant et plus stimulant la sexualité fantasmée et non-visible, et je trouve que dans 30 Beats, c’est le cas.
A une époque, j’ai fait un film qui s’appelle Lila dit ça qui était vraiment tourné autour de la sexualité et de mots très crus. Mais on ne voyait jamais rien. Et pourtant les gens à la sortie du film me disaient : “Ca n’a pas été difficile de faire un film comme ça, aussi cru, aussi sexuel, aussi dénudé?”… Mais non, il n’y a pas de nudité. Justement, l’imaginaire travaille tellement plus quand on ne montre rien, que finalement, on se persuade que c’est provocateur…
Dans 30 Beats, on ne voit jamais de scène de coït. C’est un travail sur la notion de désir, de chaleur. Ca effleure toujours le côté organique mais sans jamais aller dans le voyeurisme…
AL : On me le reproche suffisamment…
VG : Il y a toujours des frustrés (rire)… Moi, je suis fascinée par le cinéma asiatique. C’est un cinéma des sens. On est souvent dans la suggestion, dans la délicatesse, dans le subtil…
Pour revenir à la question, oui, j’ai une certaine implication physique de par mon passé de danseuse. J’ai un rapport à mon corps, à mon corps dans l’espace qui est forcément influencé par cette expérience de danseuse.
Comment choisissez-vous vos rôles? On a l’impression que vous trier soigneusement vos propositions et on vous voit peu à l’écran.
VG : Quel était l’acteur qui disait “Les non sont presque plus importants que les oui”?
Refuser un projet, c’est tout aussi important, voire plus important, que d’en accepter. J’accepte un rôle généralement pour trois raisons, hormis ceux que je choisis à l’instinct, parce que des fois c’est irrationnel…
Il y a d’abord la rencontre avec le réalisateur. Un film, c’est avant tout une aventure humaine. Comme dans une histoire d’amour, on doit avoir envie de donner quelque chose à l’autre, sinon ça devient une torture. Nous somme notre propre instrument, donc pour se soumettre à la volonté d’un metteur en scène, il faut avoir un rapport de confiance assez important. Ce facteur est extrêmement déterminant.
Ensuite, il y a évidemment l’histoire dans sa globalité. Qu’est-ce que ça raconte ? Est-ce que j’ai vraiment envie de raconter cette histoire et est-ce que je vais aussi avoir quelque chose à apporter?
Et enfin, très égoïstement, je me demande quel plaisir je vais avoir à jouer ce rôle. Est-ce que c’est un rôle qui va m’apporter des choses, m’enseigner des choses, m’emporter quelque part?
Là, par exemple, quand vous avez lu le scénario, est-ce que vous avez hésité ?
VG : Non, je je n’ai pas hésité parce que le traitement était assez spécial, donc je me disais bien ce serait un film assez atypique. Ensuite parce que c’était ma première expérience en langue anglaise, donc c’était un challenge. Est-ce que je suis capable de retranscrire des émotions dans une langue qui n’est pas la mienne et de le faire de manière naturelle?
Et puis cette aventure collective aussi. Travailler avec des gens qui viennent d’horizons très différents et se retrouver sur un projet comme ça, assez particulier, avait quelque chose d’assez excitant.
AL : Tout le monde a pris des risques, quand même, dans cette affaire. On sous-estime toujours le risque, parfois physique mais aussi psychologique, intérieur, moral, mental, que prennent les acteurs en acceptant un rôle, en se donnant au metteur en scène, à son projet.
VG : J’apporte une précision à ça, parce qu’on a toujours tendance à minimiser le risque que prennent les acteurs. Oui, c’est vrai, on ne travaille pas à la mine, mais c’est plus subtil que ça. J’ai vu pas mal d’acteurs se perdre dans un rôle et ça m’est arrivé aussi d’avoir aussi des moments très borderline, où on est amené à vivre des émotions qui ne sont pas les siennes. Quand je vois une colère au cinéma, moi je vois tout de suite un acteur qui feint la colère et un acteur qui la vit. Le travail d’un acteur de pouvoir en sortir tout de suite après. Quand on dit “Coupez!”, c’est fini, ça ne m’appartient plus. Mais au moment où cette émotion nous traverse, elle doit être réelle. Elle doit vraiment mettre dans un état émotionnel. Donc si on est dans un état nerveusement fragile, avec des névroses, avec des failles importantes, cela peut être difficile. C’est en cela qu’il y a des risque psychiques, et le public n’en a pas toujours conscience.
Les gens pensent que jouer la comédie, c’est faire semblant. On me on dit souvent “Tu dois bien savoir mentir”. Mais moi, je suis incapable de mentir. Ca se voit sur ma gueule. C’est impossible, je ne peux pas mentir… Un acteur honnête est un acteur qui déclenche plus de choses. Vous, en tant que spectateurs, vous êtes en empathie par rapport à un personnage. Pour qu’une scène fonctionne, vous touche, il faut que vous ressentiez l’émotion vécue par le personnage. Si l’acteur est totalement honnête, ce sera plus facile pour vous de vous projeter et d’être en empathie avec lui. Sinon c’est de la blague…
AL : Et ça se sent! Le spectateur le sent et réagit toujours plus fortement à des acteurs qui se donnent dans un rôle. Plus on fait des choses à risque, plus il faut de la technique, de l’entraînement. Un acteur qui à cette expérience-là, qui se connaît lui-même, qui connaît son instrument, peut aller loin dans une telle prise de risque psychique du rôle et devient très touchant. Je suis très touché quand je vois Vahina à l’écran, et les autres acteurs du film aussi. Parce que je sais qu’ils ont vraiment tout donné à l’écran. Je sais que les acteurs n’ont pas triché. Il y a bien quelques moments où je vois un peu de jeu, mais il n’y en a pas beaucoup finalement. Je continue de ressentir cette vérité de la création du rôle qui suppose de se lancer, de prendre un risque, d’être expérimental.
Vahina n’a pas eu peur d’aller vers cette expérimentation. De changer sa manière de travailler, d’inventer de nouvelles manières de travailler… J’ai choisi tous mes acteurs comme ça et cela doit se sentir à l’écran.
VG : Vous disiez que j’étais assez rare. C’est aussi pour cette raison. Je crois qu’un acteur qui tourne beaucoup est un acteur qui s’épuise. C’est important d’avoir un alternance de moments d’action et de moments d’observation, où l’on vit des choses pour soi-même, qui vous remplissent. Sinon, il y a beaucoup d’acteurs qui deviennent des caricatures d’eux-mêmes, parce qu’ils n’ont pas le temps de se remplir de moments de vie à eux…
Du fait de votre rareté à l’écran, êtes-vous une boulimique sur le plateau?
VG : ”Boulimique”, non, parce que j’évite les excès quels qu’ils soient. Je trouve qu’un excès, ça n’apporte jamais rien de bon. Je suis pas “boulimique”, je suis dans le plaisir. J’éprouve énormément de plaisir à faire ce que je fais, vraiment. Je n’ai pas besoin de travailler dans la douleur ou dans le pouvoir, pas du tout. Je crois qu’on peut faire les choses en prenant du plaisir. Et même si ça peut paraître paradoxal, on peut faire des scènes où on se met dans des états émotionnels pas possibles tout en éprouvant une certaine jouissance à explorer ça. Ce n’est pas de la boulimie, non. Et puis, que c’est bon de ne pas faire que travailler non plus ! Cela rend les choses encore plus agréables… Et même pour vous, spectateurs, voir partout le même acteur… Je trouve que la valeur réside aussi dans la rareté.
Est-ce qu’il y a un rôle qui vous a marqué psychologiquement? Un rôle dont vous avez eu du mal à sortir ?
VG : Je n’ai jamais eu du mal à me sortir d’un rôle, parce qu’une fois le tournage fini, généralement c’est derrière moi.
Mais j’ai fait un film en Israël (2) qui était très, très, très éprouvant. Je n’avais aucun repère, ce n’était pas dans ma langue maternelle, le personnage était constamment en colère, en deuil, en détresse psychologique.
Secret défense a été aussi un peu éprouvant comme tournage, parce que c’était très physique.
Et puis, dans le dernier que j’ai fait, j’ai joué un jockey et la ce fut très difficile, pour des raisons plus physiques, parce que j’ai eu un accident. Là, c’était dangereux… Si j’avais su ce que cela représentait, je ne sais pas si j’aurais eu le courage de faire le film.
AL : Vahina possède un vrai courage, une force de caractère. Je trouve assez impressionnant qu’après son accident, elle soit aussi vite remontée en selle .
VG : Oui, en fait, j’ai eu deux accidents. Un premier avec fracture du coccyx et déboîtement de la hanche. Et un deuxième avec un traumatisme crânien et une entorse aux cervicales. Les assurances m’ont alors demandé si je voulais continuer. Bon, des fois c’est du courage et des fois, c’est de l’orgueil. Dans ce cas-là, c’était de l’orgueil…
J’ai beaucoup de mal si je me sens en situation d’échec, donc, du coup, je suis d’une nature assez challengeuse. J’ai besoin de défis, même si avec l’âge ça se calme un peu, je suis un peu plus raisonnable. Là, je me suis dit “je ne vais pas abandonner, je ne vais pas lâcher le morceau”
AL : Et puis il faut monter sur ces chevaux, qui sont des bolides, des formules 1…
VG : Ca m’a beaucoup appris. En fait, travailler avec des animaux, comme travailler avec des enfants, c’est ce qu’il y a de plus compliqué. Il fallait donner une information claire à l’animal; être patiente. Un travail passionnant pour moi, en tant qu’être humain. Et puis, il y a le fait d’être remontée en selle tout de suite après mes accidents, de travailler sur cette volonté… Ca m’a révélé beaucoup de choses sur moi-même et je pense que chaque rôle doit être ainsi. C’est pour ça que c’est important les choix que l’on fait. Chaque rôle révèle des choses de soi qui sont souvent insoupçonnées, des choses aussi bien positives que négatives – c’est là qu’il faut rester vigilant. Là, je pense que c’est un pari réussi.
AL : Quand est-ce que ça sort?
VG : En novembre ou décembre. Ca s’appelle Les Turfistes et c’est actuellement en montage.
Avez-vous de nouveaux projets en cours?
VG : Oui. Mais tant que je ne suis pas sur le plateau, difficile d’en parler…
Le fait de tourner aux États-Unis, en langue étrangère, est-ce que ça vous a donné envie de développer une carrière internationale?
VG : J’avais déjà cette envie avant. Mais je n’ai pas de rêve de Hollywood. Je pense que j’ai plus un désir de travailler avec des artistes multiculturels. Là, je parlais d’Israël. J’ai travaillé avec un réalisateur israélien. C’est une fenêtre ouverte sur une culture et je trouve que c’est un enrichissement phénoménal. Comme de pouvoir se confronter à sa capacité d’adaptation. Que ce soit aux États-Unis avec Alexis, en Israël ou ailleurs - j’ai fait aussi un film en Italie – travailler avec des gens très différents, des mentalités très différentes, des façons de faire différentes, c’est très enrichissant.
Après, je ne veux pas me fermer de portes. Aucune. Si les portes sont ouvertes, tant mieux, mais après, c’est un métier où on dépend quand même beaucoup du désir des autres et des rencontres.
Vous avez tourné plusieurs fois avec certains réalisateurs. Est-ce que vous aimez appartenir à une espèce de famille artistique, et retrouver à intervalles plus ou moins réguliers les mêmes réalisateurs, les mêmes acteurs?
VG : Je n’ai pas la sensation d’appartenir à une famille particulière. J’ai l’impression de pouvoir être la petite soeur, la cousine, la nièce ou peu importe de plusieurs familles… Après, c’est toujours bon signe quand un réalisateur vous rappelle. Ca veut dire qu’il est content de vous et que, humainement, ça s’est assez bien passé, et c’est flatteur.
Moi, j’attache plus d’importance à la relation humaine qu’au travail d’actrice. Il y a des acteurs qui sont excellents mais qui sont invivables, et je trouve que c’est dommage… Quand on peut avoir en même temps une qualité relationnelle, c’est mieux.
Et puis il y a des réalisateurs qui sont comme des voyages : Quand ça s’est bien passé, on a envie de repartir.
C’était un message, Alexis, pour refaire un film avec moi (rire).
AL : Eh bien, le prochain il faut que je l’écrive…
Justement vous aviez dit qu’initialement, vous vouliez réaliser l’adaptation d’une autre pièce de Schnitzler. Où en est le projet ?
AL : Là, il est en stand-by. J’ai plutôt envie de changer d’environnement, de référence. Ceci étant, on part de quelque chose et on le transforme énormément. Dans le cas de 30 Beats et de “La Ronde”, je me suis laissé aspirer par une forme, un rythme, un élan, plutôt que de vouloir adapter fidèlement Schnitzler, ou même respecter l’esprit de la pièce originelle. C’est même plutôt le contraire. Beaucoup des histoires dans ‘”La Ronde” sont des histoires de solitude et je voulais pas faire un film sur des histoires de solitude, même si ce sont des personnages qui sont seuls dans la vie/la ville. Le film est vraiment construit autour de moments de connexion et de rencontres, et la dernière des séquences, c’est celle où la connexion, la rencontre, n’est pas éphémère. Mais même pour les autres séquences, les connexions sont éphémère, mais bien réelles. On laisse la porte ouverte au fait qu’elles ne soient justement pas si passagères que ça, qu’elles soient plus profondes et plus pures et plus durables…
De toute manière, on est parti de quelque chose pour en faire quelque chose d’autre.
Cette autre pièce de Schnitzler, “Le chemin solitaire” tourne autour de l’art contemporain. Il y a un siècle, c’est à Vienne que tout se faisait dans le domaine. Aujourd’hui, c’est New-York qui est devenue la capitale du monde de l’art contemporain. C’ est un centre de gravité qui attire le meilleur comme le pire. Beaucoup de choses pas très belles, pas très sympathiques… Mais c’est cinématographique. Cela crée des personnalités complexes et très contradictoires. C’est intéressant à creuser et affiner.
Comme c’est votre premier film, est-ce que vous allez jeter un regard aux critiques – américaines ou françaises -pour peut-être apprendre, soit de vos erreurs, soit de vos qualités?
AL : Pour le moment, je travaille. Donc je ne regarde pas trop les critiques. Mais il y a forcément un moment où on les regarde. On y trouve des choses très contrastées de toute manière. Par exemple, sur la question de savoir si la sexualité doit être montrée d’une façon plus ou moins explicite, j’ai vraiment des réactions qui sont très opposés…
VG : Je ne veux pas dénigrer le fait de donner son avis, ni la critique en général, mais le ressenti d’un film, c’est tellement personnel, c’est tellement subjectif…
Même en tant qu’acteur… Si on commençait à attacher autant d’importance à tout ce que les gens pensent de vous, disent de vous, projettent sur vous, je pense que je sauterai par la fenêtre… Il faut quand même avoir du recul. Et, comme je le dis toujours, ne pas s’identifier ni à ses succès, ni à ses échecs. Une carrière, c’est très long et c’est vraiment parsemé de tout ça. Si on s’attache à l’opinion des autres, on n’existe plus en tant qu’individu propre…
AL : De toute façon, on apprend énormément par le processus de travail lui-même. L’écriture est une première expérience importante. Le tournage, le montage, sont des expériences très fortes qui, en tant que telles, ont une tonne de leçons à donner. C’est là que se fait la plus grande part de l’apprentissage. Quand on fait un autre film, on se sert de tout le travail que l’on a fait précédemment. Et puis, tout réalisateur, s’il devait refaire le même film, s’y prendrait différemment…
VG : C’est intéressant, ça. Un réalisateur qui fait toujours le même film…
AL : D’une certaine manière. Tout le monde fait ça, mais différemment.
VG : Je ne suis pas tout à fait d’accord. Kubrick, par exemple, nous emmenait dans des univers radicalement opposés d’un film à l’autre.
AL : Oui mais c’est rare. Prenons Hitchcock. Finalement, il ne faisait pas des films si différents les uns des autres. Il y a une veine un peu plus comique, une veine un peu plus action, une veine plus sombre psychologiquement, mais ce sont les mêmes ressorts dramatiques. La plupart des réalisateurs ont tendance à ré-aborder les mêmes choses avec des angles différents, en s’inspirant de l’expérience des tournages précédents.
Ce qui est intéressant, passionnant dans le cinéma, c’est que l’on arrive toujours à retrouver la signature de l’auteur. Et qu’il y a des thématiques fortes. Pour parler d’un autre cinéaste new-yorkais, Woody Allen, il fait toujours le même type de films, la même durée, le même format, le même découpage. Mais avec des petites choses qui font que chaque fois, on est accrochés…
VG (faisant la moue): Plus maintenant… Je trouve que c’est devenu un cinéma de papy empoté, qui part en vacances à un endroit, se paye ses petits fours Ladurée et son champagne et en profite pour filmer. Il y a un côté qui me fatigue. C’est un peu du foutage de gueule… J’ai l’impression que, parfois, en accédant à un confort absolu, certains cinéastes perdent de leur créativité. Je parle des derniers films de Woody Allen, d’Oliver Stone, de Brian De Palma… On leur déroule le tapis. Comment voulez-vous vous mettre dans une sorte de mise en danger, de prise de risques, quand vous êtes dans une situation aussi confortable?
Et comment expliquez-vous qu’à l’inverse les acteurs s’améliore avec le temps au fur et à mesure des rôles ?
VG : Ah! ça dépend de qui… Si vous parlez de Depardieu, qui est lui aussi dans une démarche de confort absolu, je ne trouve pas qu’il y ait particulièrement d’amélioration, même si je le respecte et que je trouve que c’est l’un de nos plus grands acteurs. Après, il y a chez certains acteurs cette volonté de changer de réalisateur, de changer d’univers, d’atmosphère, et c’est cette multitude d’expériences qui va enrichir la personne, qui va lui donner une patine.
Un acteur est obligé de travailler avec une trentaine de réalisateurs différents. Il va coller à un univers, lire des bouquins différents, voir des films qui ont inspirés ses metteurs en scène… Donc il sera forcément obligé de sortir de son petit confort.
Alors, les acteurs se bonifient et les réalisateurs s’épuisent… Intéressante comme définition… (rires)
VG : Hé! Je ne dis pas que tous les réalisateurs s’épuisent. Juste qu’il faut faire attention quand on accède à une bonne position, de ne pas s’endormir sur ses lauriers.
Est-ce que justement, le fait de ne plus rien avoir à prouver ne pousse pas les réalisateurs à se faire plaisir et à faire plaisir aux spectateurs qui aiment leur cinéma? Comme Steven Spielberg et Woody Allen.
AL : Woody Allen a quelque chose de particulier, qui est quasiment unique aujourd’hui : il fait un film par an depuis plus de quarante ans ! C’est un phénomène incroyable! Je continue d’être terriblement admiratif d’une telle machine de production. La plupart des réalisateurs, au bout d’une vingtaine de films, ont un peu dit tout ce qu’ils avaient à dire. Lui est passé par des hauts et de bas et est toujours là. Bizarrement, le dernier film qu’il a fait est son premier vrai succès aux États-Unis, auprès du grand public. Il ne s’y attendait pas d’ailleurs, et il s’en moque.
Il y a quelque chose de quasiment frénétique dans son affaire. Il ne peut pas s’arrêter de tourner. Et il en fait sans doute un peu trop. Là où Vahina a raison, c’est que Woody Allen prend peu de risques pour ce qui est du format, du budget, du style de production, c’est le même depuis trente ans…
VG : Je préfère un auteur comme Terrence Malick, qui fait un film tous les dix ans. On adhère ou pas, mais il se met en danger et reste surtout exceptionnellement créatif. Il y a un travail, une recherche créative… Darren Aronofsky, aussi, qui plonge chaque fois le spectateur dans un univers différent, toujours dans une démarche de créativité.
Je déplore ce manque d’audace chez certains grands réalisateurs. Maintenant, il y a aussi peut-être beaucoup d’attente autour de leurs films de par leur historique, leur filmographie, et la déception est souvent à la hauteur des attentes.
Est-ce qu’il y a des cinéastes que vous admirez, à qui vous vouez un culte ?
VG : Je ne vais pas jusqu’à vouer un culte… Mais oui, il y a des réalisateurs qui me touchent particulièrement. Ceux que je viens de citer, par exemple, qui éveillent toujours chez moi une grande curiosité et une attente. Il y a aussi James Cameron, qui ne peut que forcer le respect et admiration en faisant des films à la fois très grands publics et qui marquent des générations, des films presque historiques, impressionnants. Et puis le cinéma asiatique, les films de Tran Anh Hung, comme A la verticale de l’été…
J’ai des goûts très éclectiques. Mais j’aime que le cinéaste ajoute à son propos une touche de créativité, de la recherche esthétique.
Est-ce qu’au contraire, il y a des réalisateurs que vous n’appréciez pas, avec qui vous auriez des réticences à tourner?
VG : Oui évidemment, ça marche dans les deux sens…
Mais pour mon travail, je m’intéresse plus aux comportements humains. Certains réalisateurs travaillent beaucoup dans le pouvoir, qui vont avoir un rapport dominant avec les acteurs et ça, c’est quelque chose qui ne m’intéresse absolument pas. Je ne veux pas être juste un instrument de travail entre les mains du metteur en scène. On est un instrument travail, d’accord, mais, pour moi, c’est un partenariat. On raconte une histoire commune qui vient peut-être du metteur en scène, mais qui se fait aussi avec une centaine de personnes autour. Je refuse désormais de travailler pour l’égo-gratification d’une seule personne. Ca me fatigue. Je veux travailler sur une aventure collective commune, raconter une histoire.
Le cinéma est un vecteur énorme. Vecteur d’émotions, de transformation de la conscience… Il y a des films qui peuvent vous marquer profondément, changer totalement une perception que vous aviez de vous-même, de la société… C’est un vecteur qui a une puissance phénoménale. Aussi, faire un film juste pour le petit ego d’un cinéaste, ça ne m’intéresse pas. Mais parfois, on ne sait pas forcément à l’avance sur qui on tombe…
C’est pour ça que c’était très intéressant de travailler avec Alexis. Il est vraiment dans un travail de stimulation. On n’a pas l’impression qu’il vous prend, on a l’impression qu’il vous donne. C’est une stimulation intellectuelle, un travail sur l’imaginaire… C’est très très enrichissant.
AL : C’est d’un piège intéressant que la structure de “La ronde” pour un metteur en scène. Il fait quelque chose qu’il devrait pas faire narrativement : Il se met lui-même dans les mains de ses acteurs, puisque le film repose sur eux. Le fil conducteur tient à ce passage de flambeau entre les comédiens. Chaque acteur, à un moment, porte tout le film. Si un seul n’est pas à la hauteur, le film n’est pas montable. Si tout à coup, l’un d’eux chute, c’est tout le film qui se casse la figure. Parce qu’on ne peut pas couper au montage une performance insuffisante, et que la dynamique du film repose sur ces passages de flambeaux.
J’ai compris avant de tourner que je devais avoir une relation particulière avec chacun de ces acteurs. Il n’y avait pas de second rôles, il y avait dix rôles principaux, parce que chaque acteur a son importance dans la construction de l’oeuvre. On était complètement ensemble.
VG : La chose que j’ai trouvé très agréable dans le travail avec Alexis, c’et qu’il responsabilise les acteurs, il ne les infantilise pas. J’ai le souvenir de discussions où il me demandait mon avis sur certaines choses… C’est finalement assez rare, un metteur en scène qui vous accorde un peu d’importance, qui vous fait participer à sa création et vous permet de mieux vous projeter dans le rôle…
AL : Ce sont les acteurs qui connaissent la vérité d’une scène sur le tournage. Sur le tournage, il y a un moment où le réalisateur doit confier les clés aux acteurs qui jouent la scène, les laisser trouver la vérité dramatique de la situation. Se priver de cette vision de l’intérieur que les acteurs ont de la scène, ce n’est pas une bonne idée de la part d’un cinéaste… Ce n’est pas quelque chose d’intellectuel, c’est vraiment ressentir comment à partir de dialogues, de situations, et la manière dont les acteurs vivent quand ils créent leur rôle, ça fait exister la scène d’une certaine manière.
C’est un ingrédient terriblement précieux, un fuel précieux à utiliser pour continuer à alimenter la machine. C’est plus intéressant aussi pour les acteurs.
Vahina a eu la chance de tourner avec deux très bons acteurs qui ont tous les deux ont tous beaucoup contribué à leur rôle. Chacun a un peu changé la façon dont le rôle était écrit, et heureusement. C’était des rôles fait pour être à géométrie variable, qui étaient faits pour être assez malléable par les acteurs. Je voulais même filmer la manière dont les acteurs refaçonnaient, remodelaient ces rôles.
VG : Merveilleux acteurs! Ils ont énormément travaillé leur rôle.
Ce qui est fascinant avec quelqu’un comme Tom Sadoski, c’est qu’on ne voit jamais le travail qu’il y a derrière le jeu d’acteur. C’est d’une subtilité, d’une précision… Je compare beaucoup les acteurs avec des instruments de musique, des voitures – C’est un peu étrange comme ça… - Il y a des instruments qui vont être très affûtés, avec une sonorité d’une justesse absolue. Si on compare un vulgaire violon et un Stradivarius, ce n’est pas la même chose. Si on compare une vieille 2CV et une Porsche ce n’est pas la même chose non plus. Il y a vraiment une précision, une justesse dans l’écoute. Je suis très sensible aussi à la musique et à l’oreille, et on peut entendre si un acteur joue juste ou pas, comme on sait si un musicien joue juste ou pas. C’est une histoire de son, de sonorité. Et chez l’un comme chez l’autre il y a une même justesse, une précision, une délicatesse dans le jeu que je trouve assez remarquable. Quand on est acteur, ça facilite le travail. C’est comme une bonne partie de tennis. C’est stimulant.
AL : Ils en reveulent d’ailleurs! Ils demandent régulièrement de tes nouvelles! Quel que soit le sort de mon film désormais, je suis convaincu d’une chose : c’est que la carrière des acteurs qui sont dans ce film ne va qu’aller en montant. Je n’ai aucun doute là-dessus. Ce qui est déjà le cas d’ailleurs…
C’est tout ce qu’on peut leur souhaiter. Merci Vahina, merci Alexis de nous avoir accorder ces quelques minutes de votre temps.
(1) : Carl Ford et Susan Bateson dirigent et animent la Black Nexxus, Inc, une des écoles d’acteurs les plus réputées de New-York
(2) : The Unforgettables de Matan Guggenheim
Entretien réalisé le 22 mars 2012 au Café Marcel (Paris 18ème)