Aussi légendaire que maudite, l’incursion de Ridley Scott dans la fantasy navigue entre une naïveté particulièrement kitsch, une beauté plastique magique et un sous-texte plus osé qu’on ne pourrait le croire. Nous parlons donc aujourd’hui de Legend.
Après une réussite incontestable dans la SF avec Alien et Blade Runner, Ridley Scott s’attaque à un nouvel univers, celui de la fantasy. En aucun cas le réalisateur ne va innover sur l’histoire. Ainsi on se retrouve tout simplement avec une princesse capturée par un être diabolique qui veut détruire le monde en tuant les 2 licornes qui maintiennent ce monde de rêve dans la paix. Alors Jack, valeureux jeune homme des bois va tout faire pour aller la secourir en compagnie d’une fée et de lutins. On l’a compris, Scott rassemble ici tout le bestiaire des mythes et légendes pour en faire un film simple, une traditionnelle lutte du bien contre le mal, à première vue destinée aux enfants.
D’ailleurs, la première partie va dans ce sens. Ridley Scott y met en scène un décor champêtre idyllique dans lequel la princesse gambade et le gamin des bois se cache. L’innocence à l’état pur se dégage alors du film et les magnifiques décors construits en studio, accompagné du travail très soigné sur la photographie donnent alors au film une allure de rêve éveillé. Aujourd’hui délicieusement romantico-kitsch, Legend fait plus sourire devant la naïveté développée ici.
Mais tout rêve a son pendant maléfique et lorsque la princesse caresse une licorne (geste interdit), le monde bascule dans le cauchemar. Les gobelins la capturent et Jack va devoir se rendre dans un monde beaucoup plus noir où règnent étranges sorcières des marais, et bourreaux des enfers. Le conte enchanteur se révèle alors d’un coup plus proche des sombres histoires de Perrault et des frères Grimm et et va aller jusqu’à en retrouver une morale noire et adulte dont l’apparition de Darkness sera le point culminant.
Ridley Scott a donc parfaitement compris l’utilité du conte : montrer le passage de l’innocence à l’adulte. C’est ici parfaitement montré en passant du conte aux ténèbres pour en ressortir plus fort, plus grand. Ce n’est pas pour rien que le thème de la tentation y est développé à travers la caresse maudite de la licorne mais aussi par la séduction des ténèbres ou même pour Jack lorsque la fée jalouse prend l’apparence de Lily. Legend entretient donc une subtile connotation sexuelle rejoignant les premiers émois adolescents.
Toutefois, même sans s’intéresser à ce côté plus sombre et si l’on garde surtout en mémoire son côté désuet, la direction artistique du film reste toujours en mémoire. Ridley Scott a toujours été un esthète et technicien hors pair. C’est ainsi un délice de redécouvrir les décors magnifiques de la partie ensoleillée ou les caves ténébreuses. Mais surtout, celui qui marque les esprits, bien plus que Tom Cruise en petit homme des bois plus fade, c’est Tim Curry. L’acteur prête ici sa démarche et son incroyable expression faciale au terrible Darkness, certainement l’incarnation du Diable la plus inoubliable du cinéma. A la fois pour son design et son maquillage incroyable mais aussi pour la prestation de l’acteur sorti d’un cauchemar plus tentateur et suave que jamais.
Pour découvrir pleinement ce côté sombre de Legend, il aura par contre fallu attendre qu’arrive le Director’s Cut. En effet, Legend est l’un des nombreux films maudits de Ridley Scott charcutés au montage lors de leur sortie. En plus des décors qui avaient pris feu sur le plateau, les projections tests ont eu raison du film. Il se retrouva ainsi complètement remonté avec une musique du groupe de rock éléctro Tangerine Dream pour le dynamiser. Sorti en 1985 avec ce montage, le film est massacré par les critiques et le public de suit pas. L’Europe aura eu plus de chance avec un montage plus long avec la musique originale de Jerry Goldsmith.
Mais il aura fallu attendre l’aube des années 2000 pour retrouver le director’s cut plus fascinant et laissant plus de place à la notion de rêve humain qu’introduit Darkness (notion qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler la licorne de Blade Runner). Aujourd’hui, malgré les années passant et rendant le film toujours plus kitsch, de par son parti pris esthétique, Legend est reconnu comme un œuvre incontournable du genre et a même réussi, en plus d’influencer Shigeru Miyamoto qui s’en servi pour créer le jeu vidéo the Legend of Zelda, à développer une aura culte auprès d’une petite communauté de fans … comme quoi, tous les contes sont intemporels.