On aimerait bien que, comme nous, vous découvriez Aux yeux de tous, le premier long-métrage de fiction de Cédric Jimenez, sans en connaître le synopsis, le sujet, le principe, entièrement vierges, histoire de le recevoir en pleine figure et en plein coeur.
Si vous n’avez encore rien lu, rien vu du film, il n’est pas trop tard. Vous pouvez arrêter ici cette lecture et vivre l’expérience en courant découvrir le film au cinéma, dès mercredi prochain. (Mais revenez quand même ici après, hein… On aimerait avoir votre perception des choses…).
Si vous avez vu la bande-annonce, vous savez déjà qu’il s’agit d’un thriller et qu’il tourne autour d’un complot terroriste d’envergure, percé à jour par un hacker “anonymous” qui décide de traquer les poseurs de bombe avec ses outils – un ordinateur, des écrans…
Dès la première séquence, le réalisateur nous cueille à froid. On nous montre une vue plongeante du hall de la gare d’Austerlitz, prise par une caméra de surveillance. Des voyageurs sont assis en attendant tranquillement le départ de leur train, d’autres font les cent pas, et le flot de voyageurs est permanent, assez dense. Soudain, une explosion. Violente. Brutale. Tragique. Un attentat vient d’être commis, ôtant la vie à de nombreuses présentes dans le hall au moment de la déflagration.
Ces images, on l’apprend très vite, n’auraient jamais dû être diffusées. Officiellement, elles ont disparu. Envolées, parties en fumée avec l’explosion. Mais hacker vaillant, rien d’impossible, un petit génie de l’informatique, capable de s’infiltrer partout où il y a de l’informatique et de l’électronique, a réussi à pirater le système de surveillance et à récupérer les images.
Il envisage d’abord de tout balancer sur le net, via un site de diffusion de vidéo, histoire d’embêter tous ceux qui auraient intérêt à dissimuler ces images au grand public, mais la curiosité le pousse à étudier les images pour déterminer qui est l’auteur de l’attentat. Il repère ainsi, sur les images de vidéo-surveillance, des personnes au comportement suspect. Il reconnaît notamment un homme, qu’il décide illico d’espionner un peu.
Cela peut sembler fou, mais le mystérieux hacker est capable de s’immiscer facilement, à distance, dans l’intimité des gens, dès lors que ceux-ci se trouvent dans des lieux équipés de caméras : système de vidéo-surveillance des rues, des magasins, des entreprises privées, webcams, caméras de téléphone mobile. Allumées ou éteintes. L’individu peut s’infiltrer où il veut.
L’enquête le met sur la piste des auteurs de l’attentat, au coeur d’une entreprise criminelle qui le dépasse. Au coeur, également, d’un drame humain auquel il assiste impuissant, derrière ses écrans de contrôle.
Le principe du film, c’est une traque à distance qui utilise les caméras de surveillance et les webcams.
Rien de bien nouveau, diront certains, le procédé ayant été exploité dans des films hollywoodiens tels que Ennemi d’état ou L’oeil du mal. D’accord, mais ces films n’étaient pas de franches réussites et surtout ne s’appuyaient pas exclusivement sur le dispositif de surveillance. Dans Aux yeux de tous, toutes les images du film sont des images volées, captées lors d’une intrusion informatique. Cédric Jimenez place le spectateur dans la même situation que le hacker, dans un rôle d’observateur clandestin, et l’embarque de force dans son récit. Il assume son idée narrative de bout en bout pour livrer une oeuvre atypique et ambitieuse.
Oui, sacré pari que ce dispositif, car il implique de sérieuses contraintes sur le plan de la narration, de la mise en scène, de la direction d’acteurs.
Impossible de faire des mouvements de caméras élaborés, de rythmer l’action par l’alternance de plans larges/plans moyens/gros plans, impossible d’utiliser des éclairages de cinéma conventionnels. Le seul artifice que s’autorise le cinéaste est l’utilisation de la musique, une bande-son électronique qui déménage, signée Julien Jabre et Michael Tordjman.
Même problème concernant la présentation des personnages, des enjeux narratifs. Le cinéaste n’a pas droit à une voix-off explicative, à des astuces de montages ou à des artifices de dialogues pour nous faire comprendre les motivations des personnages et la situation dans laquelle il se trouvent.
Pas facile, pour les acteurs, de s’imposer dans ces bribes de scènes où ils doivent jouer à la fois une situation de crise, d’urgence, et conserver un côté ordinaire. Pourtant, Mélanie Doutey, Olivier Barthélémy et Francis Renaud parviennent à donner de la consistance à leurs personnages, montrer leurs failles et leur force morale, les rendre à la fois détestables et touchants.
Certains ergoteront peut-être sur leurs premières scènes, affirmant qu’elles ne sonnent pas juste, que les auteurs ou les complices d’un attentat devraient être plus nerveux, plus écrasés par la culpabilité qu’ils ne le sont dans le film. Question de point de vue… Mais de toute façon, on n’a pas vraiment le temps de se poser ce genre de question, car le récit est mené tambour battant. Le suspense est palpable dès les premières scènes, dès que l’étau se resserre sur le couple formé par Mélanie Doutey et Olivier Barthélémy, et monte en intensité de séquence en séquence. On ressort le souffle court de ce qui s’avère être à la fois une enquête passionnante doublée d’une course-poursuite haletante. Le tout dans un climat anxiogène.
Ce n’est qu’au moment du dénouement, quand la tension redescend, que l’on peut commencer à réfléchir, et à ce moment-là, il y a mieux à faire que d’évaluer la crédibilité des personnages et des situations. Aux yeux de tous est en effet un film riche, complexe, de par la multitude de sujets brûlants qu’il aborde. Et c’est surtout un film qui, à sa manière, capte assez admirablement l’air du temps. On y parle du mouvement des anonymous, devenu célèbre récemment pour ses actions contre la fermeture de mega-upload, d’une élection présidentielle où il est question du thème de l’insécurité et du terrorisme, …
Le hasard fait qu’il est quelque peu rattrapé par l’actualité. La tuerie de Toulouse et son auteur se revendiquant du mouvement terroriste Al-Qaïda ont mis les questions de sécurité intérieure et de la diffusion des images d’actes barbares au coeur des débats de l’élection présidentielle. Et ce long-métrage trouve donc, bien malgré lui, une résonnance politique supérieure à celle qu’il souhaitait induire. Mais qu’on ne s’y trompe pas, l’un des buts des auteurs, en plus de réaliser un thriller original et percutant, était bien de se livrer à une charge sociale virulente contre le système actuel. Ils dépeignent la France d’aujourd’hui comme un univers asphyxiant, dans lequel les libertés individuelles sont de plus en plus restreintes, les inégalités n’ont jamais été aussi marquées, conduisant des gens ordinaires aux pires extrémités pour survivre.
Il est question du paradoxe entre l’omniprésence des flux d’information et le manque d’accès à certaines données confidentielles, de la manipulation des images, de l’insécurité et de la réponse à l’insécurité,…
Aux yeux de tous interroge aussi sur la distance que chacun met par rapport à des images, à des informations. Est-ce que l’on peut encore être choqué, indigné, par des scènes violentes ? Est-ce que l’on ne devrait pas prendre le temps de mieux analyser les informations que l’on nous transmet par paquets entiers, par flux imposants? Et surtout, doit-on rester simple spectateur ou au contraire s’impliquer davantage pour tenter de changer les choses, comme le fait le hacker à la fin du film?
Nous, on a choisi de nous impliquer davantage en défendant et promouvant Aux yeux de tous. Déjà parce que nous avons aimé l’originalité de ce thriller made in France, son sens du rythme, la solidité de ses partis pris de mise en scène. Ensuite parce que le film n’est distribué que dans un circuit restreint de salles en France et que – nous sommes peut-être un brin paranos – nous trouvons cela un peu bizarre… On se demande très sérieusement si le film ne paierait pas, en pleine période électorale, la proximité troublante de ses thématiques et de ses situations avec les récents événements survenus dans le sud de la France… Parce que franchement, les salles des cinéma font ce qu’elles veulent, mais quand elles préfèrent offrir des écrans à des comédies dépourvues d’imagination, comme Mince alors!, plutôt qu’à un thriller inventif et bien rythmé, on se pose des questions…
Alors on vous conseille vivement de passer vous aussi à l’action en allant découvrir en salle dès mercredi 4 avril le film de Cédric Jimenez qui, malgré quelques petites maladresses inhérentes au format et au manque d’expérience de ce jeune réalisateur, tient ses promesses et assume totalement ses choix narratifs et thématiques.
________________________________________________________________________________
Aux yeux de tous
Réalisateur : Cédric Jimenez
Avec : Mélanie Doutey, Olivier Barthélémy, Francis Renaud, Feodor Atkine, Arsène Mosca, Alain Zef, Thomas Misrachi
Origine : France
Genre : thriller original et haletant
Durée : 1h25
Date de sortie France : 04/04/2012
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Studio CinéLive (critique contre)
________________________________________________________________________________