Si les films de genre font les belles heures du cinéma hollywoodien depuis sa création ou presque, force est de constater que la recette fonctionne nettement moins bien sur notre sol, sans doute parce qu’on y maîtrise moins les codes d’écriture propres à chaque genre. Difficile dans ces conditions de s’en affranchir…
Après avoir disséqué les règles d’écriture propres au film d’horreur et au film de Noël, je vous propose aujourd’hui d’étudier l’un des genres le plus exploité et décliné à toutes sauces, le thriller.
Après nous être penchés sur les règles d’écriture du film d’horreur, puis du film de Noël, voyons les codes de base du thriller, qui regroupe à lui tout seul un grand nombre de déclinaisons: SF, film policier, film d’horreur… Le thriller est à vrai dire tellement exploité qu’on utilise désormais ce terme de façon excessive, pour peu qu’il y ait un tant soit peu de violence ou de suspense dans l’intrigue du film concerné.
Outre les règles dramaturgiques communes à tous scénarios, voici quelques points stratégiques d’une intrigue de thriller:
1. Bien définir les enjeux pour le/la protagoniste MAIS PLUS ENCORE pour l’antagoniste. Dans ce genre de films, la question n’est pas tant le « qui est le méchant de l’histoire? » que le « pourquoi a t-il commis toutes ces atrocités? ». Il ne suffit pas de décréter que votre antagoniste est un vicieux psychopathe, encore faut-il faire comprendre au spectateur les mécanismes de sa névrose, le pourquoi de ses pulsions. Pour que le public adhère à votre histoire, il faut qu’il soit fasciné par le méchant de l’histoire, que ce dernier ait des motivations auxquelles on puisse s’identifier (vengeance, chagrin d’amour, code d’honneur…) à défaut bien entendu de cautionner ses actes.
Un slasher movie par exemple n’est pas un thriller, le méchant n’y est qu’une machine à tuer à la caractérisation linéaire, l’intérêt du film devient de voir dans quel ordre, et de quelle façon il va assassiner les personnages, qui d’entre eux survivra in fine. Le thriller est à contrario un genre très basé sur la psychologie des personnages, de tous les personnages.
2. L’intrigue, qui repose sur l’enquête du protagoniste, doit être particulièrement bien ficelée. Le thriller repose beaucoup sur le procédé de la préparation/paiement: l’auteur souligne subtilement un élément narratif qui sera expliqué au spectateur un peu plus tard. Ecrire un thriller consiste à faire assembler au protagoniste, et au spectateur, les éléments d’un puzzle complexe, le scénariste n’a droit à aucune incohérence ou zone de flou. Contrairement à beaucoup d’autres genres filmiques, le thriller laisse en revanche assez peu de place à l’ironie dramatique, afin de ne pas gâcher le suspense pour le spectateur.
3. Le rythme de l’intrigue doit être soutenu mais surtout pas linéaire. Le spectateur a besoin d’assister à des crescendos dans l’action, mais aussi qu’on lui accorde des pauses pour souffler émotionnellement, pour digérer et comprendre ce qu’il vient de voir, pour assembler les pièces du puzzle. Ce sont justement ces temps calmes qui créent la surprise, par contraste, une fois que l’action reprend brutalement, ce sont les passages les plus délicats à écrire car calme ne signifie pas plat ou ennuyeux. Ce sont dans ces moments que l’auteur doit placer, mine de rien, des éléments clés que le spectateur n’aurait pas la possibilité de remarquer au beau milieu d’une scène haletante.
4. Le/la protagoniste doit être actif dans chaque scène. Même au cours des fameux temps calmes évoqués précédemment. Rien ne doit le/la détourner de son enquête.
5. Ceci expliquant cela, la quête du protagoniste doit être jalonnée d’obstacles forts. Tout doit lui compliquer la tâche, à commencer par lui-même (obstacles internes). Ses failles, ses obsessions, ses complexes, ses phobies doivent être choisies par le scénariste de façon à devenir des obstacles redoutables face aux évènements de l’intrigue.
6. L’intrigue doit être originale, spectaculaire mais crédible. Évitez la surenchère d’effets de style, de rebondissements abracadabrantesques, d’effets spéciaux complexes. Songez par exemple que Rear Window (Fenêtre sur cour en VF), grand chef d’oeuvre du genre, se déroule in extenso dans un décor unique: l’appartement du protagoniste. On imagine à tort, notamment sur notre sol, que thriller rime avec budget pharaonique mais ce n’est pas une règle absolue, loin s’en faut. Débarrassez-vous sans états d’âme de tous les éléments superflus que ce soit d’un point de vue visuel ou narratif.
7. L’intrigue doit véhiculer un sentiment d’urgence. C’est la fameuse « ticking time bomb » chère à Alfred Hitchcock. Le protagoniste ne lutte pas seulement contre l’antagoniste, il se bat contre le temps qui passe et qui joue contre la réussite de son objectif. On n’a pas inventé meilleur stratagème à ce jour pour intensifier le suspense d’une histoire…
8. Trop de complexité tue l’intrigue. Certains auteurs ont tendance à distiller beaucoup trop de détails, d’éléments narratifs, au point de rendre leur intrigue incompréhensible et frustrante pour le spectateur. N’oubliez pas cette règle d’or du scénariste: ce qui vous semble limpide ne le sera pas forcément pour le spectateur. S’il ne comprend pas tout, ça ne fait pas de lui un imbécile, ça veut juste dire que vous avez mal fait votre boulot. Une fois encore, n’hésitez pas à enlever certains détails si vous n’êtes pas en mesure de pleinement les exploiter. Lorsque s’affiche le mot « fin » sur l’écran, le public doit avoir tout saisi de l’intrigue et du parcours psychologique des personnages.
9. Le protagoniste doit être en danger tout au long de l’intrigue, même s’il ne s’en rend pas forcément compte immédiatement. La quête dans laquelle il se lance doit mettre en péril sa survie physique et son équilibre émotionnel ou mental. Plus il a de choses et d’êtres chers à perdre en cours de route, plus le spectateur se sentira impliqué dans sa quête. Je ne suis pas en train de vous conseiller d’accumuler les risques de façon artificielle, je cherche juste à vous faire comprendre que risquer de se faire licencier, ou de se retrouver à la rue, ne sont pas des enjeux assez forts pour un thriller.
10. Même s’il triomphe de l’antagoniste, le protagoniste doit sortir « abîmé » de cet affrontement. Le thriller s’accorde mal aux happy ends, qu’on se le dise. Même si votre protagoniste parvient à vaincre le méchant de l’histoire, son succès doit garder un goût amer, tant il a souffert physiquement et/ou moralement au cours de sa quête, tant il a perdu d’êtres chers, ou d’éléments sécurisants de « sa vie d’avant ».
Je vous conseille vivement, comme pour n’importe quel genre, de réviser vos classiques, de faire des recherches, de nourrir votre inspiration, vous éviterez ainsi d’accumuler les clichés dans votre futur scénario.
Voici enfin quelques ressources si vous souhaitez approfondir l’étude de ce genre:
- 15 Tips for Writing a Murder Mystery: de judicieux conseils qui concernent l’écriture romanesque mais s’appliquent tout aussi bien au scénario
- Alfred Hitchcock: On Creating Suspense: un très bon article du blog Diary of a screenwriter qui reprend en partie une interview accordée par le grand maître du thriller à Peter Bogdanovich. Hitchcock y analyse le brillant scénario de Psycho.
- un inventaire par Wikipédia de films apparentés au genre thriller, décade par décade
- quelques conseils du screenwriting guru John Truby:
Quel est votre thriller favori amis lecteurs?
Copyright©Nathalie Lenoir 2012