Rien ne nous en apprend plus sur un auteur que d’examiner le lieu où il travaille. Si quelques scénaristes se vantent de pouvoir écrire n’importe où, la plupart d’entre eux ont besoin de se réfugier dans un lieu dédié. C’est dans ce sanctuaire qu’ils passent de longues heures solitaires à créer leurs histoires, coupés du reste du monde. Je vous propose de découvrir, à travers cette nouvelle rubrique, les bureaux de quelques scénaristes français(e), mais aussi leurs méthodes, leurs routines d’écriture…
Pour cette nouvelle édition, c’est mon confrère Christian Rauth qui nous ouvre la porte de son bureau…
Artiste aux multiples facettes, Christian Rauth mène deux carrières en parallèle. Il s’est illustré, en tant que comédien et metteur en scène, au théâtre, puis au cinéma, notamment devant les caméras de Bernard Giraudeau, Sam Karmann ou Gilles Béhat, mais aussi dans de nombreuses séries TV qui l’on rendu très populaire, comme Navarro ou Père et Maire qu’il a co-créée avec son regretté comparse Daniel Rialet.
Christian Rauth est également romancier et scénariste. Il a prêté sa plume à de nombreux épisodes de séries télévisées, notamment Père et Maire, il a co-signé le rejouissant Ominibus de Sam Karmann pour le grand écran. Il a signé trois romans, dont l’excellent Fin de série que je vous avais présenté dans ces colonnes l’été dernier.
Depuis combien de temps travaillez-vous comme scénariste ?
J’ai écrit mon premier scénario en 1988 et il a été tourné deux mois plus tard… Pour un premier essai, j’étais content. Mais j’écrivais déjà pour le théâtre.
Travaillez-vous dans un coin de votre habitation ou dans une pièce dédiée ?
Je travaille dans mon bureau, qui est aussi un salon. Je déménage bientôt. Les choses seront sans doute différentes dans quelques mois.
Pouvez-vous décrire ce bureau?
Table de ferme servant de bureau, avec fauteuil à dossier confortable (important pour le dos), un canapé pour glander, un fauteuil pour lire, une bibliothèque avec dictionnaires multiples, nombreux éclairages indirects, tableaux de mes amis peintres et tapis tunisiens du Haut Atlas.
Avez-vous choisi un espace neutre ou êtes-vous contraire entouré d’objets et souvenirs ?
Impossible d’écrire sans être entouré de mes fantômes. Je suis entouré de claps, de photos… et pour en dire davantage : deux très beaux clichés de mon ami Daniel Rialet avec qui j’ai joué les Monos, Père et Maire et Omnibus le court métrage réalisé par Sam Karmann et aussi des photos de duo qui m’ont marqué.
Mes outils
Ma vieille Underwood en état de marche
Êtes-vous capable de travailler hors de cette « tanière » ?
J’ai passé ma vie à écrire sur les plateaux (pour adapter mes scripts aux conditions de tournage ou à la demande des acteurs) dans les hôtels ou chez des amis. Mais mon bureau reste le lieu de travail idéal.
Travaillez-vous parfois dans des lieux publics ?
Il m’arrive d’écrire dans le train, durant les longs trajets.
Êtes-vous satisfait de votre bureau et/ou l’organisation de vos journées de travail. Si la réponse est non, qu’aimeriez-vous pouvoir changer?
J’aimerais un bureau plus grand, comme la bibliothèque Médicis par exemple. Donc, je me contente du mien, en attendant.
Préférez-vous travailler seul ou avec un coauteur ?
Je préfère travailler seul. Mais cela ne veut pas dire que je suis incapable de partager un projet avec un scénariste, un réalisateur, un producteur. Daniel Rialet n’écrivait pas, mais nous faisions de nombreuses réunions pour relire et corriger mon travail. En ce moment, je travaille sur mon prochain roman. Exercice solitaire et ça me va très bien compte tenu du contexte télévisuel actuel dégradé.
« Fin de série » à la librairie La griffe noire de Montreuil
Êtes-vous plutôt Mac ou PC ?
Mac, depuis le Mac Classic à disquettes ! Pas par snobisme, mais le maniement du Mac est intuitif et il n’y a ni virus ni plantages. Attention, petit détail : je tape avec les dix doigts et sans regarder mon clavier… J’ai appris à 18 ans à taper à la machine, ma mère était sténo dactylo.
Utilisez-vous un logiciel d’écriture ? Si oui lequel ?
J’ai été un des premiers utilisateurs de Finaldraft, alors qu’à l’époque les auteurs rechignaient à s’en servir. Aujourd’hui la version 6 française est obsolète (paraît-il) et je devrais donc utiliser une version anglaise plus récente. Comme je ne parle pas anglais… c’est fichu pour moi. J’utilise également (depuis peu, merci Elie…) Mindnote Pro qui permet des arborescences reliant des Post-It.
Travaillez-vous à horaires fixes ?
Le matin très tôt pour « inventer ». Et l’après-midi pour « peaufiner, corriger ». Jamais le soir, en tout cas.
Combien de temps de travail en moyenne par jour ?
Dans les bons jours : trois heures intensives… et deux ou trois petites heures en divagations diverses ou corrections intenses (je suis perfectionniste). Mais je peux aussi travailler neuf ou dix heures si nécessaire, sept jours sur sept.
Jusqu’à combien de pages utiles pouvez-vous écrire par jour?
Pas de règle. Parfois quatre, parfois dix même quand je sais que je mettrai mon boulot à la poubelle. Débarrassons-nous des mauvaises scènes en les écrivant! Mais sans les donner. C’est toujours ça qui ne sera pas sur l’écran!
Avez-vous besoin de faire des pauses à heure fixe ?
Non… pas vraiment.
Travaillez-vous dans le silence total ? En musique ?
Souvent en musique. Mais cool… la musique ! Chet Becker, Stan Guetz, Bill Evans… ou classique genre Eric Satie. Parfois des musiques de film. Les Caprices d’un Fleuve de Bernard Giraudeau, une musique inspirante et inspirée de René Marc Bini.
Avez-vous un ou des compagnons d’écriture à quatre pattes ?
Non… mais j’envisage d’adopter un compagnon à trois pattes. Un petit chat à trois pattes, estropié de la vie, comme moi… On devrait bien s’entendre.
Vous coupez-vous du reste du monde ou restez-vous connecté à votre entourage (mail, téléphone, Twitter, Facebook…) ?
Me levant très tôt je suis, de fait, coupé du monde. Je commence à écrire à 6 heures du matin… À cette heure j’ai peu de potes encore réveillés. Je lis mes mails avant, au petit déjeuner et un peu Facebook en finissant mon café. Mais je vais de moins en moins sur les réseaux sociaux, ça commence à me prendre la tête.
Avez-vous des rituels d’écriture ?
Oui. Mon bureau doit être vide de tout document autre que ceux concernant mon travail… Je suis un peu maniaque de ce côté-là.
Utilisez-vous une méthode particulière (tableau, fiches, cahier…) ?
Je prends des notes sur un petit carnet, mais pas tout le temps. Je fais des plans sur des A4. Enfin quand je dis plans, ça ressemble plutôt à des fiches des R.G. Tous mes personnages sont fichés. Je veux savoir qui couche avec qui, qui fréquente qui et pourquoi. Je veux connaître tout d’eux.
Comment trouvez-vous l’inspiration ? Musique, photos, films ?
Je n’aime pas ce mot d’inspiration… Je n’ai que des désirs, des envies, des sentiments, des émotions, des souvenirs qui viennent servir mon sujet. Je cherche le vrai dans le faux. Très souvent hélas, les scripts que je lis (ou vois), flottent au-dessus de la réalité… comme des rumeurs sans fondement, des cartes sans pays, des histoires sans origine. Je me bats contre ça.
Avez-vous besoin de « carburants » (thé, café, tabac, nourriture…) ?
Aucun carburant. Enfin si… les encouragements de ceux qui travaillent avec moi. Parce qu’après… inutile d’espérer.
À quel moment et dans quel lieu pratiquez-vous le mieux le brainstorming ?
Je préfère le mot réflexion. Et on peut réfléchir partout avec des gens intelligents et nulle part avec d’autres. J’aime beaucoup cette phrase de Sacha Guitry qui disait : « j’ai échangé quelques idées avec Untel et depuis, je me sens tout vide ». Si vous saviez le nombre de fois où je suis sorti vidé d’un bureau de « brainstorming » quand j’écrivais mes séries. Il y a quelques beaux escrocs dans notre profession. Il faut le dire.
Prenez-vous beaucoup de notes ? Comment les organisez-vous (carnet, notes volantes, logiciel…) ?
Comme je le disais ci-dessus, je prends des notes et j’utilise le logiciel « Mindnote Pro » qui m’épargne de couvrir mon mur de Post-It. (Ce qui fait « très scénariste » mais une déco assez médiocre). J’y écris la vie de mes personnages avant de les faire entrer dans l’histoire que je vais raconter.
Êtes-vous sujet à la procrastination ?
Comme tout le monde, non ? En ce qui me concerne, c’est une procrastination sélective. Par exemple, quand je me mets à écrire, je laisse tomber tout le reste (amis, factures à régler, courriers, sorties, etc.) C’est la raison pour laquelle on peut penser que je suis un ours. Mes enfants ont pas mal souffert du syndrome : « papa est dans son bureau… » Aujourd’hui ils ont compris qu’on doit bosser «la tête dans le guidon» si on veut faire du bon boulot. Je déteste les dilettantes. À ce propos et à contrario, je n’arrive pas à comprendre comment font les scénaristes qui ont trois ou quatre sujets sur le feu. Ça me paraît impossible de sortir quatre bons scripts en même temps.
Avez-vous déjà été frappé par le writer’s block ? Si oui, quelle est votre recette pour en sortir ?
Comme dit Yves Lavandier, il n’y a qu’une seule solution : le lâcher-prise. Maintenant il y a des fois où il vaut mieux abandonner un projet quand rien de bon ne vient. Mais ça… je n’en connais pas beaucoup capables de lâcher prise. Il faut une certaine lucidité et une certaine humilité pour oser avouer qu’on n’est pas capable.
Quand vous prenez des vacances, vous coupez-vous totalement de votre travail ?
Je ne prends jamais de vraies vacances. Quelques trois quatre jours de temps en temps et j’emporte toujours de quoi écrire et lire. Mais par contre, je suis capable de passer des heures à regarder les autres. Je suis un contemplatif. Presque un voyeur. Un voleur de vies.
Qu’aimez-vous faire quand vous ne travaillez pas?
Lire, faire de bons petits dîners pour mes amis et passer des heures à discuter du bien-fondé d’un mot, d’une expression ou de la qualité d’un néologisme. J’aime aller au théâtre aussi. Il me manque. Je pense en refaire bientôt.
Avez-vous un ouvrage culte traitant de l’écriture ?
Les Rillettes de Proust et autres fantaisies littéraires de Thierry Maugenest, publié chez JBZ & cie. Un petit bijou d’humour et d’intelligence. Et naturellement La Dramaturgie d’Yves Lavandier. Incontournable pour qui veut vraiment bosser un script et ne pas rester dans les clichés habituels.
Qui est votre scénariste fétiche ?
Un seul ? Dur dur ! Henri Jeanson, le dialoguiste. Même s’il en a cosigné les scénarios, que seraient sans ses dialogues Hôtel du Nord, Entrée des Artistes ou La Fête à Henriette? Un pur génie.
Quelle est votre actu ?
Un scénario réécrit pour mon camarade Bernard Lecoq, tourné par Denis Mallevale et produit par Joël Santoni.
Un troisième roman en cours d’écriture et stoppé par mon déménagement et un projet lointain d’adaptation de mon dernier roman Fin de série.
Et puis mon actualité c’est aussi des rêves. Faire un film avec ma fille par exemple…On va l’écrire. On va l’écrire.
N.B. Légende des photos au mur:
- Une photo dédicacée (au dos) par Laurel et Hardy lors de leur tournage à Marseille… Une photo de plateau originale (en couleur!) d’Un Singe en Hiver…
- Une photo de Bernard Giraudeau et de moi dans Rue Barbare
- Une photo de Daniel Rialet et moi faite par Bernard Fau sur le tournage de Navarro, mais hors plateau pour déconner.
Rendez-vous dans quinze jours pour visiter un nouveau bureau de scénariste…
Copyright©Nathalie Lenoir 2012