“Margin call” de J.C. Chandor

Lors de sa projection pendant le dernier Festival du film policier de Beaune, en mars dernier, Margin call a suscité le débat, et plus encore après avoir remporté le Grand Prix du jury présidé par Jean-Loup Dabadie. Beaucoup de festivaliers considéraient que le long-métrage de J.C. Chandor n’appartenait pas au genre policier et n’avait donc pas sa place dans cette sélection. 

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Sur le fond, le film n’a effectivement rien d’un polar. On n’y trouve ni flic, ni détectives, ni truands. Et ne vous attendez pas à des règlements de comptes sanglants, de fusillades ou autres réjouissances du même type puisque le film a presque entièrement lieu dans les bureaux d’un gratte-ciel newyorkais. L’intrigue tourne autour des éléments qui ont conduit à l’écroulement d’une partie du système financier américain à l’automne 2008.
Est-ce plutôt un thriller, alors? Pas vraiment non plus. Il n’y a aucun suspense. La fin est déjà connue. On sait très bien que ces évènements vont induire la crise économique dont nous subissons les effets dévastateurs –et pour un bon bout de temps encore… On sait aussi que la société financière qui est au coeur du récit va devoir sacrifier certains cadres, certaines activités, pour survivre et continuer à gagner de l’argent sur le dos des petits
A la limite, il s’agirait plus d’un film noir. Une mécanique implacable conduisant des êtres “ordinaires” à affronter des enjeux qui les dépassent, à se retrouver dans des situations où l’humain se révèle à la fois dans ce qu’il a de plus noble et de plus méprisable.

Sur la forme, l’appartenance du film au genre policier n’est guère plus évidente. Bien sûr, le cinéaste installe une certaine tension, palpable tout au long du récit, mais ce n’est pas un véritable thriller non plus. Pas de suspense haletant, pas de frissons d’angoisse, pas courses-poursuites échevelées…
L’appellation “polar” est donc un brin usurpée, à moins que l’on considère qu’il y a bien un crime dans Margin Call, et que le cadavre encore chaud est celui du système capitalisme que les Etats-Unis l’ont érigé en modèle économique dominant… Ou qu’il s’agisse d‘une histoire d’arnaqueurs dont les pigeons, en définitive, seraient les citoyens ordinaires, en Amérique, en Europe, et dans toutes les régions du globe frappées de plein fouet par la crise.

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Oui, Margin Call porte un regard critique incisif sur les hommes et les femmes qui font la pluie et le beau temps au niveau de l’économie mondiale.
J.C. Chandor dépeint un microcosme complètement coupé des réalités sociales et guidé uniquement par le profit et la rentabilité, au mépris total des conséquences humaines de cette politique. Il nous entraîne dans les arcanes d’une grande banque d’investissements juste avant que n’éclate  la grande crise des subprimes qui a provoqué la faillite de la banque Lehman Brothers et a fait vaciller la quasi-totalité des établissements bancaires de la planète, avant de plonger l’économie mondiale dans une profonde récession. 

Tout commence avec un plan social. La banque d’investissements veut restructurer son personnel pour faire plus de profits. Eric Dale (Stanley Tucci), un analyste financier expérimenté, est viré sans ménagement après des années de bons et loyaux services. On lui laisse à peine le temps de réunir ses affaires et de dire au revoir à ses collègues avant de l’accompagner vers la sortie. Et surtout, on ne le laisse pas terminer son analyse en cours, laissant entrevoir l’imminence du fiasco.
Mais le bonhomme, malgré les conditions détestables de son départ, a suffisamment de conscience professionnelle pour alerter un de ses jeunes assistants, Peter Sullivan (Zachary Quinto) et lui conseiller de suivre le dossier.  
Le jeune homme continue les calculs, affine les chiffres et constate avec effarement que les prévisions sont encore plus alarmantes que ce que Dale avait prédit. Toute une partie de l’activité de son entreprise repose sur des actifs “toxiques” – les fameuses subprimes. Si la banque ne réagit pas dans les 24 heures, elle risque la faillite pure et dure.
Il alerte son supérieur hiérarchique, Will Emerson (Paul Bettany) qui alerte lui-même le chef de département Sam Rogers (Kevin Spacey), qui alerte lui-même le patron de l’entreprise John Tuld (Jeremy Irons)…

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Ce qui fait froid dans le dos, c’est que plus on monte dans la hiérarchie, moins les individus sont compétents. Il ne comprennent rien au jargon de leurs analystes, ni à leurs calculs de prévisions alarmistes. La seule chose qu’ils arrivent à cerner correctement, c’est la courbe des profits. Si elle augmente, tout va bien, si elle baisse, c’est la panique… Pour compenser ces lacunes techniques, les dirigeants montrent leurs capacités à prendre des décisions de crise et font surtout preuve d’un instinct de survie quasi animal. On ne parle pas pour rien de la “jungle” de Wall Street, tout comme on ne compare pas fortuitement les traders à des “requins” de la finance. L’enjeu est clair : rester au sommet de cette chaîne alimentaire. Etre le prédateur plutôt que la proie, manger plutôt que se faire manger. Pour cela, il faut se débarrasser rapidement des actifs toxiques, quitte à les brader, les refourguer à d’autres qui devront ensuite se débrouiller avec ces cadeaux empoisonnés. Et tant pis si cela  mène à la ruine leurs partenaires, leurs clients, leurs concurrents et tout le reste de la population ayant des économies placées en bourse… Les dirigeants s’en soucient comme d’une guigne. Leur but est d’abord de survivre à la crise, de ne pas perdre trop d’argent, voire même d’en gagner au passage, en profitant du malheur des autres.

Et, comble du cynisme, le big boss va demander à toute une partie de ses employés de se saborder eux-mêmes, de participer activement à la survie de l’entreprise tout en condamnant leur propre service. Pour éviter la faillite, la banque doit vendre rapidement tous ses actifs défaillants. Les employés qui s’occupaient spécifiquement de ces dossiers sont donc mobilisés pour essayer de tout refourguer en un temps record. Mais en faisant cela, ils savent qu’ils se débarrassent de leur unique activité, de leur source de revenus, et donc se mettent eux-mêmes au chômage… 
Entre ne pas participer à cette opération, voir la banque faire faillite et fermer, se retrouver au chômage sans indemnités, et vendre un maximum d’actifs toxiques, voir la banque survivre mais son service fermer, se retrouver au chômage  mais en empochant au passage une prime exceptionnelle de un million de dollars, le choix est vite fait.  Ils optent pour la seconde option. Evidemment, ce faisant, ils trahissent la confiance de leurs clients et les mettent en grande difficulté. Mais c’est humain : les employés pensent avant tout à leur avenir et se préservent avant de penser à ce qui va bien pouvoir arriver aux autres. Le cinéaste pointe là les dérives d’un système capitaliste qui ne repose plus sur la réussite individuelle mais sur le besoin de gagner toujours plus, de dominer la concurrence, l’écraser pour régner sans partage sur un secteur économique donné.

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Pour un premier long-métrage, il faut reconnaître que c’est audacieux. En effet, le cinéma américain s’attaque rarement aux fondements de l’économie du pays, même si, ces dernières années, crise oblige, certains films ont ouvert la brèche (Company men, entre autres).
J.C. Chandor, lui, n’a pas peur d’appuyer là où ça fait mal. Il met à nu le cynisme et l’amoralité des dirigeants des grandes banques d’investissement, dénonce un marché boursier semblable à un château de cartes sur le point de s’écrouler, montre à quel point les employés sont des pions dans un jeu qui les dépasse.
Mais il le fait intelligemment : Son scénario, malin – fort justement nommé à l’Oscar du meilleur scénario cette année – , évite le piège de la caricature grossière. Même si Jeremy Irons force parfois le trait, en patron sans scrupules, on est loin du numéro de cabot de Michael Douglas dans Wall Street : l’argent ne dort jamais.
Et surtout, le cinéaste s’attache à montrer le côté humain de chaque personnage. Les cadres de l’entreprise participent à la grave décision qui va plonger l’ensemble de la planète dans la crise, malgré leurs doutes et leurs réticences. Ils se retrouvent victimes de leurs jeux de pouvoir et prisonniers de la règle d’or : “dévorer les autres ou être soi-même dévoré”. Ils doivent se comporter comme des dieux, surplombant leurs sujets du haut de leur cages de verre, alors qu’ils sont, au fond, des gens ordinaires. Ils ont leurs faiblesses, leurs problèmes personnels, leurs détresses intimes. Il aurait été facile d’en faire des salauds. Le cinéaste, lui, les rend émouvants, presque attachants même, malgré leur complicité à cette escroquerie “légale”…

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Alors, Margin call est-il un film policier? Non, pas vraiment, et il est assez aberrant de lui avoir attribué le grand prix d’un festival dédié à ce genre de film. Mais tout cela est finalement assez anecdotique. Ce qui compte, c’est que ce premier long-métrage est une belle réussite, portée par des acteurs magnifiques et un jeune auteur/cinéaste prometteur…
… qui devra désormais veiller à ne pas se laisser piéger par le système hollywoodien et ses financiers.
 

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Margin call

Réalisateur : J.C. Chandor
Avec : Kevin Spacey, Jeremy Irons, Paul Bettany, Demi Moore, Simon Baker, Stanley Tucci, Zachary Quinto,Mary McDonnell
Origine : Etats-Unis
Genre : ma petite entreprise ne connaît pas la crise 
Durée : 1h47

Date de sortie France : 02/05/2012
Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Critikat

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