A l’approche du Festival de Cannes, il est bien normal de revenir sur l’un des films qui a marqué la croisette par sa vision unique du cinéma et sa mise en scène evanescante à juste titre récompensée. Place donc au sublime Mulholland Drive de David Lynch.
La mythique et mystique route montagneuse et sinueuse offrant une parfaite vue sur les studios d’Hollywood a toujours fasciné David Lynch. L’atmosphère envoûtante qui éveille les sens à la nuit tombée lui a donné l’idée d’une nouvelle série télévisée naviguant sur les traces de Twin Peaks, entre fantastique et film noir. Hélas, après de nombreux remontages, le réalisateur n’arrive pas à convaincre le studio de diffuser le pilote et de continuer l’aventure. C’est alors qu’il est approché par le producteur Alain Sarde et Studio Canal pour finaliser son projet avec une totale liberté. Lynch repart alors en tournage pour compléter le pilote d’une heure trente réalisé précédemment en portant le film à une durée de 2h20 pour un budget raisonnable de 15 millions de dollars au total.
Mais que raconte ce mystérieux Mulholland Drive ? Comme dans chaque film de David Lynch, la question amène une réponse multiple devant la complexité de l’histoire, construite en dehors des normes et jouant intelligemment avec la conscience du spectateur. Ici, après un accident de la route sur Mulholland Drive, une femme, amnésique, trouve refuge dans une maison habitée par une actrice qui vient de débarquer à Hollywood, pleine de rêves. Les deux femmes vont alors devenir complices, amantes, et s’entraider pour que celle qui se fait appeler Rita retrouve la mémoire et que Betty puisse trouver le rôle de sa vie … jusqu’à l’apparition d’une étrange boîte bleue.
Comme souvent avec Lynch, il faudra plusieurs visionnages du film pour en saisir tout le sens, mais si il y a bien une chose qui frappe dès le départ, c’est la beauté de sa mise en scène. Porté par la sublime musique aérienne de Angelo Badalamenti et des mouvements de caméra comme en lévitation, le réalisateur fait de son film un rêve rempli de mystère et de sensualité sur les coulisses d’Hollywood où l’amour se révèle cruel. Mais finalement, les 1h50 d’enquête sur le passé de Rita se révèlent assez limpides, entre film noir et la romance pure, jusqu’à cette scène du théâtre qui amène un grand changement, nous montrant clairement que ce que nous voyons n’est qu’illusion. Alors seulement le voile de la réalité se lève, entre rêves et souvenirs d’un amour perdu.
En donnant l’impression de changer d’histoire d’un seul coup, David Lynch bouleverse les principes narratifs nous dévoilant que ce que nous avions vu avant n’était que le rêve d’une actrice à la dérive qui a perdu son amour et choisi de le faire assassiner. Bien entendu, tous les indices étaient déjà présents dans le rêve mais il se révèlent pleinement à la seconde vision, faisant de Mulholland Drive une oeuvre à l’atmosphère envoûtante et à l’histoire fascinante sujette à de multiples interprétations.
Alors qu’il avait livré son interprétation de la face cachée des banlieues américaines dans Blue Velvet, à travers Mulholland Drive il plonge dans les abîmes du système hollywoodien (assez proche de l’image que l’on pouvait d’ailleurs s’en faire dans les années 50-60), dans les rêves de gloire des actrices et dans les mirages qui y règnent. Pour David Lynch, tout est affaire d’apparences trompeuses, que ce soit pour faire rêver les spectateur ou pour faire travailler ses talents Ce Mulholland Drive nous montre bien que ces amours, rêves et souvenirs ne sont qu’illusions perdues dans un milieu maudit.
Le réalisateur présentera son film au Festival de Cannes en 2001 et se verra alors salué pour la révélation de Naomi Watts, sublime et intense, amis surtout pour la beauté de sa mise en scène. Un prix largement mérité et qui sera conforté en France par le César du meilleur film étranger. Il entretien en même temps l’image d’un réalisateur à part, mystérieux et légèrement dérangé mais offrant une vision unique du cinéma qui nous entraîne toujours plus dans ses rêves et cauchemars dont il est difficile de saisir toute la portée sans y prêter le temps de la réflexion. Mulholland Drive reste ainsi un film au pouvoir d’attraction immense et avec lequel on a du mal à revenir à la réalité après 2h20 de songes étranges et fascinants.