Comment devient-on scénariste en France? C’est sans conteste la première question que se posent les aspirants auteurs mais il existe autant de réponses que de parcours individuels. Bien des chemins, plus ou moins chaotiques, mènent au scénario sur notre sol et si la naissance du CEEA, du département écriture de la Fémis et de plusieurs cursus universitaires modifient progressivement la donne, les quelques cinq cent scénaristes professionnels actuellement en activité viennent d’horizon divers.
Je vous propose donc de laisser la parole à quelques un(e)s de mes consoeurs et confrères afin qu’ils nous racontent comment ils ont débuté leur carrière. Quatrième édition de cette série de témoignages en compagnie de mon confrère Elie-G. Abécéra.
Après avoir découvert les parcours de Robin Barataud, Yann Le Gal et Loic Belland, je vous propose de laisser la parole à un autre de mes confrères.
Scénariste et producteur, membre de la Guilde Française des Scénaristes, Elie-G Abécéra, qui nous a déjà ouvert les portes de son bureau, a officié en tant que formateur lors de stages pour le Cifap, dans le cadre d’échange interculturels francophones en Haïti, ou pour l’association Séquences 7. Il a créé l’Atelier du Scénario, afin de proposer aux jeunes auteurs deux types de coachings d’écriture.
Imaginiez-vous, adolescent ou jeune adulte, que l’écriture puisse devenir un métier ?
Oui, mais pas du tout sous cette forme. Enfant, j’avais des notions plus « romantiques » de l’écriture : roman, justement, ou même bande dessinée. J’imaginais bien aussi participer à des films, mais pour moi, ce n’était pas de l’écriture. C’était “du” film. La première fois que je me suis coltiné l’écriture d’un scénario, je devais avoir 11 ou 12 ans. Mon premier court métrage. Que j’ai tourné avec des petits camarades, dans un lieu génial, au milieu d’une forêt, où étaient les ruines d’une vieille usine désaffectée. Genre temple Maya en pleine jungle, sauf que c’était à Melan.
J’avais confié à mon papa le rôle du cadreur, on tournait avec sa petite caméra 8mm, sans son. Ce n’est pas de sa faute seule, mais de la nôtre à tous les deux : on s’est emmêlé les pinceaux et on a tourné deux fois sur les mêmes pellicules. Alors, évidemment, au développement, déception ultime : toutes les prises étaient en surimpression, il n’y avait rien à sauver… Bon. Vu l’énorme énergie que nous avions tous dépensée dans ce tournage – déjà -, on n’a finalement jamais recommencé. Reste que je garderais toute ma vie la terrible sensation que font des intestins lorsqu’ils se réduisent à la portion congrue. C’était au moment où je découvrais les fameux rushes dédoublés…
Le métier de scénariste était-il votre premier choix de carrière ?
Non. J’ai fait comédien, d’abord, comme choix. Or, c’était dans les années ‘80, Anconina sortait tout juste, et les mecs un peu typés, il n’y en avait pas beaucoup dans les films. On me proposait en général des rôles de l’espagnol du coin, du Juif du coin, de l’arabe du coin, de l’italien du coin, de l’immigré du coin, et je devais prendre des accents. Bref, le rôle du gars qui est paumé à Paris, à Bordeaux, au Mans. Trois lignes à chaque fois. Pas passionnant. Par contre, au théâtre, j’ai eu des super rôles, mais voilà, pas d’argent.
Donc, du coup, le jour où on est venu me trouver pour me dire que je pourrais gagner des sous avec les scénarios, j’ai dit “pourquoi pas”. Je venais d’écrire ma deuxième pièce de théâtre, que j’ai monté au feu théâtre de l’Espace Gaîté et j’enquillais un roman – que je n’ai jamais fini, faute d’un minimum de technique. Alors je me suis dit : pourquoi pas, au fond, continuer à faire en étant payé, ce que je fais d’ordinaire gratuitement.
Comme vous le voyez, j’ai commencé à écrire des scénarios pour de très mauvaises raisons. Ce qui ne m’a pas empêché de m’accrocher, un peu à l’aveugle…
Avez-vous étudié la dramaturgie et par quel biais ?
J’ai ramé, suite à ce premier contrat, j’ai rencontré des gens sympas, d’autres pas recommandables, j’ai fait des procès parce qu’on me prenait pour un con. Et puis un jour, je vais à un stage de scénario à l’hôtel Lutétia, à Paris, animé par Franck Daniels. Trois jours sur la technique, le coup des trois actes, tout ça, j’ai dit bof, j’ai pensé j’écris des scénarios depuis deux ans, Coco, j’ai rien besoin d’apprendre, tout ça.
Ma belle arrogance en a pris un coup : ce mec m’a JUSTE ouvert les portes d’un monde magique que je n’avais pas du tout effleuré, même du bout des doigts. Soudain, je comprenais qu’il y avait des clefs, une grammaire scénaristique, un solfège de la narration, et qu’avec ce savoir – et un peu de talent quand même -, tout était possible !
Franck Daniel avait commencé son cours magistral avec l’histoire du petit apprenti en alchimie. J’aime bien raconter cette histoire parce qu’elle est parlante. Alors voilà, c’est l’histoire d’un vieux maître alchimiste qui dit à son apprenti :
- Mon gamin, aujourd’hui, quatrième leçon, je vais t’apprendre à fabriquer une pierre philosophale.
L’apprenti manque de s’écrouler :
- La pierre philosophale ? Le truc qui transforme tout en or? Comme ça, au quatrième cours?
Le vieux maître dit oui, lui donne la recette, fait le mélange dans l’immense chaudron, dit qu’il faut touiller pendant huit heures et c’est tout.
- Oui, c’est tout, mon gamin. Par contre, la seule chose qu’il ne faut pas faire, jamais, pendant ces huit heures, c’est : penser à une marmotte.
Et voilà pourquoi l’apprenti alchimiste n’a réussi à faire sa première pierre philosophale que dix ans après sa quatrième leçon.
Et c’est pour ça aussi que je suis devenu accro à la technique. J’ai bien compris le coup de la marmotte, j’ai très très vite bouffé des bouquins, des séminaires, et j’en ai bouffé plein parce que je voulais tout digérer le plus vite possible.
J’ai quand même mis dix ans à considérer que je connaissais mon métier. Et encore, il y a beaucoup d’incertitudes et de choses à apprendre… C’est sans fin. Même après vingt-cinq ans de trajet. Et heureusement.
Avez-vous lu des ouvrages traitant de la dramaturgie ?
Donc, oui, a lot. Mes préférés restent La Dramaturgie d’Yves Lavandier, parce que c’est un ouvrage généraliste qui ouvre un paquet de portes et qui se lit presque comme un roman. Et puis, il rafraîchit les méninges. Et mon second préféré, mais qui n’est pas à destination des tout débutants, c’est L’anatomie du Scénario de Truby, parce qu’il va vraiment en profondeur. Attention : aucun des livres sur le scénario n’est une recette à suivre à la lettre. Qu’on soit bien clair : le film, lui, il vient de vous.
Et puis sinon, mes cours de théâtre m’ont aussi beaucoup aidé (j’ai fait 3 ans de Cours Simon). Interpréter un personnage de l’intérieur, c’est ce qu’on fait lorsqu’on écrit. Jouer, c’est aussi savoir ce qui peut passer dans une bouche d’être humain – et aussi ce qui est juste beau sur papier mais pas en le parlant…
Et puis, ce qui m’a aidé aussi, c’est – ne riez pas – mes six ans d’analyse. Je ne dis pas qu’on devrait tous faire une analyse, je ne prêche jamais pour ce genre de truc ultra-personnel, mais je dis qu’il est urgent de s’intéresser à la psychanalyse et à la psychologie lorsqu’on écrit. Tant de scripts “chantent faux” à cause de ça, parce que les auteurs n’ont pas senti la logique du cheminement interne du personnage, ou au contraire, le forcent à aller là où ils veulent, eux, aux dépens de la justesse…
Je ne l’ai pas lu, mais il existe un bouquin dont on dit le plus grand bien, Psychologie des Personnages, manuel pratique, qui traite de scénario et de psychanalyse. Il décrit par le menu les différentes grandes strates de la psychologie humaine : le pervers narcissique, le messianique, l’hystérique, etc…
Votre entourage a-t-il soutenu dans ce choix ?
Oui. Essentiellement parce qu’ils ne comprenaient pas très bien ce que c’est. “Attends, attends, c’est toi qui écrit les mots ? Même les déplacements, les décors et tout ? C’est pas le réalisateur ?”
Et non : parce que, globalement, a moins d’être chanceux, extrêmement doué tout de suite ou “fils de”, on galère quand même pas mal… Donc, on a aussi pu me soutenir, tout en me disant que bon, “t’as vu la petite annonce, là, ils cherchent un mec doué avec les ordinateurs”…
J’ai crié jusqu’à assez tard dans ma vie cette phrase finalement très adolescente : “Mais heu ! J’ai un métier, okai ? Lis mes lèvres : un MÉ-TIER !”
Vous allez voir, les padawans. Vous allez penser à moi souvent, à cause de cette phrase.
Quel a été votre tout premier engagement ?
Mon premier engagement sérieux a été une série jeunesse qui a fait long feu et qui s’appelait Seconde B, pour France 2 – je ne sais même pas si ça s’appelait pas encore “Antenne 2”, argh. Pensée spéciale à Louis-Michel Colla et à Claude Chauvat, merci d’avoir fait confiance au débutant que j’étais.
Avez-vous un agent ? Comment l’avez-vous rencontré ?
J’ai une histoire compliquée avec les agents. Pour l’instant, je suis entre deux agences, Marie-Servane Bargy pour Synapsis, une jeune femme pleine d’allant dont j’admire la tonicité et le dynamisme. Et puis, Jean-Luc Darier, à l’Agence A, chez qui je suis sans trop y être, mais avec qui j’ai eu une discussion vraiment ultra passionnante il y a trois ans.
Bon. Disons que j’ai pris l’habitude de traiter tout seul mes contrats, mais la fameuse “krize” aidant, ça devient de plus en plus compliqué de causer pépettes sereinement, donc, je préfère reprendre des intermédiaires.
En réalité, ce dont j’aspire maintenant, c’est de trouver, chez un agent, un conseil, un accompagnateur. Quelqu’un qui me connaîtrait ma sensibilité et qui pourrait m’aider à conduire ma carrière, m’aider à faire des choix. Peut-être que Marie-Servane est cette personne, je ne sais pas encore, nous venons d’amorcer notre collaboration.
Reste, à l’usage de vos padawans, qu’imaginer qu’un agent peut nous trouver du travail est un fantasme. Il vous mettra éventuellement sur des pistes que tout le monde connaît, mais il faudra attendre que vous soyez un tantinet confirmé pour qu’on vienne vous chercher.
Combien de temps vous a-t-il fallu ensuite pour réellement vivre de votre métier ?
Peut-être 5 ans.
Avec le recul, que retenez-vous de vos débuts ? Que conseilleriez-vous à un aspirant scénariste?
Je dirais ceci : écrire pour l’argent est une mauvaise raison. Écrire pour l’art est une mauvaise raison.
Pensez juste à être sincère, sans mettre des majuscules aux mots. Et puis humble aussi, parce que c’est comme ça qu’on apprend le plus, le mieux. Et c’est aussi comme ça qu’on apprend la souplesse, qualité indispensable à tout auteur d’une œuvre collective. Attention : humble, ça ne veut certainement pas dire se laisser marcher dessus. Sachez faire le distinguo.
Et puis aussi : tout a été fait depuis les Grecs. Il n’y a plus rien à inventer. Donc, libérez-vous de cette illusion. Ce qu’on attend de vous, c’est justement VOUS. C’est parce que vous insufflez votre prisme à une histoire qu’elle deviendra originale. Cultivez votre originalité, mais pas tout le temps : si vous travaillez sur une série en tant que simple soldat, vous ne devrez pas faire autre chose que de rentrer du mieux que vous pourrez dans le moule existant, sinon vous ne faites pas le boulot.
Alors, ayez toujours près de vous un travail personnel, que vous conduirez, toujours, tout le temps, en même temps que vos projets de commande, afin de ne pas laisser s’éteindre ce que vous êtes.
Et puis, n’oubliez pas d’être bienveillants. Avec vous.
Et avec les autres.
Copyright©Nathalie Lenoir 2012