Petite balade dans les bois avec l’un des premiers survival forestiers qui doit tout à l’efficacité de John Boorman : Délivrance.
Après un prix de la mise en scène à Cannes, le réalisateur John Boorman part donc avec un petit budget pour tourner cette excursion remplie d’imprévus d’après le roman de James Dickey. Alors qu’il s’était à l’origine mis en tête de faire pagayer Marlon Brando et Lee Marvin, ce dernier lui suggère de prendre des acteurs plus jeunes pour les deux rôles principaux. Bien lui en a pris puisque Burt Reynolds, John Voight et Ned Beatty finalement choisis vont devoir réaliser leurs cascades eux-même. Impliqués dans leurs rôles, on sent tout de suite un esprit d’équipe qui se dégage de leurs scènes de groupe. Alors lorsqu’ils doivent tuer pour légitime défense, leur scission et d’autant plus déchirante et les épreuves qu’ils doivent affronter pour survivre sur la rivière en seront plus intenses.
Mais il ne faudrait pas croire que Délivrance soit un simple survival qui n’aurait rien à dire. Au contraire, le réalisateur plante tout de suite son décor et nous décrit une Amérique en perdition. La bourgade dans laquelle débarquent les citadins pour leur weekend est isolée et va sous peu se retrouver engloutie à cause d’un barrage en cours de construction. L’une des première scènes, à la fois enthousiaste et inquiétante, nous montre toute l’ambivalence d’une Amérique qui cherche à cacher son passé qu’elle voit comme malade et que l’on ferait mieux d’effacer. La réalisateur arrive alors avec une scène enjouée à nous mettre plutôt mal à l’aise et l’on pressent bien que notre petit groupe ne va pas avoir droit à une promenade de santé.
Il faut aussi se rappeler qu’à l’époque (nous sommes en au début des années 70 lorsque le film est réalisé), l’Amérique est enlisée dans sa guerre du Vietnam et le film peut très clairement être vu comme une métaphore du conflit et de ce que vivent les soldats là-bas, dans cette lutte contre la nature et des forces hostiles qu’ils ne peuvent pas voir. Cela se ressent particulièrement dans la dernière partie du film, lorsque les survivants de retour dans la société ne peuvent pas vraiment dire ce qu’ils ont vécu. Tout le traumatisme des soldats (ce que l’on ressent après avoir été torturé, donné la mort et traversé l’enfer) se ressent dans ce que racontent les héros à leur retour, jusqu’au dernières images du cauchemar récurrent.
Ce qui est également intéressant avec Délivrance, c’est de voir la manière dont John Boorman aborde les thèmes qui jalonneront son oeuvre pourtant diversifiée. En effet, que ce soit dans Zardoz, Excalibur ou dans la Forêt d’Émeraude, il montre toujours l’homme face à la nature ou contre lui-même, devant montrer une facette sauvage qu’il avait oublié pour s’en sortir. Ce thème peut être pris au niveau personnel (ici ces quatre hommes qui doivent affronter leur bestialité) comme au niveau de la société dans son ensemble (ce barrage qui tirera un trait sur la bourgade isolée du passé). En ce sens, Délivrance, même parcouru par des scènes intenses (le duel au banjo, le viol ou les descentes des rapides) est bien plus qu’un survival : un vrai parcours initiatique comme un récit sur la guerre et la nature de l’homme.
Avec une mise en scène qui n’édulcore pas la violence et revient aux fondements de l’environnement (rares sont les réalisateurs qui arrivent à retranscrire toute la force et la beauté sauvage de la nature), John Boorman signe donc là le mètre-étalon du genre aujourd’hui classé au patrimoine culturel américain. Ce n’est pas pour rien que les références au film pleuvent dans les films ou séries américaines. Mais même si il a été copié, jamais sa force il n’a été égalée.