Retour sur l’un des premiers films polémiques de Stanley Kubrick sur les pulsions et désirs d’un homme : Lolita.
Si Lolita est aujourd’hui entré dans le langage courant, ce n’était pas le cas dans les années 60 et c’est bien le roman et le films qui sont à l’origine de son utilisation et de sa signification. Car l’œuvre raconte l’histoire du professeur Humbert louant une chambre chez une veuve esseulée. Rapidement il tombe sous le charme de la fille orpheline et va même jusqu’à épouser sa mère pour rester à ses côtés. Bien consciente du manège qui se trame, la gamine va jouer avec les nerfs d’Humbert.
En adaptant le livre sulfureux de Nabokov, on pouvait s’attendre à un drame érotique mais Kubrick va prendre une toute autre direction, laissant tomber la narration à la première personne (qui ne sera reprise qu’à certains passages, lorsque Humbert écrira son journal intime) et surtout adoptant finalement un ton plutôt chaste pour privilégier la satire sociale et un portrait grinçant de la société américaine et de son puritanisme de façade. Ainsi, le réalisateur n’hésite pas à prendre le ton de la comédie et à jouer avec les désirs de son héros pathétique pour nous montrer une Amérique bien plus volage qu’elle ne voudrait le croire. Une veuve prête à sauter sur le premier homme qui s’aventure chez elle, un homme devenu figure paternelle dévoré par le désir interdit, jeune fille en fleur flirtant avec le désir .. tout cela entraine mort et perdition.
Mais en plus de mettre l’Amérique face à ses contradictions avec un cynisme mordant, le réalisateur dresse aussi le portrait d’un homme complexe, dévoré par le désir charnel, la passion et l’interdit. A ce titre, James Mason se montre particulièrement brillant, jouant à la fois sur la façade adorable et paternelle d’un homme pourtant égoïste et pathétique. Le plus intéressant est même de remarquer à quel point le personnage de Quilty (campé par l’inénarrable Peter Sellers) est aussi une certaine forme de sa conscience moralisatrice l’empêchant de passer. De simple rival en fin de roman, il devient donc une composante multi-facette du personnage de Humbert dont l’omniprésence intrigue sans cesse.
Si Kubrick a largement diminué la dimension érotique du matériau original, le désir n’en est pas moins présent et cette tension occupe en permanence l’esprit de Humbert et donc du spectateur. Le réalisateur, sans le montrer est provocant mais de manière subtile, sans démonstration, seulement à travers quelques gestes, regards et surtout intentions. Mais cette discrétion peut aussi provoquer l’effet inverse et presque faire de Lolita un récit moralisateur en ce sens où les personnages qui vont succomber au pêcher seront punis soit par la mort ou par la loi. Mais cela ne nuit pas à l’intérêt du film qui nous offre une vision bien différente de la banlieue américaine bienséante.
Malgré les précautions prises par le réalisateur, le film créé le scandale outre atlantique et sera censuré par la critique. Le réalisateur est à deux doigts de regretter d’avoir tourné le film, d’autant plus que les critiques sont partagées, entre ceux qui ne retrouvent pas l’érotisme du roman et les autres outrées par le propos du film. Il faudra des années avant que le film ne se fasse sa place. Mais cela n’empêche pas la jeune Sue Lyon d’obtenir un Golden Globe pour sa prestation aux côtés de James Mason et Peter Sellers. Quand à Stanley Kubrick, il poursuivra sa foulée cynique avec Docteur Folamour.