“Summertime” de Matthew Gordon

Par Boustoune

Robbie, un adolescent de 14 ans, se retrouve soudain obligé de tenir le rôle de chef de famille. Son père est parti juste après sa naissance. Son grand-frère Lucas a quitté le domicile parental pour vivre sa vie ailleurs. Et sa mère, dépressive, est partie se faire soigner en Californie, lui laissant la charge de son jeune demi-frère, Fess, et de sa grand-mère, quasiment sénile.
Robbie fait ce qu’il peut pour cacher la situation aux services sociaux et pour assurer la survie de ce qui reste de la cellule familiale, en attendant l’hypothétique retour de sa mère. Il va jusqu’à voler ses camarades de classe plus aisés, au risque de compromettre sa réputation pour les années suivantes de sa scolarité, et il repêche les pièces de un cent que des gens ont jeté dans la rivière pour que leur voeux se réalisent…

Summertime, le premier long-métrage de fiction de Matthew Gordon décrit le quotidien de l’adolescent, sur les rives du Mississippi.
Le choix de cet état n’est pas fortuit. Aujourd’hui, il est l’un des territoires les plus pauvres d’Amérique du Nord, gangréné par le chômage et la détresse sociale, alors que jadis, il a inspiré à Mark Twain les aventures de Tom Swayer et d’Huckleberry Finn, figures adolescentes héroïques, emblématiques d’une certaine idée de l’Amérique.
Robbie, lui, n’a rien d’un héros. C’est juste un garçon courageux qui essaie de sauver ce qui peut encore l’être, qui tente d’échapper à un destin écrit d’avance, en dehors des lignes de la société. Alors que la plupart des adolescents de son âge rêvent de gloire et de richesses, lui se contenterait de rêves plus petits. Une petite maison, un emploi honorable, c’est tout ce à quoi il aspire. Et même cela, il est prêt à y renoncer pour tenter de conserver intact ce qui reste de sa famille.

A un moment, il croit même pouvoir reconstituer une structure familiale “normale”, quand son frère aîné revient au bercail au bras de sa nouvelle conquête. La jeune femme a l’air gentille et douce. Elle a préparé un repas copieux comme les enfants n’en ont pas reçu depuis longtemps.
Hélas, elle ne va pas rester. Elle est une femme mariée et s’est juste autorisé une escapade coquine avec Lucas. Mais le frangin, lui, reste, s’incruste même. Il n’a guère le choix. Sans emploi, il ne pouvait plus payer le loyer de son appartement et s’est dit qu’il pourrait trouver refuge auprès de sa famille.
Pour assumer cette bouche de plus à nourrir, Robbie décide de travailler  pendant l’été. Le rythme est épuisant, mais il est heureux de renouer des liens complices avec son frère.
Mais Lucas ne tarde pas à dévoiler sa vraie nature. C’est un parasite qui profite tant qu’il le peut de l’hospitalité de sa famille. Pendant que son petit frère travaille, il dépense son argent à boire et à accumuler les aventures d’un soir…

A travers cette histoire, ces personnages, c’est le “rêve américain” dans sa globalité qui se prend du plomb dans l’aile. Etres désoeuvrés, laissés pour compte, abandonnés, sans horizon professionnel ou personnel, familles éclatées, espoirs brisés, le portrait n’est guère reluisant. Il  correspond hélas à à la triste réalité vécue par des milliers d’américains, sur fond de crise économique persistante. Une réalité qui est aussi celle que nous subissons actuellement en Europe, à des degrés divers… 
 
On pense un peu, à la vision de Summertime, à certains films que John Ford tourna dans les années 1930/1940, dont, évidemment, Les Raisins de la colère. On y trouve le même soin dans la description des personnages, le même refus du recours au sensationnalisme et aux chantage à l’émotion, tout en conservant une trame de mélodrame réaliste. Oh, bien sûr, Matthew Gordon n’est quand même pas John Ford. On ne voudrait surtout pas s’aventurer dans une comparaison qui tournerait immanquablement en la faveur du second, considéré comme un des maîtres du 7ème art. Mais le jeune cinéaste possède ses propres qualités. Son passé de documentariste, allié à la volonté de faire jouer des acteurs non-professionnels – tous très bons d’ailleurs,  avec une mention spéciale aux acteurs qui incarnent les deux frères,  William Ruffin et Patrick Rutherford – lui permet de donner à son film une indéniable justesse de ton, une proximité avec le spectateur.

Difficile de ne pas être ému par cette histoire, par ces personnages. On vibre avec eux, on espère qu’ils pourront s’en sortir, et on les quitte à regret, comme on quitte des amis d’un été. Mais la séparation se fait en douceur. Le cinéaste a le bon goût de ne pas boucler le film  sur un happy-end rassurant ou un final tire-larmes. Juste une fin ouverte qui résonne comme une note d’espoir. Si les fondements du rêve américain vacille, une valeur essentielle persiste : la liberté. Celle, par exemple, de pouvoir prendre en main sa destinée et de partir ailleurs pour construire ou reconstruire sa vie, comme jadis les pionniers partaient à la conquête de l’ouest…

Matthew Gordon, lui, part à la conquête des sommets cinématographiques et, à en juger ce premier essai dans le long-métrage de fiction, nul doute qu’il va se faire pas mal d’amis en chemin. Et gagner quelques prix…  Summertime a notamment glané le prix du jury au dernier festival du film américain de Deauville, et il a été présenté au 61ème festival de Berlin… Jolis débuts…

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Summertime
The Dynamiter

Réalisateur : Matthew Gordon 
Avec : William Patrick Ruffin, John Alex Nunnery, Patrick Rutherford, Ciara McMillian
Origine : Etats-Unis
Genre : Mississippi blues
Durée : 1h13

Date de sortie France : 04/07/2012
Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Critikat
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