Un réalisateur rare, un casting immense mais surtout un message profond et universel et des images sublimes, voilà simplement ce qu’il faut pour un film culte : La Ligne Rouge.
Il aura fallu attendre 20 ans avant que le discret Terrence Malick ne revienne derrière la caméra. En effet, après les Moissons du Ciel en 1978 et sa grande reconnaissance par toute la profession, c’est le calme plat, silence radio. Le réalisateur avait bien d’autres projets en tête et c’est en 1998 que nous entendrons à nouveau parler de lui avec La Ligne Rouge. Un projet audacieux pour ce réalisateur intimiste et spirituel plutôt proche de la nature puisqu’il se plonge ici dans l’épopée de la Guerre du Pacifique racontée dans le roman de James Jones.
Le film s’attarde donc sur la bataille de Guadalcanal où un bataillon de soldats américains a pour mission de prendre un bunker japonais. Une mission suicide pour les soldats qui devront engager le combat malgré toutes leurs protestations.
Alors que Steven Spielberg venait de mener de front Il faut sauver le soldat Ryan en montrant la boucherie du débarquement pour défendre la liberté et répondre à la question du sacrifice des hommes pour en sauver un seul, Terrence Malick, de par sa sensibilité différente va prendre totalement le contrepied de ce type de film de guerre. Avec La Ligne Rouge, il va s’inscrire dans une veine beaucoup plus poétique pour dénoncer les méfaits de la guerre sur les hommes. Ici, il n’y a pas de héros et de gestes braves, les soldats sont traités comme une unité et parlent d’une seule voix. Mais surtout, le réalisateur nous montre bien que ces soldats sont avant tout des civils, parfois très jeunes envoyés au front qui ont une autre vie qui les attend et une certaine inexpérience des armes.
Un jeune premier tué, un soldat qui commet une faute irréparable avec une grenade, un commandant qui n’hésite pas à sacrifier des hommes sans leur dire que c’est une mission suicide, un soldat qui a du mal à accepter son premier meurtre, la sauvagerie de l’attaque du camp japonais … Terrence Malick nous montre au travers des ordres et des questions que se posent ces soldats toute l’absurdité de la guerre, loin des couleurs chaleureuses de la bannière étoilée.
Une dénonciation qui devient d’autant plus forte quand, en plus des actes des soldats et des ordres de la hiérarchie, Malick se place à la hauteur de la nature et contraste ensuite tout cela avec l’harmonie des populations locales. En effet, il nous montre tout ce que les hommes subissent mais aussi la nature détruite petit à petit dans cette bataille. Le réalisateur traite cette nature comme un personnage à part entière et même comme une entité supérieure à laquelle sont rendus les soldats morts (c’est en tout cas l’idée que l’on peut retrouver quand les dernières images que ceux-ci voient sont la lumière passant à travers les feuillages).
Après des films plutôt intimistes, le réalisateur doutait lui-même de pouvoir réaliser les séquences d’action. Pourtant celle-ci sont d’une force immense. Malick, toujours au plus près des soldats et de la nature nous montre un assaut impressionnant par sa violence et son ampleur dans ces paysages exotiques filmés de manière sublime. Aussi à l’aise lorsque les soldats sont de repos que lorsqu’ils doivent passer à l’attaque sur la musique discrète d’un Hans Zimmer inspiré, Malick fait preuve d’une maitrise incontestable de son récit que viennent accompagner les monologues en voix-off (apportant encore plus de spiritualité au film). Nous gratifiant de certains des plus beaux plans du film de guerre ou tout simplement de la nature, le réalisateur, avec le perfectionnisme qui l’habite, nous offre un émerveillement de chaque instant. Chaque image respire ici le cinéma.
A tout cela, nous ajouterons également un casting impressionnant simplement parfait, impliqué, où même le plus petit rôle est habité par un personnage d’une grand profondeur, au service du message de paix (avec les autres mais aussi avec soi-même) et de rapprochement de la nature donné par le film. Récompensé à juste titre par un Ours d’or à Berlin mais injustement ignoré aux Oscars malgré ses 7 nominations, La Ligne Rouge marque donc le grand retour du réalisateur le plus discret du monde pour un film sublime et indéniablement culte.