Culte du dimanche : M le Maudit

Par Fredp @FredMyscreens

Retour sur le premier film parlant de Fritz Lang et l’un des premiers psychopathes qui ont marqué le cinéma avec M le Maudit, œuvre lugubre qui va bien au delà du thriller.

Si Fritz Lang a posé toutes les bases de la science-fiction moderne avec le légendaire Metropolis, c’est loin d’être son seul fait d’arme. Car peu de temps après, il nous présente son premier film parlant : M le Maudit. Si il est encore peu à l’aise avec la technique du son tout en en voyant bien l’intérêt (l’air sifflé par le tueur revenant comme un leitmotiv finira par provoquer un certain frisson), sa science du cadrage est toujours précise mais surtout il dresse là le portrait d’une société qui commence à dériver. Car l’histoire est celle d’un meurtrier d’enfants qui va être poursuivit par les autorités locales mais aussi par la pègre.

En commençant son film pas une comptine que chantonnent quelques gamines, le réalisateur donne à M le Maudit un esprit de conte de Grimm qui est tout de suite accentué par le noir et blanc expressionniste. Alors que l’on ne voit dans la première partie le tueur que par jeux d’ombres, il fait office de grand méchant loup, de légende urbaine qui arrive à créer la terreur dans une ville sans nom. Le fait que le tueur siffle l’air de Dans l’antre du roi de la montagne ajoute d’ailleurs encore au côté folklorique de cette histoire horrifique.

Cependant le réalisateur va rapidement dépasser cet aspect de conte horrifique sans même aller du coté du thriller pour interroger directement la société. Car M le Maudit, réalisé après la crise de 29, alors que l’Allemagne entre dans une période de fort chômage et dans une montée du nationalisme qui débouchera sur le nazisme, parle déjà des dérives et des maux de la société. Ainsi, la police peine à retrouver le meurtrier et enchaine les rafles dans le milieu de la pègre (qui feront plus tard écho aux méthodes nazies). Celui-ci, excédé et ne pouvant plus trafiquer va alors lui-aussi se mêler de la traque du meurtrier en mettant toute la ville sous surveillance.
Et c’est grâce à la pègre que le meurtrier sera arrêté et rapidement condamné à mort par un procès non équitable avec un jury de dealers récidivistes sans morale. Il en faut de peu pour que la condamnation prenne effet et l’assassin exécuté. Cela montre alors à quel point les règles de la société sont faibles dès lors que l’on touche aux enfants et que l’on peut rapidement revenir à certains instincts de vengeance sans chercher à comprendre ce qui fait un meurtrier.

Ce meurtrier remarquablement campé par Peter Lorre se montre d’ailleurs assez fascinant. Passant de l’ombre de la première partie à la lumière de la seconde lorsqu’il est traqué, il se révèle, sous ses airs juvéniles d’innocent apeuré, bien plus complexe qu’il n’y parait. Ici l’assassin n’est pas montré comme un sauvage qui prend plaisir à tuer. Au contraire, il a bien conscience du mal qui le ronge et l’oblige à commettre des actes horribles et impardonnables. Défini comme un malade mental qui n’a pas conscience de ses actes lorsque la pulsion prend le dessus, le personnage échappe ainsi aux clichés et arrive même à transmettre une certaine compassion pathétique pour lui.

Avec une mise en scène impeccable et une histoire qui se révèle à chaque instant toujours plus fascinante, M le Maudit pose les bases d’un certain cinéma horrifique tout en nous présentant le premier serial killer notable du cinéma. Mais il fait aussi un état des lieux pas forcément reluisant d’une société allemande prête à s’abandonner et qu’il quittera rapidement pour échapper aux contraintes du nouveau régime. Plus qu’un exercice de style M le Maudit est donc l’un de ces films qui marquent véritablement un genre et même plus.