Pour son septième long-métrage, le cinéaste égyptien Yousry Nasrallah a choisi de revenir, à chaud, sur ce que l’on a appelé le “Printemps Arabe” de 2011 et sur les suites de ces mouvements révolutionnaires qui ont mené, en Egypte, à la chute du régime de Moubarak.
Il part d’un incident particulier de la Révolution égyptienne – la charge d’un groupe de cavaliers et de chameliers manipulés par le régime de Moubarak contre les révolutionnaires pacifistes de la Place Tahrir, le 2 février 2012 – et s’en sert comme point de départ d’une fiction se déroulant, comme le titre l’indique, quelques temps après la bataille.
Plutôt que de céder à la facilité de prendre pour héros un jeune révolutionnaire, le cinéaste articule son récit autour d’un homme qui s’est retrouvé dans le mauvais camp, au mauvais moment, et doit en assumer les conséquences.
Mahmoud (Bassem Samra) est en effet un des cavaliers qui a participé à la charge de la place Tahrir. Il a payé le prix fort cette action désespérée. Déjà au moment des faits, puisque les révolutionnaires l’ont roué de coups. Puis après la chute du régime de Moubarak, quand il a fallu trouver des boucs-émissaires, responsables de la situation délicate du pays… Mahmoud ne s’est jamais vraiment intéressé à la politique, il n’a jamais été très proche du pouvoir non plus. Il a juste été manipulé, comme ses camarades, et envoyé faire la sale besogne à la place des policiers. Mais il reste fier, et préfère assumer ses actes que d’admettre qu’il a été manipulé. Du coup, il se retrouve ostracisé dans son propre quartier, où ceux qui ont participé aux faits préfèrent rester discrets, et détesté par les jeunes rebelles qui voient en lui un suppôt du régime déchu.
Mahmoud a pris l’habitude d’être humilié. A vrai dire, cela fait un moment qu’il ne peut plus exercer correctement son métier, et avec les évènements, les touristes se font rares, ce qui n’arrange rien aux affaires. Ce qui l’embête le plus, c’est de ne plus pouvoir nourrir ses chevaux. Et de ne pas se sentir digne de ses enfants, pour qui il espère un avenir meilleur…
Reem (Menna Chalaby), est une jeune femme moderne et laïque. Bien qu’elle habite les beaux quartiers du Caire et appartienne à une classe sociale aisée, elle a activement participé aux manifestations de la Place Tahrir. Quand elle rencontre Mahmoud, elle ne peut s’empêcher d’éprouver pour lui de l’aversion. Mais rapidement, elle se sent attirée par lui. Il l’intrigue. Elle essaie de comprendre comment il a pu se retrouvé impliqué dans la charge des cavaliers, quelles étaient ses motivations d’alors, et surtout, elle aimerait savoir comment il voit l’avenir du pays et l’accès à davantage de démocratie.
Peu à peu, elle prend conscience des difficultés rencontrées, non seulement par Mahmoud et sa famille, mais aussi par tous les gens qui habitent leur quartier, bien loin de sa petite vie bourgeoise et “tranquille”…
Le film, on le devine à la lecture de ce résumé, est porté par les meilleures intentions.
Le cinéaste, à travers ce récit qui entremêle une histoire d’amour impossible et une fable sur l’engagement – politique, social, moral – essaie de réconcilier les composantes d’une population désunie suite à la révolution, dans un contexte politique on ne peut plus incertain.
Il entend combattre les préjugés souvent idiots, qui sont véhiculés dans les différents camps, les différentes classes sociales, pour mieux pointer du doigt les véritables responsables de la situation du pays et ouvrir les yeux de ses concitoyens sur les efforts qu’il faudra encore accomplir pour arriver à une vraie démocratie.
Mais les bonnes intentions, c’est bien connu, ne font pas forcément les bons films. A l’écran, cela ne fonctionne pas. Pas complètement du moins…
Les acteurs ne sont pas vraiment en cause. D’accord, certains surjouent comme dans des mauvais feuilletons télévisés égyptiens, mais le trio d’acteurs principaux est charismatique, relativement bien en place et connait suffisamment la réalité locale pour la rendre crédible aux yeux des spectateurs, égyptiens ou internationaux.
Là où ça pèche, c’est plutôt au niveau de la mise en scène, un peu trop retenue pour un sujet aussi ardent. Et dans la construction du récit, qui met l’évolution de la relation entre Mahmoud et Reem au coeur d’un mélodrame trop facile plutôt que d’y greffer des éléments politiques pouvant expliciter la situation en Egypte et les enjeux de la reconstruction.
On doit d’abord subir les atermoiements des deux protagonistes principaux, en pleine confusion des sentiments, en pleine perte de repères, avant que les considérations politiques et sociales, autrement plus passionnantes, ne reprennent le dessus. Et même à ce moment là, les idées sont assénées de façon très maladroite, sur un ton un peu trop professoral, trop péremptoire.
Résultat des courses (de chevaux) : Après la bataille est trop long, tourne un peu en rond, et n’éclaire finalement que très peu sur les questionnements posés par la révolution égyptienne et les affres de la reconstruction démocratique d’un pays. Et on ne peut s’empêcher de trouver dommage de gâcher un si beau sujet avec un scénario aussi plat, aussi platement mis en scène.
On se consolera avec l’évocation du problème du mur de Nazlet, une construction de plus de seize kilomètres de long mise en place par le pouvoir pour isoler le petit village de Nazlet El Samman des pyramides de Gizeh. En procédant ainsi, le gouvernement privait les habitants – essentiellement des cavaliers, cameliers, et marchands – de leur seule source de revenu, le tourisme, et espérait les faire quitter ces terres jadis offertes au peuple par le président Sadate. Des terres très convoitées, officiellement pour y effectuer des fouilles archéologiques, mais aussi et surtout parce qu’idéalement situées, elle pourraient permettre de réaliser une belle opération financière en cas d’établissement d’un complexe touristique.
Une injustice flagrante qui explique en partie pourquoi les citoyens égyptiens ont pris part à la révolution, dans un camp ou dans l’autre.
L’autre intérêt du film est de mettre en avant le rôle joué par les femmes dans le phénomène du “Printemps Arabe” et de montrer à quel point leur lutte pour l’indépendance et l’émancipation, malgré la chute des tyrans, est loin d’être acquise, notamment avec l’influence de plus en plus grande des groupes islamistes radicaux. Le hic, c’est que le sujet a déjà été abordé l’an passé par différent(e)s cinéastes et que le film de Yousry Nasrallah arrive donc un peu… après la bataille.
On comprend pourquoi le Festival de Cannes a placé Après la bataille dans sa sélection officielle. Là aussi, cela partait d’un bon sentiment : rendre hommage à une cinématographie souvent peu représentée sur la Croisette tout en diffusant un film en phase avec une actualité récente et toujours brûlante.
Mais placer le film en compétition officielle face à des oeuvres autrement plus abouties n’était pas sans risque. Ses défauts sont ressortis plus sûrement que ses qualités, hélas, atténuant considérablement l’impact désiré.
Peut-être aura-t-il plus de chances de trouver son public à l’occasion de cette sortie en salles, loin des feux des projecteurs cannois…
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Après la bataille
Baad el mawkeaa
Réalisateur : Yousry Nasrallah
Avec : Bassem Samra, Menna Chalaby, Nahed El Sebaï, Salah Abdallah, Phaedra El Masry
Origine : Egypte
Genre : mélo sur fond de révolution arabe
Durée : 2h02
Date de sortie France : 19/09/2012
Note pour ce film : ●●●