Dans un petit fast-food de l’Ohio, le personnel s’apprête à attaquer la journée la plus chargée de la semaine et déjà, la tension est palpable.
La veille, un employé distrait a oublié de refermer la porte du congélateur, obligeant la gérante, Sandra, à jeter pour près de 1500$ de victuailles et à recommander des denrées en urgence. L’essentiel est arrivé, mais les cuisines devront se passer de bacon et de cornichons… Il faudra aussi se débrouiller pour assurer un roulement au comptoir en l’absence d’une caissière malade. Et comble de malchance, c’est le jour qu’aurait choisi un un auditeur de la chaîne de restaurants pour venir visiter le fast-food, dans le plus grand secret…
Mais tout le monde prend son poste, se retrousse les manches et fait son travail…
… jusqu’à ce qu’un appel téléphonique vienne tout chambouler.
Au bout du fil, un homme se présente comme étant un inspecteur de police, l’inspecteur Daniels et demande à parler au manager. Il lui affirme qu’une des caissières, Becky, a volé de l’argent dans le sac d’une cliente. Dans l’incapacité de pouvoir se rendre immédiatement au fast-food, il demande à Sandra d’interroger la jeune femme, de fouiller son vestiaire et ses effets personnels pour retrouver l’argent volé. Becky proteste, jure qu’elle n’a rien fait, qu’elle n’a jamais vu cet argent. Et de fait, Sandra ne trouve rien dans son sac ou son casier. Mais l’inspecteur a l’air sûr de ce qu’il avance. Il demande à Sandra d’enfermer la jeune caissière le temps qu’il soit en mesure d’arriver jusqu’au fast-food. Restant en ligne, l’inspecteur donne ses ordres à la gérante et à la suspecte, et leur demande des choses de plus en plus embarrassantes… Jusqu’au drame…
Certains vont probablement trouver le scénario ridicule, les situations décrites totalement grotesques, parce que personne de sensé ne se comporterait de cette façon, n’accepterait de telles humiliations sans réagir. Pas jusqu’à ce point…
Et pourtant… Ce n’est pas pour rien que le cinéaste le précise en si gros au début du film, il s’agit bien d’une histoire vraie (1). Un inconnu affirmant être un policier a bien monté de tels canulars téléphoniques, en réussissant à manipuler ses interlocuteurs, juste en abusant de leur docilité (“compliance” dans la langue de Shakespeare). De manière surprenante, le procédé n’a pas fonctionné qu’une seule fois, puisque 70 appels similaires (2) ont conduit à des situations plus ou moins humiliantes ou dégradantes, pour des managers, des employés ou des clients.
Le mécanisme est édifiant.
L’usurpateur n’a besoin que de quelques bribes d’informations pour cerner les personnes qu’il cherche à piéger, pour les déstabiliser et pour exercer son emprise mentale sur eux.
Il sent que la gérante du magasin, sous le coup du stress de la journée la plus chargée de la semaine, va se montrer obéissante. Il lui suffit de dire qu’il représente la loi et qu’il mène soin opération avec l’aval du patron de la chaîne de restaurants pour qu’elle soit totalement coopérative.
Il sent aussi que la victime est une jeune femme fragile, qui a peur de perdre son emploi et de se retrouver enfermée en prison.
Et il devine que la gérante est méfiante vis-à-vis de ses jeunes employés.
A partir de là, il n’a plus qu’à avancer ses pions progressivement, en déstabilisant ses différents interlocuteurs et en jouant sur leurs instincts les plus vils.
Bien sûr, certains employés se rendent compte que quelque chose ne tourne pas rond, mais ils sont trop accaparés par leur tâches professionnelles pour réagir, et surtout, la conviction profonde de la gérante, totalement embobinée par l’homme à l’autre bout du fil, coupe court à toute tentative d’intervention.
Et vous, qu’auriez vous fait à la place de la gérante? Auriez-vous aussi facilement consenti à obéir aux ordres d’un inconnu juste parce qu’il affirme être un policier? Et jusqu’à quel point auriez-vous joué son jeu avant de réaliser l’absurdité – et l’ignominie – de la situation?
Qu’auriez-vous fait à la place de Van, son fiancé, appelé en renfort pour surveiller la captive? Auriez-vous obéi aux demandes inconvenantes du “policier”?
Et à la place de Becky? Auriez-vous accepté sans broncher les accusations calomnieuses, les humiliations devant vos collègues de travail?
Non? En êtes-vous si sûrs?
Des expériences psychologiques controversées (celles de Milgram et de Stanford) ont montré que la majorité des individus placés dans une position de “dominant” par une autorité supérieure sont capables d’agir à l’opposé de leurs convictions morales. Et que des individus placés dans une situation de “dominé” peuvent abandonner toute résistance à leur vis-à-vis. Alors, qui peut être certain d’agir raisonnablement dans une telle situation?
Le film, en tout cas, fait réagir, dérange, nous interroge sur nos propres limites, et prend toute sa dimension…
On peut aussi le voir comme un brillant exercice de style.
Craig Zobel se tire joliment de l’exercice périlleux du huis clos, réussissant, grâce à ses cadrages et sa mise en scène, à donner du rythme et de l’intensité à un récit se déroulant pour les trois-quart du temps dans une réserve de restaurant exigüe.
Et il réussit aussi (en les manipulant?) à tirer le meilleur de ses acteurs, de Ann Dowd, très crédible en gérante de magasin au bord de la crise de nerfs à la jeune Dreama Walker, fragile et candide, en passant par Bill Camp, brave gars alcoolisé poussé malgré lui à commettre des actes honteux.
Remarqué à Sundance, à Locarno et au dernier festival du film américain de Deauville, Compliance est le genre de film qui divise le public. Certains fuiront pour ne pas avoir à supporter les humiliations de la jeune Becky, d’autres car le film leur semblera ridicule ou peu crédible. Les autres seront sûrement fascinés par cette minutieuse reconstitution d’un fait divers, qui prend l’allure d’une fable édifiante sur l’ordre et la morale.
(1) : L’affaire en question est celle du canular du McDonald’s de Mount Washington, Kentucky
(2) : Ces appels ont eu lieu entre 1992 et 2004, toujours dans des restaurants ou des épiceries de petites villes rurales. Un homme appelait et se présentait comme un policier. Il forçait ses interlocuteurs à dénuder les suspects – des clients ou des employés – et à fouiller leurs parties intimes à la recherche de drogue ou d’argent. David Stewart, un homme de 37 ans, a été accusé d’avoir effectué tous ces appels. Malgré les très fortes présomptions pesant sur lui, il a été acquitté par le jury lors de son procès, faute de preuves formelles. Depuis son arrestation, il n’y a plus eu d’autre canular de ce genre…
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Compliance
Réalisateur : Craig Zobel
Avec : Ann Dowd, Dreama Walker, Pat Healy, Bill Camp, Ashle Atkinson, Philip Ettinger
Origine : Etats-Unis
Genre : incroyable mais vrai
Durée : 1h30
Date de sortie France : 26/09/2012
Note pour ce film : ●●●●●