C’est un peu morose que l’on sort de ce Magasin des suicides…
Vous nous direz sûrement que c’est normal, vu le titre, lugubre, et l’ambiance du film, déprimante.
Tirée d’un roman de Jean Teulé (1), l’intrigue se déroule en effet dans une ville grise et froide, victime de la crise économique, de la pollution et d’un rythme de vie trop stressant. Dans ce contexte, de nombreuses personnes préfèrent se donner la mort, avec classe et dignité, si possible. Et pour cela, ils se rendent dans la seule boutique prospère de la ville, le fameux “Magasin des suicides” tenu par la famille Tuvache.
Le père, Mishima (2), mix de Gomez Adams et du vendeur dessiné par Alexis dans “De la joie jusqu’au cou”, est expert pour vanter les mérites du seppuku ou de la pendaison. La mère, Lucrèce, une rouquine opulente, fait mieux l’article pour des articles plus féminins, comme les poisons ou les somnifères, et tient la caisse du magasin. Pendant ce temps, Vincent, le fils aîné, aiguise des lames de rasoir dans la pièce d’à-côté, pour les clients qui voudraient s’ouvrir les veines, et Marilyn, la fille, ressasse ses idées noires.
Bref, une vraie famille de timbrés, esthètes de mort et orfèvres de l’hara qui rit… Mais ce n’est pas cela qui nous rend morose…
A vrai dire, ce climat délicieusement morbide, qui évoque un peu l’univers de Tim Burton, n’est pas pour nous déplaire. On s‘amuse du raffinement des suicides vendus par le magasin, satisfait ou remboursé, des mille-et-une façons de mourir vantées en chanson par les commerçants. On admire aussi les traits des personnages, dans le style BD à l’ancienne, nés de la plume de Régis Vidal, et la beauté des décors, agrémentés de quelques petits clins d’oeils (auto)parodiques, comme l’affiche des “Zombrés” sur le cinéma de la ville. On apprécie la bande-originale du film, signée Etienne Perruchon, et les chansons qui donnent au film un côté opérette gothique. Et on peut même trouver un certain charme à l’animation, assez rudimentaire, mais très fluide, et rehaussée par la profondeur de champ du relief.
Mais pourtant, on sort un peu déçus de ce spectacle, avec un arrière-goût d’inachevé…
Le problème vient avant tout du récit lui-même. Les personnages sont sympathiques, certes. Et les situations sont amusantes, au début du film. Mais elles deviennent rapidement répétitives et perdent de leur intérêt. C’est à la fois ironique et triste, mais on s’ennuie vite à mourir…
Et ce n’est pas l’évolution de l’intrigue, avec les bouleversements occasionnés par le dernier-né des Tuvache, Alan, un gamin souriant et plein de joie de vivre, au grand désespoir de ses parents, qui va arranger les choses. C’est une tête à claques ce mioche, avec son éternelle bonne humeur, ses sourires, sa politesse outrancière. Il vient nous pourrir la belle ambiance noire et acide mise en place au début avec de sa mièvrerie, son univers coloré kitsch et son happy end neuneu, qui tranche avec la fin imaginée par Jean Teulé dans le roman original.
On ne dit pas que c’est mauvais, hein… C’est du joli travail, bien exécuté, visuellement très agréable à regarder. C’est juste décevant par rapport à ce que l’on attendait de cette oeuvre. On aurait aimé davantage d’humour noir, de mauvais esprit et de mauvais goût. On aurait aimé que le cinéaste assume le côté sombre et adulte de sa fable plutôt que de chercher, in fine, à toucher un public familial. Et surtout, on aurait aimé qu’il se lâche un peu plus dans les délires visuels, à l’instar de cette belle scène où Mishima consulte un psychiatre et où le test de Rorschach s’anime à l’écran dans un certain tumulte.
Cela dit, on ne va pas faire la fine bouche. On préfère, et de loin voir Patrice Leconte réaliser Le Magasin des suicides que de le voir gâcher son talent sur une purge commerciale comme Les Bronzés 3. Pour son premier film d’animation, force est de constater qu’il s’en sort honorablement, à défaut de convaincre pleinement. Et on est heureux d’apprendre qu’il va persévérer dans cette voie avec un second film, Music!, que l’on espère toutefois plus audacieux…
(1) : “Le Magasin des suicides” de Jean Teulé – éd. Julliard
(2) : Les noms des personnages font référence à des personnages historiques célèbres. Mishima était un écrivain japonais qui s’est donné la mort en pratiquant le seppuku. Lucrèce Borgia est soupçonnée d’avoir empoisonné plusieurs personnes. Vincent pourrait faire penser à Vincent Price et au Vincent de Tim Burton, mais est en fait un hommage à Vincent Van Gogh, un suicidé célèbre. Marilyn fait référence à Marilyn Monroe, couic, suicidée… Et Alan est nommé ainsi en référence à Alan Turing, pionnier de l’informatique qui s’est suicidé (hé oui) au cyanure.
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Le Magasin des suicides
Le Magasin des suicides
Réalisateur : Patrice Leconte
Avec les voix de : Bernard Alane, Isabelle Spade, Kacey Mottet-Klein, Isabelle Giami, Laurent Gendron
Origine : France, Belgique, Canada
Genre : opérette (pas assez) morbide
Durée : 1h25
Date de sortie France : 26/09/2012
Note pour ce film : ●●●