Dès les premiers plans de Después de Lucia, on ressent une sensation de malaise, une tension intense, presque palpable, et on devine que cette sensation ne va pas s’estomper au fil du récit, bien au contraire…
La suite du film va nous donner raison, en décrivant le calvaire d’une adolescente, souffre-douleur de ses camarades de classe, maltraitée, humiliée, méprisée…
L’intrigue est centrée autour d’Alejandra (formidable Tessa Ia ), une jeune fille qui vient de perdre sa mère dans un accident de voiture.
Son père, ébranlé par ce décès brutal, est complètement perdu, incapable de surmonter sa douleur. Il ne supporte plus de vivre dans l’appartement familial où tout lui évoque son épouse défunte. Alors, il décide de changer d’air et de s’installer ailleurs. Alejandra doit s’habituer à un nouvel environnement, à une nouvelle école.
Au début, tout semble bien se passer. L’adolescente a l’air d’être forte. Plus forte, en tout cas, que son père, qui reste enfermé dans sa dépression. Elle gère ses sautes d’humeur, ses coups de blues et assure les tâches domestiques en plus de son travail scolaire. Et au collège, elle ne tarde pas à sympathiser avec un groupe de jeunes de son âge.
Un soir, elle est invitée à une fête chez l’un d’entre eux. Jolie, agréable, Alejandra fait tourner malgré elle les têtes des garçons. Ses camarades de classe la forcent à boire de l’alcool et l’un d’entre eux profite de son état alcoolisé pour coucher avec elle.
Le lendemain, la vidéo de leurs ébats est accessible sur internet, et tout le collège est mis en copie du lien. Lucia devient la risée du lycée. Les garçons la traitent de pute et la harcèlent avec des propos graveleux, les filles, jalouses, la détestent et font tout pour lui pourrir la vie.
Naturellement, Alejandra essaie tout d’abord de se rebiffer, de repousser les attaques. Mais, consciente de ne pas pouvoir lutter seule contre la force du groupe et, surtout, désireuse de ne pas causer trop de soucis à son père, elle lâche prise. Elle accepte de se laisser insulter, humilier, violenter par les autres adolescents. Chaque jour un peu plus, jusqu’au moment où, au cours d’un voyage scolaire au bord de la mer, les jeux cruels virent au drame…
Il y a quelque chose d’absolument fascinant dans la mise en scène de Michel Franco, dans sa façon de faire monter la tension petit à petit. Chaque plan est une claque, un coup de poing. C’est du cinéma brutal, aride, étouffant. Et impressionnant.
Le style de Michel Franco, tout en longs plans fixes silencieux, et en plans-séquences, étirés jusqu’au malaise, évoque celui des Funny Games de Michael Haneke ou celui de son compatriote Amat Escalante, le réalisateur de Los Bastardos.
Le cinéaste ne verse jamais dans l’exposition racoleuse de la violence et de l’horreur. Il prend soin de laisser hors champ ou de filmer à distance les scènes les plus violentes, ce qui renforce d’ailleurs leur intensité dramatique. Mais il y a évidemment, dans cette mise en scène tranchante comme un scalpel, la volonté de choquer, de provoquer le spectateur, pour induire une réflexion sur les choses montrées à l’écran.
Son premier long-métrage, Daniel & Ana, était tout aussi glaçant et tournait autours des agissements odieux d’un gang de criminels qui enlevaient un frère et une soeur et les obligeaient à commettre l’inceste devant une caméra, avant de les faire chanter en menaçant de rendre publique la vidéo.
Ici, il est encore question d’une vidéo compromettante utilisée pour asservir une jeune fille innocente. La différence, c’est que les personnages ne sont pas des criminels, à l’origine. Plutôt des gosses de bourgeois sans histoires. Et pourtant, ils vont s’avérer capables de cruauté, de violence, de pulsions dominatrices… Leur violence n’est pas motivée par l’appât du gain, n’est pas employée à des fins de survie. Elle est presque moins excusable car elle répond juste à un besoin d’écraser l’autre, de se montrer supérieur…
Cela donne à réfléchir sur la nature humaine, sur les rapports de force qui régissent nos sociétés… Et notamment la société mexicaine, construite sur le sang de la révolution et gangrénée par la corruption, le crime et les inégalités sociales.
A travers ses films, le cinéaste se livre à une virulente critique sociale de son pays ou du moins en dresse un portrait bien peu flatteur.
Mais Después de Lucia est aussi une histoire de deuil, contée avec une certaine sensibilité derrière cette froide apparence.
Alejandra semble avoir surmonté le décès de sa mère, mais en réalité elle n’a pas encore eu l’occasion d’effectuer son travail de deuil. Elle a dû rester forte pour aider son père à ne pas perdre complètement pied. C’est quand elle se heurte à la violence de ses camarades, en même temps que l’éveil de ses premiers désirs, qu’elle réalise le manque de cette présence féminine rassurante et complice. A partir de là, elle va se replier sur elle-même, jusqu’à disparaître, une façon de se rapprocher un peu de cette mère disparue.
Son père, lui, va effectuer la trajectoire opposée. Enfermé dans son chagrin, il est incapable de se préoccuper de sa fille, jusqu’à ce que le drame le ramène brutalement à la réalité et lui rappelle qu’il lui reste encore une fille…
Fort, dérangeant, bouleversant, Después de Lucia a fait l’effet d’un petit électrochoc sur la Croisette cette année, où il était présenté dans le cadre de la section Un Certain Regard du Festival de Cannes. Le film a d’ailleurs remporté le prix Un Certain Regard et le président de ce jury, l’acteur/réalisateur Tim Roth, n’a pas hésité à le qualifier de “chef d’oeuvre”.
Nous n’irons peut-être pas jusque là, mais nous sommes assez d’accord avec lui pour dire qu’il s’agit assurément d’une oeuvre importante, qui confirme en tout cas l’avènement d’un cinéaste de grand talent, dont on suivra avec intérêt les prochains films.
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Después de Lucia
Después de Lucia
Réalisateur : Michel Franco
Avec : Tessa Ia, Hernán Mendoza, Gonzalo Vega Sisto, Tamara Yazbek Bernal, Diego Canales, Francisco Rueda
Origine : Mexique
Genre : Funny games in Mexico
Durée : 1h43
Date de sortie France : 03/10/2012
Note pour ce film : ●●●●●●
contrepoint critique chez : Télérama (critique « contre »)
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