Original, étonnant, émouvant, excitant, les adjectifs ne vont pas manquer pour qualifier Looper, cette petite claque SF qui vient de nous surprendre et qui devrait d’ici peu se retrouver rangée dans la catégorie « films cultes» .
Dans un futur proche, la machine à voyager dans le temps aura été inventée mais sera très vite rendue illégale. Seule la mafia a décidé de s’en servir pour expédier ses victimes dans le passé, où des tueurs appelés « Loopers» les éliminent et les font disparaitre. Mais un jour, l’un d’entre eux, Joe, découvre que la victime qu’il doit exécuter n’est autre que lui-même, avec 30 ans de plus… alors le système dérape.
Voilà le pitch de Looper écrit et réalisé par Rian Johnson qui nous offre là son 3e film après le très réussi Brick et le plus bancal Une Arnaque presque parfaite. Encore une fois il va mélanger les genres en montrant ses influences sans en être l’esclave. Après le polar lycéen et le film drame fraternel sur fond d’arnaque, il s’attaque cette fois à la science-fiction dans l’un de ses thèmes les plus fascinants mais aussi les plus casse-gueule, celui du voyage dans le temps, tout en y intégrant des éléments propres au film noir, au western ou encore aux comics et mangas mais qu’il s’approprie d’une manière tout à fait personnelle.
Ainsi, Rian Johnson, avec un modeste budget de 30 millions de dollars, arrive dès les premières images à nous embarquer dans un univers palpable et violent que l’on a hâte d’explorer et qui se révèle à chaque séquence plus passionnant. Dans le même temps, il pose ses propres règles du voyage dans le temps et si manque de se prendre les pieds dans le tapis du paradoxe temporel (après tout peu de films sont finalement parvenus à rester logiques, Retour vers le Futur et L’Effet Papillon étant les plus aboutis), c’est pour mieux nous entrainer dans la boucle infinie (le film ne s’appelle pas Looper pour rien), les choix multiples et les futurs possibles que s’apprête à vivre le héros.
Pour autant, malgré l’impression qu’il peut donner dans sa première partie menée à un rythme d’enfer et remplie d’idées de mise en scène parfois assez folles et percutantes pour nous faire découvrir cet univers, le réalisateur ne va pas chercher à faire un film spectaculaire. Au contraire, il s’attache dans la seconde partie plus posée à développer ses personnages et à s’attarder sur des thèmes passionnants qui donnent alors toute sa profondeur au film et lui donne ce petit plus qui va le différencier de toute série B classique.
Ainsi, le « Joe présent» et le « Joe futur» sont particulièrement complexes et différents tout en ayant évidemment de nombreux points commun, l’un étant l’évolution de l’autre. Ici, il n’y a pas de bons ou de mauvais, seulement des choix et leurs évolution respectives qui entrainent le jeune à mettre de côté son égoïsme dans sa fuite que finalement sa version futur retrouvera. A ce titre, on retiendra les prestations de Joseph Gordon-Levitt et Bruce Willis. D’une part le premier récupère sans faute toute la gestuelle et le phrasé du second (la ressemblance aidée par le maquillage est parfois hallucinante) mais en plus ils se révèlent tout les deux particulièrement en forme, Gordon-Levitt confirmant son statut d’acteur le plus doué de sa génération tandis que Willis retrouve enfin le statut badass flingue à la main que nous avions perdu de vue depuis un moment et n’hésitant pas à commettre des actes particulièrement impensables pour un acteur aussi iconique.
Mais les autres personnages sont tout aussi passionnants, d’Emily Blunt en mère célibataire avec un fils à problèmes à Jeff Daniels dans le rôle du mafieux bavard. Chacun révèle une facette inattendue, parfois attachante, d’autres fois destructrices et ne font qu’ajouter à la consistance de l’univers développé par le réalisateur.
D’un autre côté, Rian Johnson s’attache donc aussi à développer des thèmes passionnants autour du voyage dans le temps et le premier d’entre eux est une question que l’on se pose forcément : « si on pouvait remonter dans le temps et tuer un dictateur encore bébé avant qu’il ne massacre des millions de personnes, faut-il le faire ? ou tenter de l’élever de manière à ce que cela n’arrive pas ?» . A travers cette question, il nous interroge sur les méthodes à adopter mais aborde aussi les sujets de la parentalité, de la vengeance et des choix à faire dans le futur.
Alors on pourra lui reprocher parfois quelques facilités narratives pour garder le rythme mais on lui pardonnera facilement. Car en plus de cela, il aborde ces thèmes de manière ludique, sans clichés ni leçon de morale, se révélant même par instants particulièrement violent et noir au moment où on s’y attend le moins tout en gardant une touche d’espoir.
Si son écriture est inventive, Rian Johnson sait aussi y faire du côté de la mise en scène. Maitrise de la caméra, plans complètement retournés et mouvements bien sentis, montage parfaitement lisible et logique qui tire même de la force de ses ellipses et même l’ambiance sonore se révèle particulièrement aboutie. D’aucun le compareront à Christopher Nolan mais il faut bien avouer que le cinéma de Johnson est plus au service des émotions, avec moins de froideur et une véritable humanité et un attachement humble à ses personnages.
Rian Johnson s’était déjà forgé une réputation plutôt confidentielle mais flatteuse avec ses deux premier films. Avec Looper, il y a fort à parier qu’il risque très vite de monter un cran au dessus auprès de la profession mais aussi du public. Avec un cinéma aussi rempli d’idées originales (à une époque où tout n’est plus que suite, reboot, remake pour franchises faciles) et une telle maitrise technique au service des émotions, on voit mal comment il pourrait en être autrement. Vous l’avez compris, Looper est donc l’une de ses trop rares pépites de SF qu’il faut donc aller découvrir pour être encore surpris.