Non mais quel métier cauchemardesque que celui de professeur de collège!
Quelle mission héroïque que d’essayer d’éclairer les esprits de jeunes ingrats, moins prompts à accepter le savoir dispensé qu’à ricaner bêtement avec les copains, se crêper le chignon avec les copines, et, plus généralement vaquer à des occupations n’ayant aucun rapport avec les matières enseignées (1)!
Ah! Ils ont bien du courage, les enseignants du collège Joséphine Baker à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, et notamment les deux professeures que Clara Bouffartigue a choisi de suivre dans l’exercice de leur métier, une année durant.
La première, Alice Henry, est professeure de lettres modernes. Elle tente de communiquer sa passion de la langue française à ces jeunes élèves, les initier aux grands auteurs, à la force des mots, des textes argumentatifs de Zola ou d’Hugo à la poésie de Rimbaud, mais, face au refus d’apprendre des adolescents et à leur comportement méprisant, elle se retrouve généralement contrainte de leur répéter en boucle le même mot “Chut”.
La seconde, Isabelle Soubaigné, est professeure d’arts plastiques. Elle essaie d’apprendre à ces jeunes à utiliser leur énergie débordante à d’autres fins que des pugilats stupides, des invectives et des blagues potaches. Elle leur montre comment créer des choses, créer de la beauté, comment s’exprimer avec d’autres choses que des mots, par l’intermédiaire des disciplines artistiques.
Face à elles, une bande d’adolescents surexcités, qui semblent ne venir là que parce que c’est obligatoire ou parce qu’ils n’ont rien d’autre à faire. Des sales gosses malpolis, bruyants, horripilants d’insolence…
Des monstres? Non, même pas… Juste des ados ordinaires qui n’arrivent pas à canaliser leurs émotions et leurs poussées d’hormones. De jeunes gens qui essaient de s’affirmer et n’ont pas encore appris, justement, qu’il est d’autres façon de s’exprimer que de gueuler plus fort que les autres. Ils testent les adultes, défient l’autorité, essaient de se faire remarquer des autres par tous les moyens, même – et surtout – les plus idiots…
A la limite, on pourrait dire qu’ils sont juste un poil plus agaçants que les jeunes des générations précédentes. Ceux-ci n’avaient pas les mêmes gadgets technologiques et, contrairement aux jeunes générations actuelles, ne pouvaient donc pas téléphoner en cours, regarder des films ou écouter de la musique pendant que les profs s’escrimaient à leur inculquer une culture autrement plus noble et plus utile.
C’est le problème avec les “smartphones”. La machine est intelligente (2) pour que son utilisateur n’ait pas besoin de l’être…
On pourrait aussi ajouter que le collège Joséphine Baker est un établissement classé en Zone d’Education Prioritaire, que ses élèves sont issus majoritairement de milieux populaires et de quartiers “difficiles”. Mais ce point est soigneusement laissé de côté par la cinéaste. Elle l’évoque, bien sûr, à travers une ou deux scènes qui montrent bien que l’origine sociale de ces enfants n’arrange pas les choses, mais elle refuse de centrer son film sur de enfants en difficulté, sur une affaire de classe sociale et de contexte socio-économique. Le film aurait pu se passer aussi bien dans un collège de province, dans un quartier huppé de Paris ou dans une ZEP de banlieue que cela n’aurait pas changé fondamentalement le sens de son documentaire.
Ce qui l’intéresse, c’est le travail des professeures, le lien qu’elles tentent de construire avec les élèves, leurs méthodes pédagogiques, leur patience face au comportement des gamins.
Ah, ça, il en faut de la patience pour rester zen et ne pas céder à la tentation de mettre une bonne paire de claques à ces petits crétins qui s’ingénient à trouver mille-et-une façons de perturber les cours, saper l’autorité de leurs professeurs, essayer de les faire sortir de leurs gonds…
Alice et Isabelle ont probablement souvent l’envie de les jeter par la fenêtre, et leur morgue avec eux, mais elle restent toujours imperturbables, impeccables de professionnalisme. Pour plagier une célèbre fable de La Fontaine, elles sont semblables à des roseaux soumises à la tempête (sous un crâne) : elles plient parfois mais ne rompent jamais.
On ne peut qu’admirer leur stoïcisme, leur détermination à continuer leur cours vaille que vaille, pour réussir à instruire au moins quelques élèves, à en sauver quelques-uns, malgré des conditions de travail de plus en plus difficiles. Et encore, les professeurs ont parois droit à un peu de respect, contrairement aux surveillants, qui se désolent de l’agressivité de plus en plus manifeste des enfants et de l’inefficacité des sanctions prises.
Et dire que d’aucuns voient les fonctionnaires de l’éducation nationale comme des nantis, planqués dans un secteur d’activité privilégié où ils profitent de la sécurité de l’emploi et de plein de congés payés supplémentaires… La belle affaire…
Il s’agit surtout d’un métier difficile, éprouvant physiquement et nerveusement, débordant parfois sur la sphère privée. Un métier souvent ingrat…
Mais parfois, il se produit des petits miracles.
Quand les professeurs parviennent, par la ruse, à gagner un peu de quiétude, comme Isabelle, qui a eu la brillante idée de demander à ses élèves de dessiner une représentation du bruit, mais en silence, en indexant leur note sur leur capacité à garder la bouche fermée pendant la durée de l’exercice…
Ou, encore mieux, quand une leçon a porté ses fruits, que des élèves ont réussi à élever leur niveau et surprendre agréablement leurs professeurs. Alice découvre avec une joie immense les textes de ses jeune disciples, inspirés par le principe du “J’accuse” d’Emile Zola. Des lettres ouvertes au Ministre de l’Education Nationale (pour se plaindre des mauvais traitements infligés par la prof de français, arf, le petit malin…), au président du groupe Haribo, qui a avoué que ses bonbons sont faits à partir de gélatine porcine, au mépris de ses consommateurs juifs ou musulmans, à Mouammar Kadhafi, alors dictateur de la Libye et en pleine répression sanglante… Des petits bijoux d’irrévérence, d’engagement citoyen, de révolte politique, montrant que ces jeunes sont capables de s’exprimer, d’ordonner leurs raisonnements, de fourbir des arguments concrets, solides, agrémentés d’une pointe d’humour ou de révolte et qui redonnent espoir quant à leur potentiel, leurs perspectives d’avenir…
Même plaisir quand elle découvre que les mêmes collégiens sont capables de composer des quatrains emplis de pure poésie, à l’instar de ce lascar qui vient déclamer les vers qu’il a écrits devant le reste de la classe dans un (relatif) silence respectueux.
Certains élèves, parfois, se rendent compte en grandissant que des professeurs ont beaucoup compté dans leur épanouissement personnel, qu’ils leur ont beaucoup appris. Isabelle raconte avec émotion et fierté ce que lui a dit un de ses anciens cancres, aujourd’hui premier de sa classe : “On ne peut pas rester un imbécile toute sa vie”. Une phrase qui lui redonne du baume au coeur, de l’espoir. Et qui résume bien le film…
Oui, c’est là que l’on se rend compte de toute la valeur du métier d’enseignant.
Les professeurs ne sont pas des matons pour bagnards de douze ou treize ans, contrairement à ce que pensent parfois les jeunes rebelles. Ils ne sont pas non plus des has-been parlant de vieux trucs dont tout le monde se moque aujourd’hui ou faisant faire des choses absurdes à leurs élèves. Non. Ils sont des passeurs d’intelligence, de culture, de savoir. Des éducateurs offrant aux adolescents la possibilité de trouver leur place dans la société, dans le monde, de s’élever humainement, socialement, moralement.
Qui sait si, parmi ces jeunes “imbéciles” qu’ils ont en charge, il ne se cache pas un futur Président de la République, un chef d’entreprise prospère, un brillant chirurgien ou un avocat de renom, un génie de la littérature, de la musique, de l’art,…?
Derrière chaque personne renommée, chaque génie reconnu, il y a toujours un professeur, un maître, un mentor, quelqu’un qui l’a aidée à exprimer ses capacités, son talent, qui l’a encouragée, supportée, poussée…
Un métier cauchemardesque que celui d’enseignant? Oui, un peu, mais c’est aussi l’un des plus beaux métiers du monde.
Un métier utile, qui améliore les individus – pas tout le monde, certes, mais une bonne partie de la population – qui garantit notre futur en formant les futures élites, qui permet la transmission du savoir, la transmission de ce qui fait notre identité, notre langue, nos coutumes, nos racines, et qui, en même temps, ouvre les élèves sur le monde environnant, en leur apprenant à avoir un regard critique et une curiosité d’esprit…
Clara Bouffartigue leur rend hommage avec ce beau documentaire, axé autour de l’acte d’enseigner, de la pédagogie, du travail fourni par les équipes d’enseignants et l’encadrement, également important pour faire du collège un lieu d’apprentissage, de respect, de vie commune.
Elle aussi a bien appris ses leçons. Elle a été diplômée en cinéma à La Sorbonne avant d’apprendre le montage sur le terrain, auprès d’équipes techniques et de réalisateurs confirmés. Son film est bien un film de monteuse, parfaitement construit, reposant sur des enchaînements de séquences intelligents, subtils. Mais il n’est pas que cela. Il offre aussi un vrai point de vue artistique qui se ressent dans la composition des plans, dans le grain de l’image, et surtout, dans la capacité de la cinéaste à mettre en valeur la poésie et la beauté qui se dégage de ce qu’elle a filmé.
La tempête sous un crâne des jeunes collégiens rencontre la brise légère de la mise en scène, provoquant un joli tourbillon d’émotions et un très beau documentaire, dont le seul défaut est d’être un peu trop court.
On aurait bien aimé rester un peu plus longtemps avec ces enseignantes magnifiques, qui expérimentent sans cesse, rusent, bataillent, redoublent d’imagination pour réussir à capter l’attention de leurs jeunes élèves, sans toujours y parvenir…
On aurait bien profité encore un peu des images de Clara Bouffartigue, qui elle aussi doit probablement batailler pour faire financer et distribuer ses films (3).
Qu’elles se rassurent, elles ont au moins réussi à nous captiver, nous, pendant plus d’une heure et quart. On les en remercie comme on remercie, à travers elles, ces milliers d’enseignants et d’artistes qui oeuvrent quotidiennement pour rendre notre monde plus intelligent et plus beau.
(1) : En référence à une des anecdotes du film sur un élève se masturbant pendant les cours, on peut cependant rapprocher la masturbation du chapitre “éducation sexuelle” du cours de Sciences de la Vie et de la Terre.
(2) : Pour les nuls en anglais : “smart” veut dire intelligent, malin
(3) : Le film, avec seulement une vingtaine de copies pour l’ensemble de la France, ne sera hélas pas accessible à tout le monde…
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Tempête sous un crâne
Tempête sous un crâne
Réalisatrice : Clara Bouffartigue
Avec : Alice Henry, Isabelle Soubaigné, Sylvie Carot, et les élèves du collège Joséphine Baker de St-Ouen
Origine : France
Genre : Entre les murs
Durée : 1h18
Date de sortie France : 24/10/2012
Note pour ce film : ●●●●●○
Contrepoint critique : Première
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